Donald Trump
Donald Trump © reuters

« Un éléphant dans un magasin de porcelaine »: pourquoi être réélu président est la seule porte de sortie pour Donald Trump

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Donald Trump collectionne les inculpations. Ce qui ne l’empêche pas d’écraser tous ses concurrents républicains en vue de la primaire. Sa popularité a même tendance à augmenter au fil des procès. Une situation « surréaliste » qui pourrait l’amener à s’auto-gracier une fois au pouvoir. Avec un chaos juridique en vue. « Sa seule porte de sortie est d’être réélu président », avance Serge Jaumain (ULB), historien et spécialiste de la politique aux Etats-Unis.

Serge Jaumain, en quoi la situation de Donald Trump est-elle inédite ?

La situation est surréaliste et inédite au regard de l’histoire des Etats-Unis. Mais on n’est plus surpris par rien lorsqu’on parle de Donald Trump. Il a multiplié les premières dans toute une série de domaines. Les créateurs de la Constitution n’ont d’ailleurs jamais imaginé cette situation où un président ferait l’objet d’autant de poursuites judiciaires, échappant à deux procédures d’impeachment, avant d’être à nouveau futur candidat et possible président.

Comment expliquer une telle popularité malgré toutes ces inculpations ? Les sondages donnent actuellement Trump devant Biden…

Il faut toujours rester prudent avec les sondages, d’autant le système électoral américain fait que tout dépend dans la victoire dans chaque Etat (« Winner takes all », NDLR.). En 2016, Hillary Clinton a gagné les élections en nombre de voix mais a tout de même été battue. Aujourd’hui, il est clair que Trump écrase tous les autres candidats à la primaire républicaine. Les sondages le donnent vainqueur avec 54% des voix, et son plus proche concurrent, Ron DeSantis, stagne à 17%. Avec une telle avancée, il est difficile d’imaginer qu’il y sera battu.

Trump jouit d’un électorat d’une fidélité absolue, qui lui a tout pardonné. Les groupes religieux les plus extrémistes l’ont soutenu et, d’autre part, il a été chercher de nombreux électeurs dans les classes populaires, a priori dégoûtées de la politique, et qui apprécient cette attitude d’éléphant dans un magasin de porcelaine.

En quoi les Républicains sont dans une posture délicate ?

Mike Pence, ex vice-président qui a pris ses distances avec Trump, illustre bien le problème des Républicains. Ceux qui osent critiquer Donald Trump perdent une partie de leur électorat potentiel, tant l’emprise de ce dernier est grande. La situation est donc très délicate pour le Parti républicain en tant que tel.

Un récent sondage révèle que 60% des Américains ne veulent ni de Trump, ni de Biden. Que peut-on en déduire ?

C’est un sondage intéressant car il montre surtout la perte d’enthousiasme d’une grande partie des Américains. Du côté républicain, on observe cette difficulté à trouver une alternative solide à Trump, et du côté démocrate, on ne peut pas dire que Joe Biden déchaîne les foules. Malgré un bilan politique et économique plutôt bon, ce qui est historiquement l’élément essentiel pour entrevoir une victoire lors d’un second mandat. Son âge dessert son image auprès de beaucoup d’Américains. Paradoxalement, le meilleur soutien de Joe Biden, celui qui peut le faire élire, c’est Donald Trump. Dans le sens où une série d’Américains vont se mobiliser pour soutenir Biden, non pas par enthousiasme, mais pour éviter Trump. Les deux forment un couple assez original.

Trump se sert-il des procès pour augmenter sa visibilité médiatique ?

C’est très clair, puisque Trump est omniprésent dans les médias américains. Il se sert de ces poursuites pour renforcer sa base électorale. Au fur et à mesure des procès, sa popularité à tendance à augmenter.

Cependant, ces procès lui coûtent très cher, il est en train d’utiliser les fonds mobilisés pour sa campagne – on parle de 40 millions de dollars – pour les financer. Il est tout de même très probable qu’il finisse par être condamné et sa seule porte de sortie est d’être réélu comme président. Il galvanise ses troupes en soulignant qu’il fait face à des procès politiques qui visent à l’empêcher de s’exprimer. Et la liberté d’expression est un élément important aux Etats-Unis.

Trump
Pour l’expert des Etats-Unis Serge Jaumain, Trump se sert des poursuites à son encontre pour renforcer sa base électorale.

Trump essaie-t-il de reporter un maximum les jugements pour profiter d’une possible grâce présidentielle ?

Oui, il multiplie au maximum les procédures contre les accusations dont il fait l’objet. S’il est élu président, Trump a déjà dit qu’il pouvait s’auto-gracier. En théorie, le président ne peut intervenir pour des grâces présidentielles que pour des procédures fédérales. Le procès qui l’accuse d’avoir tenté d’inverser les résultats aux élections de 2020 et celui relatif aux documents secrets sont fédéraux. En revanche, la procédure qui concerne Stormy Daniels se déroule dans l’Etat de New-York, tout comme celle qui a lieu en Géorgie, où il est accusé d’avoir essayé de détourner 11.000 voix. Pour les affaires juridiques d’un Etat, le président n’a aucun poids. Seul le gouverneur de l’Etat en question pourrait le gracier.

Que se passe-t-il s’il est en emprisionné ?

Un candidat peut être condamné et emprisonné. Il pourrait être privé de son droit de vote, mais pas de celui de se présenter. S’il est en prison au moment où il est élu président, les juristes vont s’arracher les cheveux. Il aurait doit à une protection rapprochée et pourrait plaider le fait d’être « empêché » d’exercer ses fonctions en prison. Qui peut statuer sur la question ? Le cabinet du président et du vice-président… La situation serait donc totalement inédite d’un point de vue juridique.

A quelle politique s’attendre en cas de réélection ?

La réélection de Trump serait un tsunami sur la scène internationale, avec le retour de positions très isolationnistes. Biden a eu du mal à tout reconstruire. Il est donc possible que la politique vis-à-vis de l’aide en Ukraine change. En 2016, Trump n’avait quasi aucune équipe autour de lui, personne ne s’attendait à ce qu’il soit élu. La différence est qu’aujourd’hui, il a une base beaucoup plus solide, avec des think tanks qui réfléchissent déjà à la future politique américaine à mener s’il est au pouvoir.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire