Trump : « occuper l’espace, à n’importe quel prix »
Les tracas judiciaires du candidat Trump placent les juges dans une inconfortable position d’arbitres avant l’élection présidentielle de novembre. Et, en attendant, Trump fait du Trump en vampirisant toute l’attention.
Donald Trump a-t-il fomenté une insurrection, tenté de voler une élection ? Doit-il être interdit de se représenter ? Est-il à l’abri de poursuites ? Les tribunaux américains se pencheront cette année sur ces questions fondamentales alors que le milliardaire républicain de 77 ans espère retrouver la Maison Blanche et que l’arène politique est déjà en ébullition.
La Cour suprême des Etats-Unis a ainsi annoncé vendredi qu’elle examinerait début février la demande de Donald Trump d’annuler une décision de la Cour suprême du Colorado qui priverait l’ex-président de figurer sur les bulletins de vote dans cet Etat, l’accusant d’avoir joué un rôle dans l’insurrection de 2021. « Ce n’est pas le genre de combat que les tribunaux apprécient généralement« , fait remarquer William Howell, professeur de sciences politiques à l’université de Chicago.
Au pénal, Donald Trump est accusé d’avoir tenté de renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020, remportée par son rival démocrate Joe Biden, et d’avoir joué un rôle dans l’assaut du Capitole par ses partisans le 6 janvier 2021. Il est également accusé de négligence à l’égard de dossiers placés sous secret après son départ de la Maison Blanche et d’avoir versé des pots-de-vin à une ancienne star du porno à la veille de l’élection.
Demande d’immunité
Les tribunaux sont habitués aux « questions difficiles », souligne Derek Muller, professeur de droit à l’université de Notre Dame. « Mais il ne fait aucun doute que c’est plus intense encore quand on doit y répondre à l’approche d’une élection présidentielle, notamment pour des questions qui pourraient être décisives », observe-t-il. La question de l’éligibilité –sur laquelle se penchera donc la Cour suprême– n’est pas rare, fait remarquer Derek Muller, « mais il s’agit généralement de candidats de second plan » et pas du « favori à l’investiture ». « On peut parier que les juges, lorsqu’ils essaieront de déterminer s’ils veulent ou non le priver de sa candidature, vont réfléchir aux enjeux politiques« , observe le politiste William Howell. La Cour suprême, dominée par des juges conservateurs, pourrait également avoir à se prononcer sur l' »immunité absolue » que les avocats de Donald Trump font valoir contre les poursuites judiciaires fédérales qui le visent.
Un juge qui doit examiner l’affaire portant sur des tentatives d’inverser les résultats de l’élection de 2020, dont le procès est prévu pour le mois de mars, a rejeté la demande d’immunité. « Aucun ancien président n’a jamais été inculpé auparavant, encore moins dans quatre endroits différents, et n’a tenté de faire valoir son immunité« , relève Derek Muller.
Gagner du temps
Selon lui, Donald Trump pourrait aussi jouer sur la lenteur de la justice en essayant de gagner du temps « dans l’espoir de gagner la présidence » et que toutes ces affaires « disparaissent ». Si l’homme d’affaires républicain remporte la présidentielle de novembre, il pourrait vraisemblablement se gracier lui-même ou demander l’abandon des poursuites.
Outre les affaires pénales, il est visé par des actions civiles. Avec ses deux fils aînés, il est en procès à New York pour avoir gonflé la valeur des biens immobiliers de la Trump Organization afin d’obtenir des prêts bancaires et des conditions d’assurance plus favorables. L’année dernière, l’ancien président a dû verser cinq millions de dollars de dommages-intérêts pour avoir été jugé responsable d’agression sexuelle et de diffamation à l’encontre d’une ancienne journaliste.
Trump partout: la drôle de campagne des républicains
Pour autant, les déboires judiciaires de Donald Trump n’ont pas entamé sa popularité auprès de la base républicaine: il reste de loin le grand favori à la primaire républicaine. Fidèle à sa rhétorique « antisystème », il dénonce l' »ingérence électorale » de la part d’une justice « instrumentalisée » selon lui par Joe Biden, de nouveau son adversaire probable pour la présidence. Devenu le premier ex-président à avoir une photo d’identité judiciaire, Donald Trump utilise même ce cliché pour sa collecte de fonds.
Tout cela laisse peu de place à ses rivaux pour des débats de fond. La course pour désigner celui ou celle qui affrontera le candidat démocrate, très probablement Joe Biden, en novembre n’est donc en rien conventionnelle.
« Toute l’attention »
Les électeurs de l’Iowa, qui lanceront le 15 janvier le bal des primaires, ont certes vu ces derniers mois des candidats sillonner leur Etat, perchés sur des ballots de pailles ou dégustant une saucisse sur un bâtonnet en parlant d’immigration, d’économie ou d’avortement. Mais ces scènes, si typiques de la politique américaine, sonnent cette fois un peu faux, face à la litanie de sondages annonçant la bataille comme jouée d’avance.
Selon l’agrégateur RealClearPolitics, Donald Trump gravite à 62,7% d’intentions de vote, tandis que ses deux principaux rivaux, Nikki Haley et Ron DeSantis, sont eux respectivement à… 11 et 10,9%. « Le fait que le principal candidat ait été inculpé plusieurs fois et soit susceptible d’être disqualifié rend la campagne des républicains incroyablement volatile et imprévisible« , souligne Julian Zelizer, politologue à l’université Princeton à l’AFP. « Il n’y a pas de modèle à suivre. »
Comment capter un peu de lumière quand les allées et venues dans les tribunaux de l’ex-dirigeant sont traquées par les télévisions du monde entier? Chez les candidats, la question a viré à l’obsession.L’équation est d’autant plus périlleuse que les candidats à l’investiture républicaine veulent à tout prix éviter de froisser les électeurs trumpistes. Impossible de critiquer le favori trop ouvertement, sans risquer de se mettre cette marée de casquettes rouges extrêmement fidèle à dos.
Ces circonvolutions offrent un spectacle parfois étrange, à l’image du tout premier débat entre candidats républicains, en août. A la question de savoir si Donald Trump devrait se voir confier les clés de la Maison Blanche, même s’il était condamné en justice, tous – sauf deux – ont levé la main pour acquiescer, de façon plutôt hésitante. Les longs échanges des candidats sur l’avortement, le réchauffement climatique ou la guerre en Ukraine? Tous ont été éclipsés par cette séquence, rediffusée en boucle sur les télévisions américaines le lendemain. Donald Trump a beau les avoir boycottés au nom de sa très large avance dans les sondages, les débats n’ont finalement tourné qu’autour de lui. Le principal intéressé a lui-même placé au coeur de sa campagne non pas un programme mais bien ses ennuis judiciaires.
En meeting, sur les réseaux sociaux comme dans ses levées de fonds, l’ancien président mentionne bien plus ses quatre inculpations pénales — qui lui font pourtant risquer la prison — qu’il ne détaille son projet pour « rendre à l’Amérique sa grandeur« . Ce faisant, le tempétueux septuagénaire applique sa règle de toujours: occuper l’espace, à n’importe quel prix.
Qui sont les autres candidats républicains à la présidentielle américaine?
Ils sont gouverneur, entrepreneur ou encore pasteur… et candidats à l’investiture républicaine pour la présidentielle américaine face, à l’ancien président et grand favori Donald Trump.
Nikki Haley
Ancienne gouverneure de Caroline du Sud et ex-ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Nikki Haley elle est la seule femme candidate à la primaire républicaine. Agée de 51 ans, cette nouvelle coqueluche de la droite américaine est au coude-à-coude avec Ron DeSantis pour la deuxième position dans les sondages. Durant les débats républicains, elle s’est distancée de ses rivaux avec une position plus modérée, notamment sur l’avortement. Si elle a ouvertement critiqué la croisade post-électorale de Donald Trump sur une supposée fraude jamais prouvée, Nikki Haley n’a jamais renié le bilan de l’ancien président et s’est même dite en faveur de le gracier, si elle était élue, « pour le bien du pays ». Fin décembre, elle a été critiquée pour avoir refusé de mentionner l’esclavage comme cause de la guerre de Sécession lors d’un échange avec des électeurs.
Ron DeSantis
Le gouverneur de Floride Ron DeSantis, qui a incarné un temps la relève du Parti républicain, a largement vu sa cote dégringoler dans les sondages depuis qu’il s’est lancé dans la course, fin mai. A la tête de la Floride depuis 2018, cet ancien officier de marine âgé de 45 ans, engagé dans une croisade contre la « bien-pensance », s’est fait remarquer en multipliant les coups d’éclats ultra-conservateurs sur l’éducation ou l’immigration, mais se voit à présent reprocher son manque de charisme.
Vivek Ramaswamy
Vivek Ramaswamy a fait fortune dans les biotechnologies et qualifie les militants écologistes de « secte religieuse »: à 38 ans, ce novice complet en politique espère que son discours provocateur et incisif le propulsera jusqu’à Washington. Celui qui se plaît à s’imaginer en « Trump 2.0 » est toutefois redescendu en 4ème position dans les enquêtes d’opinion, après s’être hissé brièvement à la troisième place.
Chris Christie (et les autres)
Ancien gouverneur du New Jersey, Chris Christie, 61 ans, qui fut jadis un soutien de Donald Trump, est le candidat le plus critique à l’égard de l’ancien président. Dépeignant le milliardaire comme égocentrique et malhonnête, Chris Christie, connu pour son style combatif, n’a pas épargné ses autres rivaux, leur reprochant notamment leur réluctance à condamner les actions de l’ancien dirigeant. Il a toutefois peu de chances d’être élu, tout comme l’ancien gouverneur de l’Arkansas Asa Hutchinson et le pasteur et entrepreneur texan Ryan Binkley.