Trois universités américaines accusées de ne pas faire assez contre l’antisémitisme: la polémique continue à enfler
Depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas, de prestigieuses universités américaines sont la cible de toutes les attaques, accusées de ne pas faire assez contre l’antisémitisme sur leurs campus.
La polémique a déjà coûté son poste à une présidente d’université et pourrait avoir des retombées sur la liberté d’expression dans les facultés, notamment sur le discours pro-palestinien, avertissent certains observateurs. Retour sur une affaire dont s’est emparée la classe politique et qui n’en finit pas de susciter des réactions aux Etats-Unis.
Où en est-on aujourd’hui?
Sommée de démissionner par des élus et des donateurs après une audition tendue devant le Congrès la semaine dernière, la présidente de Harvard, Claudine Gay, a échappé à la sanction: l’instance dirigeante de son établissement lui a renouvelé sa confiance. La présidente du Massachusetts Institute of Technology (MIT) Sally Kornbluth a elle aussi reçu le soutien de son institution. Mais après d’intenses pressions, Elizabeth Magill, la présidente de l’université de Pennsylvanie (UPenn) a dû présenter sa démission.
Les trois responsables avaient été convoquées le 5 décembre par une commission parlementaire dont l’objectif affiché était de leur « faire rendre des comptes » après « d’innombrables manifestations antisémites ».
Que s’est-il passé pendant l’audition?
Les trois responsables ont été assaillies de questions sur la manière dont leurs établissements entendaient combattre l’antisémitisme. L’élue républicaine Virginia Foxx leur a notamment dit que leurs universités comptaient des enseignants et des étudiants qui « haïssent les juifs, haïssent Israël », en dénonçant une « déliquescence intellectuelle et morale » sur leurs campus.
Les échanges qui leur ont valu d’être clouées au pilori sont intervenus après des questions offensives de l’élue de la droite trumpiste Elise Stefanik.
Mme Stefanik a notamment assimilé les appels de la part de certains étudiants à l' »intifada » – terme arabe signifiant « soulèvement » et renvoyant notamment à la première révolte palestinienne de 1987 contre l’occupant israélien – à une exhortation à un « génocide contre les juifs en Israël et dans le monde ».
Lorsque l’élue lui a demandé sans détour si « appeler au génocide des juifs violait le règlement sur le harcèlement à Harvard, oui ou non? », Claudine Gay a répondu « cela peut, en fonction du contexte », avant d’ajouter « si c’est dirigé contre une personne ».
Visiblement soucieuses de ne pas remettre en cause le sacro-saint droit à la liberté d’expression et de coller à la politique de leurs établissements, les trois responsables s’en sont tenues dans leurs réponses à une ligne très légaliste.
« Si le discours devient acte, cela peut devenir du harcèlement », a répondu Mme Magill à la même question. « C’est une décision qui dépend du contexte ». Sally Kornbluth a de son côté répondu n’avoir « pas entendu d’appels au génocide des juifs sur notre campus ». « J’ai entendu des slogans pouvant être antisémites, selon le contexte », et « cela ferait l’objet d’une enquête pour harcèlement si c’était répandu et grave », a dit la responsable, qui a rappelé être juive pendant l’audition.
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Qu’en pensent les experts?
Leurs réponses, devenues virales, ont provoqué un tollé jusqu’à la Maison Blanche, dont un porte-parole, Andrew Bates, a jugé « incroyable que cela doive être dit: les appels au génocide sont monstrueux ».
Mercredi, la Chambre des représentants a adopté une résolution condamnant leurs propos – le vote a montré que les démocrates étaient divisés sur le texte.
Pourtant des voix se sont élevées chez certains experts et universitaires pour dire que les trois femmes n’avaient pas tort.
« Oui, le contexte compte », ont ainsi écrit dans une tribune publiée dans le Los Angeles Times Eugene Volokh, professeur de droit à UCLA, et Will Creeley, de la Fondation pour les droits et l’expression individuels.
« Appeler à l »intifada’ pendant une marche pacifique est généralement une déclaration politique protégée » par le principe de la liberté d’expression, ont-ils ajouté.
« Mais dans un contexte différent, un slogan d »intifada’ peut constituer une véritable menace – si par exemple, quelqu’un disait cela à un étudiant israélo-américain tout en avançant de façon menaçante vers cet étudiant pendant une manifestation devenue violente. Et associé à d’autres comportements ciblés et inopportuns, cela pourrait constituer un harcèlement discriminatoire punissable », ont-ils dit.
Pour Jenna Leventoff, de l’organisation de défense des droits civiques ACLU, le Premier amendement de la Constitution américaine « et les principes de la liberté académique exigent que les établissements d’enseignement supérieur garantissent tous les discours protégés – même lorsque ces discours sont controversés ou offensants ».
Et Ryan Enos, professeur de sciences politiques à Harvard, estime que « les conservateurs veulent faire cesser la liberté d’expression sur les campus« . « Ils ont déjà réussi dans une certaine mesure à faire taire les voix pro-palestiniennes sur les campus universitaires », a-t-il dit à l’AFP.