Pourquoi l’indépendance du Québec a de nouveau le vent en poupe
Pour la première fois depuis longtemps, les souverainistes du Parti québécois se maintiennent en tête des sondages. Mais nombre de Québecois hésitent encore à franchir le pas.
Tout commence par le rêve du Québec libre. Aux confins de l’ancienne Montréal industrielle, là où les francophones trimaient dans les usines des «Anglais», les chantres de l’indépendance tiendront salon le 24 juin au parc Maisonneuve, le poumon vert de Montréal. Dès la veille, cette fois à Québec, la capitale provinciale que les Québécois appellent «capitale nationale», tout ce que le Québec compte de nationalistes se donnera rendez-vous sur les plaines d’Abraham. Un choix étrange, symbole de défaite de la francophonie, puisque c’est là, en 1759, que les troupes françaises de Montcalm perdirent la Nouvelle-France face aux Britanniques du général Wolfe.
Comme chaque année, les Québécois viennent à ces célébrations en char (voiture), en bicycle à gaz (moto) et à pied. La foule, bon enfant, agite ses drapeaux fleurdelisés. Tant à Québec qu’à Montréal, les pitounes (jolies filles) en rangers se donnent rendez-vous pour les spectacles musicaux de quartier. Et toujours, place aux chanteurs de l’indépendance! Cœur de pirate, Claude Dubois, parfois l’éternel vétéran Robert Charlebois et des dizaines d’artistes entrent en scène. Nul doute que cette année, l’ode à l’indépendance se fera plus pressante. La souveraineté fait un retour en force dix ans après le départ du Parti québécois (PQ) du pouvoir et sa descente aux enfers dans tous les scrutins de la décennie.
Une Louisiane bis?
Sans donner l’indépendance gagnante en cas de tenue d’un référendum (comme en 1980 et 1995), tous les sondages montrent une forte remontée des tendances souverainistes. Les raisons de ce retour en grâce tiennent à trois facteurs: hausse phénoménale de l’immigration non francophone, crainte de la disparition du fait français au sein d’un Canada très majoritairement anglophone et, enfin, leadership du chef du Parti québécois, Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP).
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Avec l’élection de Justin Trudeau comme Premier ministre canadien en 2015, Ottawa a ouvert massivement les vannes de l’immigration, sans prévoir de logements pour les immigrants. Entre 1993 et 2013, le Canada a reçu annuellement quelque 250.000 immigrés. Leur nombre est passé à 271.000 en 2015, 341.000 en 2019, 434.000 en 2023. Il faut y ajouter environ 2,5 millions d’immigrants temporaires. «Le gouvernement fédéral doit comprendre qu’il est urgent de réduire le nombre d’immigrants temporaires si on veut que les Québécois puissent se loger, que nos enfants aient accès à des enseignants qualifiés, que nos malades soient soignés et que le déclin français soit inversé», a déclaré le Premier ministre du Québec, François Legault, le 10 juin.
Les prix de l’immobilier et des loyers se sont envolés, devenant inabordables pour les classes moyennes. Aux yeux des Québécois, Justin Trudeau en est le responsable. Ce dernier a privilégié une immigration asiatique, notamment indienne, pour diluer le fait français dans le multiculturalisme canadien. Ces immigrants du sous-continent indien ne parlent pas toujours français au Québec et surtout, ils ne veulent pas le parler dans de nombreux commerces où ils sont employés. A terme, les Québécois craignent de ressembler à la Louisiane, une province où la langue française n’est plus qu’un folklore du passé.
«Le gouvernement fédéral agite la menace de la suppression des pensions fédérales en cas d’indépendance.»
La peur du grand saut
Paul Saint-Pierre Plamondon profite de cette hypothèse et surfe sur la fibre nationaliste de ses concitoyens. Cet avocat de 47 ans, au visage de jeune premier et dont le discours est très articulé, a su en moins de deux ans relancer un sentiment indépendantiste que les médias anglophones, mais aussi Ottawa, s’évertuent à faire passer dans l’opinion comme un concept dépassé. De troisième aux élections d’octobre 2022, le PQ est désormais premier dans tous les sondages. «PSSP et la renaissance surprise du PQ», a même titré, le 12 juin, Le Journal de Montréal. Et même si les élections générales du Québec n’auront lieu que dans deux ans, les 32% d’intentions de vote pour le PQ, contre 25% pour le parti au pouvoir, la Coalition Avenir Québec de François Legault, usé par deux mandats, semblent durable.
Au-delà des belles paroles d’Ottawa, le fait français diminue partout au Canada. Hors Québec, de 6,6% en 1971, les francophones ne sont plus que 3%. François Legault, qui fut dans les années 2000 un ministre du PQ, a bien compris le danger politique de la remontée de son ancien parti dans les sondages. Début juin, il a créé un comité pour accroître l’autonomie du Québec dans le Canada. Plusieurs experts pensent qu’il n’a jamais renié ses convictions passées et qu’il pourrait même proposer l’indépendance pour doubler le PQ.
La principale embûche à l’indépendance sont les Québécois eux-mêmes. Certains, une minorité certes, sont fédéralistes. D’autres, les plus âgés, ont peur. Le gouvernement fédéral agite régulièrement la menace de la suppression des pensions fédérales en cas d’indépendance. Longtemps sous l’emprise économique et politique anglophone, les habitants de La Belle Province ont toujours redouté les réactions d’Ottawa par manque de courage, mais aussi par soumission historique. «Nous sommes des colonisés», confiait récemment ce professeur d’une école secondaire.
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Après tout, l’histoire de l’indépendance est intimement liée à un étranger, le général de Gaulle et son fameux «Vive le Québec libre», en 1967. Il existait bien alors quelques mouvements indépendantistes, mais la venue du président français a entraîné la création du PQ en 1968. Enfin, les dirigeants de ce parti, dont la seule raison d’être est l’indépendance, ont souvent craint d’employer le mot… «indépendance»! Lors du référendum de 1995, la question sur l’indépendance était si alambiquée, avec sa référence à une vague souveraineté-association avec le Canada, que personne ne savait ce que serait un Québec souverain.
Jusqu’à la nomination de PSPP, le mouvement souverainiste a aussi souffert d’un manque de leadership. Le dernier véritable chef du parti, Jacques Parizeau, a démissionné au lendemain du référendum de 1995. Le PQ a été à la dérive pendant la dernière décennie. D’aucuns ont même prédit sa disparition, car les immigrants, toujours plus nombreux, ne voient pas forcément l’intérêt d’un Québec indépendant. Pour les souverainistes, l’indépendance est toujours possible, à condition de ne pas trop attendre.
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