L’entrée en lice de Kamala Harris dans le camp démocrate relance la course à la présidence des Etats-Unis. © Getty Images

Présidentielle américaine: pourquoi l’espoir a peut-être changé de camp avec Kamala Harris

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Même après quatre ans dans l’ombre de Joe Biden, Kamala Harris peut incarner une forme de renouveau. Mais la bataille contre un Donald Trump qui accumule les réussites s’annonce ardue.

Il fallait «renverser la table». La conjoncture était devenue trop compliquée pour que le Parti démocrate puisse encore espérer briguer la présidence des Etats-Unis, le 5 novembre prochain. Un sondage indiquait que 65% des électeurs démocrates souhaitaient que Joe Biden passe la main. Le remplacer était la dernière chance de nourrir encore l’espoir de l’emporter.

Cette perspective s’est imposée avec encore plus de vivacité après la séquence «Fight, fight, fight» orchestrée, avec un courage certain, par Donald Trump le 13 juillet lors d’un meeting à Butler en Pennsylvanie. «Tout lui réussissait. Il avait échappé à une tentative d’assassinat. Il avait retourné l’attaque à son profit. La Cour suprême l’avait libéré de tous les procès potentiels. La cour de Floride avait purement et simplement annulé une des procédures. Les milliardaires de la Silicon Valley affluaient pour lui donner de l’argent. Tout était aligné pour sa victoire alors qu’en face, le camp démocrate était en pleine panique», synthétise Nicole Bacharan, politologue, spécialiste des Etats-Unis.

«Tout était aligné pour la victoire de Trump alors qu’en face, le camp démocrate était en pleine panique.»

L’argent de la campagne

La tergiversation n’était plus permise. Trois jours après le discours du candidat Donald Trump à la convention républicaine de Milwaukee qui lui a fait un triomphe, son meilleur ennemi, le président sortant Joe Biden, miné qui plus est par le Covid, décide donc de jeter l’éponge. La décision en soi ne surprend pas. Son timing un peu. A la nécessité inéluctable de «renverser la table» s’est ajoutée l’urgence. Il ne reste plus qu’une centaine de jours pour mener campagne.

Cet impératif sert logiquement la vice-présidente sortante, Kamala Harris. Pour une raison très pragmatique, bien en phase avec le fonctionnement du théâtre politique aux Etats-Unis: l’argent. «Kamala Harris a l’avantage d’avoir accès aux fonds de campagne. Ceux-ci ont été levés par le ticket Biden-Harris. Donc, elle en bénéficie elle-même. Avec un autre candidat, ce serait un peu compliqué d’y parvenir», précise Nicole Bacharan. Une aubaine qui se révélera d’autant plus précieuse au lendemain de l’annonce du retrait de Joe Biden. En 24 heures, le 22 juillet, les comptes de la campagne démocrate se gonflent de 81 millions de dollars (74 millions d’euros), un record… Les milliardaires de la Silicon Valley retourneraient-ils à leurs premières amours?

Les partisans du droit à l’avortement verront sans doute en Kamala Harris une alliée. © GETTY IMAGES

Un faisceau de soutiens

La tâche sera rude. Le pari est loin d’être gagné. Mais Kamala Harris aurait pu craindre un début d’aventure électorale plus compliqué que celui-là. A côté des millions des donateurs, les déclarations de soutien à sa candidature émanant de hautes personnalités du parti et les promesses de vote en sa faveur des délégués dans les Etats affluent. Sa désignation comme candidate officielle du Parti démocrate devrait intervenir lors d’un vote début août, préalable à la convention de Chicago du 19 au 22 août. Il restera alors 75 jours à la vice-présidente sortante pour s’imposer comme future présidente.

On verra alors si l’enthousiasme et l’assurance, qui étaient jusqu’au 21 juillet l’apanage des républicains, ont vraiment changé de camp. Une certaine fébrilité émane en tout cas de l’équipe de Donald Trump depuis le renoncement du président sortant. Sans surprise, le milliardaire a fustigé «l’escroc Joe Biden» ramené à la condition d’usurpateur pour avoir exercé la présidence depuis 2020 au terme d’une victoire électorale qui lui a été volée, estime-t-il toujours. Son colistier James David Vance, dans ses premières déclarations publiques, après le transfert de flambeau à Kamala Harris, a dessiné les axes d’attaque qui seront développés contre elle. A été questionnée sa légitimité à être candidate. «L’idée de choisir le candidat du parti démocrate parce que George Soros, Barack Obama et quelques élites démocrates se sont réunis dans une pièce enfumée et ont décidé de jeter Joe Biden par-dessus bord, […] c’est une menace pour la démocratie», a fustigé le candidat républicain à la vice-présidence. A aussi été mis en cause le patriotisme de Kamala Harris. «Si vous voulez diriger ce pays, vous devez en être reconnaissant. Vous devriez éprouver un sentiment de gratitude. Et je n’entends jamais cette gratitude quand j’écoute Kamala Harris», a asséné J.D. Vance.

Kamala Harris aurait pu craindre un début d’aventure électorale plus compliqué que celui-là.

La probable future candidate à la présidence des Etats-Unis est née en 1964 à Oakland, en Californie, d’une mère d’origine indienne, Shyamala Gopalan, oncologue spécialiste du cancer du sein, et d’un père d’origine jamaïcaine, Donald Jasper Harris, économiste, professeur émérite de l’université de Stanford. On se souvient que Donald Trump avait propagé en 2011 les rumeurs selon lesquelles Barack Obama était né au Kenya, et qu’en vertu de cela, il n’aurait pas pu être éligible à la fonction de président des Etats-Unis. «Elle a pour elle d’avoir 59 ans, d’être beaucoup plus jeune que Donald Trump. C’est une femme. Elle est issue des minorités. Elle pourrait incarner une forme de modernité qui manque au candidat républicain. Elle est Californienne, ce qui n’est pas un atout à l’échelle du pays. Elle est connue, mais pas tant que cela non plus», énumère Nicole Bacharan au rang des avantages et inconvénients du profil de Kamala Harris.

Des jeunes, des femmes, des Afro-Américains: le public cible de la candidate Kamala Harris? © Getty Images

Continuité et rupture

Sur des aspects plus fondamentaux de choix programmatiques, elle peut à la fois incarner une forme de continuité et de rupture avec la politique de Joe Biden. Du bilan de son «patron», elle peut retirer les atouts de la bonne santé générale de l’économie (croissance, faible taux de chômage, réindustrialisation…). Mais elle devra parer les critiques sur l’augmentation de l’inflation. Et elle peut dans le même temps laisser poindre la possibilité d’un renouveau dans l’intensité accrue du combat pour le droit à l’avortement et pour les droits des femmes en général, par une attention plus prononcée au sort des Palestiniens dans la guerre à Gaza, ou à travers une défense plus soutenue des droits des minorités. La fermeté dont elle a fait preuve dans le traitement de dossiers incluant cette dimension quand elle était procureure générale de Californie de 2011 à 2017 suggère cependant que leurs voix ne lui seront peut-être pas entièrement acquises… Mais ses prises de position sur les droits reproductifs et sur la protection des Gazaouis devraient sans doute lui attirer les suffrages de femmes et de jeunes que Joe Biden aurait été bien en peine de pouvoir encore récolter.

Il fallait «renverser la table». Les démocrates semblent en passe de mener cette opération sans la brutalité qu’elle aurait pu entraîner, préservant de la sorte l’électorat existant tout en s’offrant la possibilité d’en conquérir un autre. L’histoire dira si le pari a été couronné de succès. Mais y avait-il une autre solution?

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