Kamala Harris en campagne à Romulus le 7 août 2024, dans la banlieue de Détroit. Une zone contenant plusieurs swing counties qui pourraient faire basculer l'élection dans le Michigan. © ZUMA Press

Les «swing counties»: ces petites régions cruciales pour l’élection américaine

Pour atteindre les 270 grands électeurs nécessaires à leur victoire, Kamala Harris et Donald Trump viseront tout particulièrement les «swing counties». Des comtés capables de faire basculer des États à gauche ou à droite.

Tous les quatre ans, les Américains tournent leurs regards vers les «swing states». Ces États qui, d’une élection à une autre, votent tantôt démocrate, tantôt républicain. Quelques milliers de voix peuvent suffire pour que leurs grands électeurs, ceux qui représentent la population et votent (véritablement) pour élire le nouveau président, changent de camp. A ce titre, à une échelle plus locale, certains comtés hésitent eux aussi entre les deux partis. Ce sont les «swing counties». A l’image des «swing states», leur importance est telle qu’ils peuvent changer la couleur politique de l’État tout entier.

Quand les grandes villes donnent le ton

Un exemple: le comté de Mariposa, situé dans un de ces fameux «swing states», l’Arizona. Presque les deux tiers des Arizoniens y habitent, notamment dans la capitale Phoenix. Une importance démographique telle qu’il a fait basculer l’Etat côté républicain en votant majoritairement pour Trump en 2016. Quatre ans plus tard, Mariposa a penché pour Biden, et tout l’Arizona est retourné à gauche.

«Les citadins ont un niveau d’éducation plus élevé et sont plus diversifiés sur le plan ethnique, avec un vote plus à gauche, explique Serge Jaumain, professeur à l’ULB et spécialiste de l’Amérique du Nord. Les Etats acquis aux républicains sont d’ailleurs plus souvent dominés par la ruralité, avec un électorat plus populaire, blanc et sensible aux fake news.»

Le Nevada illustre lui aussi bien ce phénomène. Depuis 2008, il a été systématiquement remporté par les démocrates. Une performance notamment liée au fait que les deux comtés les plus peuplés de la région ont basculé en leur faveur: Clark (où se situe Las Vegas) et Washoe (avec son chef-lieu, Reno). Malgré tout, leur avance sur les républicains dans ces localités est parfois réduite, comme en 2016. Hillary Clinton avait alors remporté cet Etat avec une marge réduite: 47,92%, contre 45,5% pour Trump. Encore aujourd’hui, le Nevada est considéré comme un «swing state», cette fragilité des démocrates à Clark et Washoe y contribuant pour beaucoup.

La banlieue: un champ de bataille

Mais le véritable enjeu n’est pas vraiment situé dans les centres-villes, qui sont souvent des bastions démocrates fermement tenus. Il s’agit plutôt de la banlieue, confirme Serge Jaumain. Cette constatation est valable quasiment partout. Notamment à Atlanta. La capitale de la Géorgie est d’un bleu éclatant (la couleur des démocrates), mais littéralement entourée par une campagne très rouge (la couleur des républicains). Entre les deux figure une ceinture de «swing counties». En 2020, c’est surtout dans cette périphérie que Biden a grignoté des voix. Un apport crucial puisque cela lui a permis de remporter cet Etat, à 12.000 voix de son adversaire.

A Détroit, dans le Michigan, c’est un peu plus compliqué. Les nombreux Afro-Américains habitant dans le centre sont généralement pour les démocrates. Mais en banlieue, la communauté blanche est divisée. Dans le comté de Washtenaw, à l’ouest, elle vote très à gauche. Détail important: le siège de l’Université du Michigan s’y trouve, d’où une population très éduquée et peu encline à soutenir les républicains.

Au nord de Detroit, le comté de Macomb, plus pauvre et traumatisé par la désindustrialisation, est indécis. En 2016, Donald Trump avait tenu des meetings dans le comté en blâmant les démocrates pour la paupérisation de cette région. Résultat: Macomb est passé de bleu à rouge, contribuant ainsi à faire basculer l’Etat entier côté républicain (à 9.000 voix près).

Aujourd’hui, ce comté fait toujours office de «swing county». «En 2020, Joe Biden avait déjà tenté de se rapprocher des victimes de la désindustrialisation, et il a mené de grands plans de réinvestissements dans ces régions sous son mandat. Il faudra voir ce que cela va donner dans les urnes», fait remarquer Serge Jaumain.

La campagne: un territoire à ne pas sous-estimer dans certains «swing states»

Reste qu’en 2020, Macomb est resté rouge. Ce qui n’a pas empêché le Michigan de redevenir bleu, essentiellement du fait des gains démocrates dans le reste de la banlieue de Détroit, ainsi que dans des villes moyennes du sud de l’Etat: Grand Rapids, Lansing, Kalamazoo.

Plus frappant encore: les démocrates ont réussi une percée dans le centre de l’Etat, le long du lac Michigan. Pourtant, outre la petite ville de Traverse City, il s’agit essentiellement d’une zone rurale, le terrain de jeu favori des républicains. Un comté, celui de Leelanau, est devenu bleu, et les autres dans son voisinage de plus en plus «rouge clair». Combiné aux gains en milieu urbain, cet apport a contribué à la victoire de Biden en 2020, avec 50,62% des voix.

«Puisque la victoire se joue à quelques milliers de voix, les partis doivent militer dans l’ensemble de ces Etats pour l’emporter, constate Serge Jaumain. Et si les campagnes sont a priori conservatrices, les démocrates peuvent y trouver des déçus de Donald Trump, comme c’est le cas en ville.» C’est ce qui s’est passé en 2020 dans le Wisconsin. En plus de leurs victoires dans les très peuplés comtés de Dane (là où se trouve la capitale Madison) et de Milwaukee, les démocrates ont fait quelques avancées dans les comtés ruraux. L’Etat, gagné par Trump en 2016, est ainsi redevenu bleu en 2020.

Ce principe s’applique également très bien à la Pennsylvanie, un Etat important puisqu’il compte pour 19 grands électeurs (un record parmi les «swing states»). Ici aussi, des villes comme Philadelphie, Pittsburgh et Harrisburg pèsent lourd, vu leur poids démographique. En 2020, les démocrates ont accru leur avance dans ces bastions citadins, mais ils ont aussi gagné des points jusqu’au plus profond de l’Etat. A l’extrême nord-ouest, ils ont réussi à faire basculer le comté d’Erie de leur côté. Les analystes américains considèrent que la direction que prendrait ce petit territoire en 2024 pourrait être représentatif de la Pennsylvanie toute entière. En 2020, Biden l’avait emporté sur le fil, avec 50,01% des voix.

En Caroline du Nord, la bataille pour les comtés ruraux est particulièrement acharnée. Jusqu’ici bastion campagnard des démocrates, le nord-est de ce «swing state» tend à devenir «bleu clair» depuis quelques années. Il pourrait suivre les comtés du sud, comme celui de Robeson, qui ont basculé dans le camp républicain avec Donald Trump et qui sont aujourd’hui clairement rouges. Les démocrates nord-caroliniens ont tenté de compenser ces pertes avec une percée dans les métropoles, voire en grignotant un peu dans la campagne plus à l’ouest. Des efforts insuffisants, puisque Trump l’a emporté en 2020 avec 49,93% contre 48,59% pour Biden. «Les campagnes, comme les villes, ne sont pas uniformes et les partis font feu de tout bois pour s’imposer dans ces Etats pivots. Chaque voix a un impact considérable.»

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