Trump Groenland
Trump veut racheter le Groenland et annexer le canal de Panama. Mais y parviendra-t-il? © AFP

Trump peut-il vraiment s’offrir le Groenland? «Les Américains pourraient passer en force»

Avant son investiture, le 20 janvier, Donald Trump a fait savoir sa volonté de racheter le Groenland au Danemark et d’annexer le canal de Panama. Des déclarations réitérées ces dernières semaines, parfois à coups de menaces. Trump parviendra-t-il à ses fins? Quelles conséquences pour les relations internationales? Eléments de réponse avec François van der Mensbrugghe, professeur de droit à l’Université Saint-Louis de Bruxelles.

Quelles sont les motivations de Trump derrière ses volontés de rachat du Groenland et l’annexion du canal de Panama?

François van der Mensbrugghe: L’une des raisons principales de l’intérêt de l’administration Trump pour le Groenland et le Panama a trait au changement climatique. C’est assez paradoxal dans la mesure où Trump et ses acolytes l’ont toujours nié, clamant que c’était un «canular». Le fait est que le réchauffement de la planète a sérieusement affecté ces deux régions.

Au Groenland, la calotte glaciaire diminue à un rythme effréné. La première conséquence de ce phénomène naturel est l’apparition de minéraux rares avec, à la clef, des gisements lucratifs à perte de vue. De charbon, d’uranium et d’une série de minéraux de grande valeur. Comme toujours aux USA, la vénalité de l’opération est sous-jacente.

L’autre conséquence du réchauffement climatique est d’ouvrir de nouvelles routes maritimes, par l’Arctique, offrant une alternative viable et économe au canal de Panama. Qui connaît une sécheresse redoutable depuis 2023. Le niveau du lac Gatún, qui fournit l’eau indispensable au fonctionnement du canal, a baissé de façon considérable. Le trafic a diminué de près d’un tiers au cours de l’année écoulée et des files d’attente de navires peuvent durer plusieurs jours, voire des semaines.

Sur cet arrière-fond se glissent bien sûr des intérêts stratégiques de contrôle des ressources et voies de navigation. La présence croissante de la Chine se fait sentir au Panama: construction d’une nouvelle ambassade surplombant le canal, demande de coupure des relations entre le Panama et Taïwan, présence massive à l’un des ports d’entrée du canal. Les Américains la trouvent saumâtre… Pour ce qui est du Groenland, ils y ont déjà une présence substantielle depuis 1941 via des bases militaires, mais le président Trump entend passer à l’étape supérieure. Il n’exclut pas le passage par la force.

Hélas, la réélection de Trump et le fait qu’il ait échappé à une tentative d’assassinat l’ont investi d’un rôle quasi-messianique. Il se croit tout permis.

François van der Mensbrugghe

Professeur de droit à l’Université Saint-Louis de Bruxelles

Eu regard au droit international, Trump peut-il racheter le Groenland ou annexer le canal de Panama? Et par quels moyens?

Ces rodomontades n’ont évidemment rien de légal. Le Panama est un Etat souverain, qui jouit d’un contrôle absolu sur le canal. Deux traités avaient été signés en 1977, actant la perte de contrôle des Etats-Unis sur le canal à partir du 31 décembre 1999 (contrôle que les Etats-Unis exerçaient depuis 1903). Aujourd’hui, le Panama n’a aucune intention d’abandonner sa souveraineté.

Les Américains ont déjà une présence substantielle depuis 1941 au Groenland, via des bases militaires, mais Trump entend passer à l’étape supérieure. © IMAGO/Steinach

Quant au Groenland, le territoire appartient juridiquement au Danemark, qui n’a à ma connaissance aucune intention de s’en séparer. Par ailleurs, plus de 80% de population du Groenland n’a aucune envie de devenir territoire américain.

Ses ambitions ont-elles des chances d’aboutir? Et quelles conséquences potentielles sur les relations internationales?

Dans les deux cas, les Américains pourraient passer par la force. Le président Trump ne l’a pas exclu et il n’est pas connu pour son respect des normes juridiques, à l’interne ou à l’international. L’homme n’est pas habité par des inhibitions naturelles et les contre-pouvoirs aux Etats-Unis sont actuellement en chute libre (Congrès, juridictions, presse…). Hélas, sa réélection et le fait qu’il ait échappé à une tentative d’assassinat en juillet 2024 l’ont investi d’un rôle quasi-messianique. Il se croit tout permis.

Le grand gagnant serait Vladimir Poutine, qui ne rêve de rien d’autre que de la fin de l’OTAN et la mise à l’écart du soft power américain.

François van der Mensbrugghe

Professeur de droit à l’Université Saint-Louis de Bruxelles

En cas de coup de force au Groenland, je pense sincèrement que ce serait la fin de l’OTAN. Le Danemark pourrait se plaindre devant l’ONU ou introduire une action devant la Cour internationale de justice, mais ce serait d’une utilité pratiquement marginale, un coup d’épée dans l’eau. Je pense que l’OTAN volerait en éclats tout simplement parce que les Etats-Unis et le Danemark en sont tous les deux membres, et qu’aucun autre Etat de l’OTAN ne défendrait les Etats-Unis. Difficile de parler d’une alliance dans ces conditions. 

L’Union européenne pourrait aussi connaître de fortes secousses vu les intérêts divergents de certains chefs de gouvernement. L’attractivité des Etats-Unis comme espace de liberté et garant d’un ordre mondial fondé sur le respect des normes serait grandement entachée. Le grand gagnant serait Vladimir Poutine, qui ne rêve de rien d’autre que de la fin de l’OTAN et la mise à l’écart du soft power américain. Poutine verrait aussi sa position en Ukraine confortée, car l’usage de la force par les Etats-Unis donnerait quelque part une légitimité à sa logique avec Kiev, à savoir assurer le contrôle de «son» espace vital. Tout cela n’augure rien de bon. Nous vivons une époque chaotique et cynique à l’extrême, et Trump n’occupe la Maison-Blanche que depuis… quinze jours.»

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