Election présidentielle au Venezuela: «Notre désir de changement a été volé, Maduro doit partir»
L’annonce de la victoire du chef d’Etat sortant provoque la sidération, puis la révolte. Récit d’un lendemain d’élection où le Venezuela a peut-être basculé vers un retour à la démocratie.
La journée de lundi avait pourtant débuté dans un calme aussi étrange qu’inhabituel. Comme tout le reste du pays, Caracas s’était réveillée hébétée, sidérée par la nouvelle victoire de Nicolas Maduro. La veille, le président sortant était déclaré vainqueur des élections présidentielles par le Conseil national électoral (CNE) avec 51,2 % des suffrages. Son adversaire, le candidat de l’opposition Edmundo Gonzalez, n’en cumulait que 44,2 %.
A Chacao, quartier favorisé de Caracas, les magasins et les restaurants restent cachés derrière leurs rideaux de fer. Les rues sont désertes et la circulation réduite ne dit rien de la semaine qui commence. Les promesses de résistance entendues la veille semblent s’être diluées sous l’intense pluie qui s’abat sur la ville. Seuls sortent leur tête quelques travailleurs comme José Luis Hernandez. Le livreur de 35 ans s’était déjà levé tôt le dimanche matin pour déposer dans l’urne le bulletin «Edmundo Gonzalez Urrutia». Debout depuis six heures du matin, il accuse le coup: «Je n’ai aucune motivation. Tout ce que je peux faire, c’est continuer à travailler.»
Vérification des résultats
En milieu de matinée, les prémices d’une révolte se font pourtant entendre partout en ville. Aux fenêtres, les concerts de casseroles mettent fin au silence du petit matin résigné de la métropole. L’opposition refuse toujours de reconnaître les résultats de l’élections. «Nous voulons dire à tous les Vénézuéliens et au monde entier que le Venezuela a un nouveau président élu et qu’il s’agit d’Edmundo Gonzalez», assurait la veille au soir la championne de l’opposition Maria Corina Machado depuis le quartier général de la coalition antichaviste. Ses partisans non plus n’y croient pas. «Le pouvoir contrôle tout: le Conseil national électoral, les tribunaux et, bizarrement, il finit toujours par gagner», ironise José Luis Hernandez. Jesus Seguias, analyste politique, émet lui aussi des réserves: «L’autorité électorale doit démontrer que les résultats sont vraiment les bons en les confrontant aux bordereaux de votes du camp présidentiel et de l’opposition.»
Quelques heures plus tard, Nicolas Maduro, en poste depuis 2013, est proclamé président pour un troisième mandat consécutif. Dans un discours à rallonge, l’homme fort du Venezuela balaye d’un revers de main les accusations de fraude de l’opposition. Dénonçant une tentative de coup d’Etat, le président «réélu» se montre implacable: «Je dis aux comploteurs, à ceux qui sont impliqués, et à ceux qui soutiennent cette opération contre la démocratie vénézuélienne, que nous connaissons déjà le film. Et cette fois-ci, nous ne ferons preuve d’aucune faiblesse.»
Le discours du président ne calme pas la rue. A mesure que la journée de lundi avance, les manifestants se regroupent un peu partout à Caracas derrière les cortèges de motos qui klaxonnent sans discontinuer. A Chacao et dans le centre-ville, les jets de pierres répondent aux grenades lacrymogènes lancées par la police antiémeute. Un peu plus loin, sur la grande place Altamira, lieu de réunion emblématique des partisans de l’opposition antichaviste, des milliers de mécontentents s’époumonent au rythme des «Il va tomber! Il va tomber! Ce gouvernement va tomber!».
Des anciens chavistes
La foule est jeune. Beaucoup de manifestants descendent des quartiers défavorisés perchés sur les collines avoisinantes; peut-être les plus touchés par l’interminable crise économique qui plonge le Venezuela dans la pauvreté depuis une dizaine d’années. «Toutes ces personnes viennent des quartiers populaires, affirme Hernan arrivé à la place Altamira en milieu d’après-midi avec quelques amis. Ils viennent des mêmes familles qui, il y a quelques années, défendaient le chavisme.» A quelques mètres du petit groupe, un leader improvisé, en équilibre sur le siège de sa moto, harangue la foule: «Nous savons que nous avons bien fait les choses hier. Nous savons qu’Edmundo a gagné. Nous savons que c’est une fraude.» Maria Alejandra, 24 ans, partage le même sentiment d’injustice: «Je suis ici pour dire que nous avons été volés. Notre désir de changement a été volé. Maduro doit partir.»
La protestation ne se cantonne pas à la capitale. Selon l’ONG de défense des droits humains Foro Penal, une personne est morte dans l’Etat de Yuracuy, au nord-ouest du pays, tandis qu’un garçon de 15 ans a été tué dans celui de Zulia, à l’ouest. D’autres rapports parlent également de trois décès non confirmés et de plusieurs blessures par balle dans la région de Carabobo, à l’ouest de Caracas. Le 29 juillet au soir, Nicolas Maduro reprend la parole depuis la résidence présidentielle de Miraflores et promet des peines de prison pour tous ceux qui ont provoqué des troubles, qualifiant les manifestants de «personnes violentes […] armées et droguées». Quarante-six individus ont été arrêtés dans le cadre des protestations postélectorales, assure Foro Penal.
Protestation civique
Le président réélu profite de son allocution pour demander à ses partisans de se mobiliser massivement pour «défendre la paix». L’opposition aussi. En fin de journée, Maria Corina Machado appelle à un grand rassemblement le lendemain devant le siège des Nations unies à Caracas pour «défendre de manière civique le triomphe d’Edmundo Gonzalez Urrutia.» Juste avant, elle affirme avoir les véritables chiffres du scrutin. Selon elle, ils consacrent la victoire écrasante du discret diplomate, avec 73 % des suffrages. La tension monte au Venezuela et n’est pas près de retomber.
«Nous savons qu’Edmundo a gagné. Nous savons que c’est une fraude.»
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