Trump de 2017 à 2025: la restitution du pouvoir «à vous, le peuple» a perdu de sa force
Lutte contre le wokisme, promotion des valeurs traditionnelles et illusion d’une société post-raciste: le 47e président américain prône une contre-révolution conservatrice, avec le soutien des plus riches.
Le contraste est frappant. Le discours d’investiture du 47e président des Etats-Unis à l’entame de son premier mandat le 20 janvier 2017 était empli de considérations générales. Un cocktail de «bonnes» intentions avec en point d’orgue le transfert du pouvoir, de la capitale Washington «à vous, le peuple américain», avait assuré Donald Trump. Celui qu’il a prononcé ce 20 janvier lors de l’inauguration de son second fourmillait de propositions concrètes. Sur la lutte contre l’immigration, la «libération» de l’usage des énergies fossiles, ou la restauration de la sécurité. L’exercice, plus long aussi que celui d’il y a huit ans, accrédite l’idée que Donald Trump est mieux préparé, qu’il est plus professionnellement entouré, et qu’il sait d’emblée ce qu’il mettra en œuvre dans certains domaines.
La protection du peuple contre les politicards est moins appuyée qu’elle ne l’était en 2017.
Des constantes de 2017 à 2025
Le milliardaire a cependant conservé quelques obsessions. La dénonciation de la cécité des décideurs de Washington, en premier lieu. «Pendant trop longtemps, un petit groupe dans notre capitale a récolté les avantages du gouvernement tandis que le peuple en a assumé le coût», affirmait-il en 2017. «Pendant de nombreuses années, un establishment radical et corrompu a soutiré pouvoir et richesse à nos citoyens, tandis que les piliers de notre société étaient brisés et semblaient complètement délabrés», a-t-il énoncé cette année. La protection du peuple contre les politicards est cependant moins appuyée qu’elle ne l’était. Le 47e président des Etats-Unis s’est même permis une manifestation de compassion à l’égard de «certaines personnes les plus riches et les plus puissantes de notre pays» affectées directement par les incendies de Los Angeles que le gouvernement Biden, évidemment, n’a pas réussi à prévenir ou à contenir. «Ils n’ont plus de maison», a même lâché Donald Trump. Les habitants les plus défavorisés de Los Angeles auront été touchés.
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Autre constante entre le 45e et le 47e président américain, la critique du gaspillage des deniers publics à l’étranger et la naïveté face aux règles du commerce international par rapport à d’autres nations. «Pendant des décennies, nous avons enrichi l’industrie étrangère aux dépens de l’industrie américaine», déplorait Donald Trump en 2017. «Au lieu de taxer nos citoyens pour enrichir d’autres pays, nous imposerons des tarifs et des taxes aux pays étrangers pour enrichir nos citoyens», a-t-il promis avec plus de précision cette fois-ci.
La gestion de la question migratoire est pareillement un leitmotiv de Donald Trump à travers les présidences. Quelle différence en effet entre le «nous avons défendu les frontières d’une autre nation tout en refusant de défendre les nôtres» de 2017 et le «nous avons un gouvernement qui a accordé un financement illimité à la défense des frontières étrangères, mais qui refuse de défendre les frontières américaines» de 2025? Pas même une feuille de papier à cigarette, sauf qu’entre les deux, Donald Trump a été président pendant quatre ans et que son successeur n’aurait apparemment pas fait prospérer ses acquis…
De nouvelles intonations
A côté des lignes directrices intangibles du deux fois locataire de la Maison-Blanche, des intonations nouvelles ou davantage affirmées ont été imprimées lors de son nouveau discours d’investiture. On l’a dit plus haut, ses intentions sont plus concrètes, témoignant d’une assurance sans commune mesure avec celle, déjà grande malgré tout, qu’il affichait il y a huit ans. Elle est sans doute permise par la force qu’il est persuadé de pouvoir retirer de sa victoire, large mais pas pour autant massive, lors de l’élection présidentielle du 5 novembre 2024. Quand en 2017, il affirmait sobrement que «le même sang patriote court dans nos veines, nous jouissons tous des mêmes libertés, et nous saluons tous le même grand drapeau américain, que l’on soit noir, métis ou blanc», aujourd’hui, il s’autorise à affirmer, grandiloquent et présomptueux, que «la nation tout entière est en train de s’unifier rapidement derrière notre programme, avec une augmentation spectaculaire du soutien de pratiquement tous les éléments de notre société, jeunes et vieux, hommes et femmes, Afro-Américains, Hispano-Américains, Asio-Américains, urbains, suburbains, ruraux…» Donald Trump en rassembleur de la nation américaine? Ce n’est pas le premier sentiment qu’il inspirait pendant la campagne électorale quand il formulait des propos racistes, sexistes et homophobes.
Donald Trump en rassembleur de la nation? Ce n’est pas le premier sentiment qu’il inspirait pendant la campagne.
D’autres pans de son projet présidentiel inclinent à penser que la vision trumpienne de la nation exclut certaines minorités de genre ou de statut social. C’est en effet à une diatribe très agressive contre le wokisme, qui connaît des excès mais qui est, à l’origine, une défense de tous les droits humains, que s’est adonné le président milliardaire. «Cette semaine, je mettrai […] fin à la politique du gouvernement qui tente d’intégrer la race et le sexe dans tous les aspects de la vie publique et privée. Nous allons forger une société qui ne tient pas compte de la couleur et qui est fondée sur le mérite. A partir d’aujourd’hui, la politique officielle du gouvernement des Etats-Unis sera qu’il n’y a que deux genres, l’homme et le femme», a annoncé Donald Trump. De la sorte, il opère un recul brutal par rapport à une évolution quasi générale dans les sociétés démocratiques occidentales, ce qui ne manquera pas d’inspirer d’autres gouvernements. Cette thématique était pour ainsi dire absente de son allocution de 2017.
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Même Martin Luther King…
Une société qui ne tient pas compte de la couleur, bel idéal. Le 47e président américain s’est même permis de convoquer Martin Luther King, défenseur des Noirs et promoteur de leurs droits civiques dans les années 1960-1970, pour soutenir cette ambition. Remerciant les communautés noire et hispanique pour «l’immense élan d’amour et de confiance» qu’elles lui ont témoigné dans les bureaux de vote le 5 novembre, Donald Trump a promis qu’il ne les oublierait pas. «Aujourd’hui, c’est la journée Martin Luther King et en son honneur […] nous nous efforcerons ensemble de faire de son rêve une réalité.»
Sauf que l’idéal d’une société qui ne tient pas compte de la couleur de peau, le pasteur noir en rêvait au sein d’une nation débarrassée du racisme. C’est loin d’être le cas. On peut même estimer que c’est de moins en moins le cas. Or, les régressions dans ce domaine sont souvent le fait tantôt de supporters de Trump tantôt de dirigeants de son Parti républicain. Les violences policières dont sont victimes les membres de la population noire, au-delà de l’emblématique figure de George Floyd tué le 25 mai 2020 à Minneapolis, et les restrictions au vote des membres de cette même communauté dans les Etats dirigés par des républicains en témoignent à suffisance. Donc, si le discours de Martin Luther King reste aujourd’hui d’actualité, c’est au titre des inégalités persistantes entre Noirs et Blancs, pas à celui de l’avènement d’une société post-raciale qui ne sera possible qu’une fois celles-ci éliminées. Le 46e président blanc de l’histoire des Etats-Unis n’en a cure. Du moment que son nom peut être associé à une des figures les plus illustres de l’histoire des Etats-Unis…
Le bonimenteur de 2017 est-il devenu gourou?
«Sauvé par Dieu»
Le retour aux valeurs «traditionnelles» est un autre des accents du nouveau Trump. Il s’exprime dans sa décision de renommer le mont Denali, en langue koyukon parlée par un peuple autochtone, en mont McKinley, en référence au 25e président des Etats-Unis concepteur d’une législation visant à… protéger les entreprises américaines de la concurrence étrangère. Il se manifeste aussi dans les accents religieux du discours de Donald Trump, plus nombreux que chez ses prédécesseurs.
Ce recours plus intense a été permis par l’épreuve réelle endurée par le président lors de deux tentatives d’assassinat en 2024 pendant la campagne électorale. Soutenant avoir été mis au défi plus que tout autre président américain au cours des huit dernières années, il a dit croire encore plus aujourd’hui que sa vie a été sauvée pour une raison: «J’ai été sauvé par Dieu pour que l’Amérique redevienne grande.» Le bonimenteur de 2017 est-il devenu gourou? Pour le plus grand péril des Etats-Unis, des Américains, et de la démocratie?
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