Présidentielle américaine: «Kamala Harris apporte un élan qui manquait à la campagne de Biden» (entretien)
«Les jeunes, les femmes, les Afro-Américains qui, sans doute, ne se seraient pas déplacés pour aller voter sont galvanisés», estime la juriste et américaniste Anne Deysine.
De nombreux ténors du Parti démocrate et, selon un sondage de l’Associated Press, une majorité des délégués élus lors des primaires, se sont ralliés à la candidature de Kamala Harris pour l’élection présidentielle du 5 novembre prochain après la décision de Joe Biden de se retirer. La voie semble donc dégagée pour la vice-présidente sortante, au moins dans cette première phase qui concerne les militants de son parti. Ensuite, face à la radicalité de Donald Trump et des républicains, ce sera une autre épreuve. Quelles sont ses chances? Eléments de réponse avec Anne Deysine, juriste et américaniste, professeure des universités en France, et autrice de Les Etats-Unis et la démocratie (L’Harmattan, 2019).
La candidature démocrate à l’élection présidentielle du 5 novembre prochain peut-elle encore échapper à Kamala Harris?
Malgré l’humilité et le sens politique dont elle a fait preuve en annonçant qu’elle comptait mériter la nomination par les délégués, l’appel à l’unité a été entendu. Le président Biden lui a apporté son soutien et, immédiatement, plusieurs délégations des Etats et plusieurs gouverneurs, y compris certains qui auraient pu être candidats, comme Gavin Newsom en Californie, lui ont apporté leur soutien.
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Une candidature rivale aurait-elle l’avantage de mettre en exergue un débat démocratique au sein du Parti démocrate, ou celui-ci a-t-il surtout intérêt à montrer son unité derrière Kamala Harris?
Il reste tellement peu de temps avant la convention (NDLR: du 19 au 22 août, à Chicago) que le parti a décidé de privilégier l’unité, même si les républicains les ont immédiatement accusés de fausser le jeu démocratique et de désigner une candidate dans le secret. Le sénateur de Virginie occidentale, Joe Manchin (NDLR: démocrate passé indépendant, il envisagerait de réintégrer le parti pour présenter sa candidature), a décidé de jouer les trouble-fêtes et semble vouloir contester cette nomination. Mais nombreux seront les élus démocrates qui feront pression sur lui, de façon à ce qu’il ne soit pas candidat, et que l’unité soit préservée.
Si Kamala Harris est désignée, le candidat à la vice-présidence devra-t-il, idéalement, être un homme, blanc, issu d’un swing state?
Il est vrai que c’est le profil de vice-président qui se dégage. Quatre noms sont évoqués. Trois sont des gouverneurs démocrates d’Etat pivot, Andy Beshear, le gouverneur du Kentucky, Josh Shapiro de Pennsylvanie et Roy Cooper, de Caroline du Nord, auxquels il convient d’ajouter le sénateur de l’Arizona Mark Kelly. La gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, a fait ses preuves et a été réélue avec une majorité très confortable. Mais je ne vois pas un ticket présidentiel avec deux femmes.
Quels sont les principaux atouts de Kamala Harris face à Donald Trump?
Elle a l’atout d’être une femme et Donald Trump a du mal à gérer les femmes puissantes. Elle est colorée et il aura du mal à résister aux insultes racistes. Elle a 20 ans de moins que lui. C’est donc lui qui est en difficulté et non plus Joe Biden. Elle sait aussi s’exprimer et se défendre. Elle saura sans doute utiliser les armes du procureur, puisqu’elle l’a été en Californie. Le débat devrait être intéressant.
Kamala Harris peut mettre en avant son combat pour le droit à l’avortement. Une élection présidentielle américaine peut-elle se gagner sur les droits des femmes et sur ceux des minorités?
Elle mettra bien sûr en avant le droit à l’avortement en rappelant et en martelant qu’il fut supprimé à cause des trois juges nommés par Donald Trump à la Cour suprême. C’est ce qu’elle fait déjà depuis un an dans les universités auprès des groupes de femmes noires, avec un succès notable. Mais il y a d’autres thèmes. Les attaques systématiques des Etats dominés par les républicains contre le droit de vote afin d’empêcher les minorités d’exercer leur droit. Et les dangers qu’une administration Trump ferait peser sur l’Amérique et la démocratie. A chaque fois, elle mentionnera le «projet 2025» de la fondation Heritage (NDLR: une série de propositions politiques de droite conservatrice avancées par ce think tank), devenu un élément dangereux dont Donald Trump essaie de se distancier. Mais comme le texte est rédigé par beaucoup de ses petits camarades, ce ne sera pas facile et on peut compter sur Kamala Harris pour le lui rappeler.
Sa gestion de la question de l’immigration peut-elle être un handicap pour Kamala Harris?
Bien sûr, elle sera attaquée sur ce sujet par les républicains, qui l’appellent «la tsarine de la frontière». Mais elle n’était pas en charge du dossier, c’est le président Biden qui décidait. Elle pourra rappeler que démocrates et républicains s’étaient mis d’accord pour réformer l’immigration, et c’est Donald Trump qui a interdit aux républicains de voter cette loi. Elle sera en butte aux attaques incessantes, aux publicités négatives, mais c’est déjà le cas depuis quatre ans. Donc elle saura se défendre.
«Donald Trump a du mal à gérer les femmes puissantes.»
Dans les Etats pivots, une candidature de Kamala Harris peut-elle doper les voix en faveur du camp démocrate?
Il faut attendre les premiers sondages. Mais d’ores et déjà, les jeunes, les femmes, les Afro-Américains, qui sans doute ne se seraient pas déplacés pour aller voter, sont galvanisés. Elle a apporté un élan, un réel enthousiasme qui manquait à la campagne de Joe Biden.
Une candidature de Kamala Harris peut-elle séduire davantage les «indépendants» qu’une candidature de Joe Biden?
Pour les indépendants, c’est difficile à dire. Toutefois, on peut déjà noter que des groupes d’indépendants ou de républicains qui ne voulaient pas voter Donald Trump ont rallié sa candidature. Les risques sont tellement élevés que si elle ne commet pas de faute majeure, il devrait y avoir un large rassemblement derrière elle.
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