langage Trump
Donald Trump emploie un langage simple. C’est tout sauf accidentel… © Getty Images

Les secrets cachés derrière le langage de Donald Trump: «théorie du taser», «inonder la zone» et «hypnocratie»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Langage simple, saturation et sidération des médias, théorie du taser: la stratégie communicationnelle de Trump est loin d’être accidentelle. Elle relève d’un plan réfléchi, visant à «inonder» l’espace médiatique et, de la sorte, faire accepter plus facilement des idées extrêmes. «Trump sait où frapper: ses attaques sont chirurgicales.»

«We are doing a great job!». Vous reliez cette phrase à la voix de Donald Trump? C’est normal, elle est l’une de celles que le président américain prononce le plus souvent depuis son arrivée en politique. Courte, basique, superlative, la formule résume parfaitement le langage du président américain. Dont une grande partie de celui-ci pourrait être compris par les enfants de 9-10 ans, disent les linguistes.

Dans ses discours, Trump est adepte des phrases courtes: les mêmes groupes de mots sont répétés entre 7 à 8 fois en quelques minutes. Plus de 60% des termes employés par Trump sont d’ailleurs monosyllabiques: good, bad, strong, sad… Un contraste de taille avec Barack Obama, par exemple, dont certaines analyses montrent qu’il employait un vocabulaire jusqu’à trois fois plus riche que celui de Trump, avec un débit de parole lui aussi plus rapide.

Langage simple de Trump: tout sauf accidentel

«L’utilisation par Donald Trump d’un langage simple n’a rien d’accidentel, estime Nicolas Baygert, professeur en Communication politique (Sciences Po Paris, ULB). Les recherches soulignent une stratégie délibérée visant à créer un lien direct avec un large public et à générer de l’engagement, suscitant des réactions immédiates. Là où un langage plus sophistiqué ou conceptuel instaurerait une distance.»

La répétition de mots sous forme de mantras ou de phrasimages marquantes (MAGA, Golden Age, America First) «permet de marteler des idées fortes avec une efficacité redoutable du point de vue de l’ingénierie émotionnelle.»

Véritable outil de persuasion, le vocabulaire de Trump repose donc «sur des termes-clés répétés en boucle, façonnant un imaginaire politique où il se présente tel un promoteur immobilier rasant pour reconstruire et nous immergeant dans sa réalité alternative», explique le spécialiste.

Les recherches soulignent une stratégie délibérée de Trump visant à créer un lien direct avec un large public et à générer de l’engagement. Là où un langage plus sophistiqué ou conceptuel instaurerait une distance.

Nicolas Baygert

Docteur en sciences de la communication (Paris-Sorbonne, ULB)

Pour éclairer le sentiment dystopique que suscite l’agir communicationnel trumpien, Nicolas Baygert cite le concept développé par le philosophe hongkongais Jianwei Xun: l’hypnocratie. «Ce système repose sur un pouvoir opérant directement sur la conscience, créant des états altérés permanents par la manipulation de l’attention et de la perception.»

Chez Trump, comme chez son comparse Elon Musk, le contrôle ne passe pas par la répression de la vérité, mais par la multiplication des récits, analyse le professeur. «Comme l’indique Xun, tout point fixe devient ainsi impossible. L’incapacité des progressistes à appréhender la dimension affabulatrice du pouvoir les condamne à une marginalité stratégique perpétuelle.»

Langage de Trump: binaire et hors des conventions

De par son langage, Trump tente aussi de se présenter comme un représentant du peuple, opposé au système politique traditionnel. Un petit défi en soi, pour un milliardaire. «Au-delà du choix des mots, ses prises de parole se distancient fortement des discours politiques préparés, remarque Barbara De Cock, professeure en linguistique (UCLouvain). Trump ne respecte pas les conventions que la population associe au discours politique. Sur Twitter aussi, Trump, dès le début, publiait des messages moins conventionnels que ses compères. De la sorte, il se positionne comme un briseur de lignes.»

Le républicain emploie également une terminologie qui représente «une vision dichotomique du monde», binaire, avec les gentils d’un côté, et les méchants de l’autre. N’a-t-il d’ailleurs pas dit récemment que l’Europe était «méchante» avec les Etats-Unis, car elle n’achetait pas suffisamment de gaz américain à ses yeux. Ou encore que Zelensky était un «dictateur» sans élections. «C’est une conception infantile du langage qui fonctionne, puisqu’elle a séduit un nombre considérable d’électeurs américains à deux voire trois reprises.» Si toute personnalité politique doit évidemment vulgariser sa communication, «Trump semble aller au-delà des normes en termes de simplification», note Barbara De Cock.

Trump emploie une terminologie qui représente une vision dichotomique du monde.

Barbara De Cock

Professeure en linguistique (UCLouvain)

«Il utilise le même registre, qu’il s’adresse à un enfant ou à un chef d’Etat. Je pense que s’il était francophone, il tutoierait tout le monde», expliquait à ce propos la traductrice Bérengère Viennot, dans Libération.

Et lorsqu’il laisse des traces écrites, Trump ne déroge pas à sa règle. «It’s a great honor to be here with all of my friends. So amazing. I will never forget», avait-il laissé comme mot au mémorial de la shoah à Jérusalem, en 2017. Dans ce même recueil, son prédécesseur Obama avait écrit un paragraphe beaucoup plus détaillé et fourni en références historiques.

Langage de Trump: superlatifs et hyperboles

Le magnat de l’immobilier refuse donc de jouer ce jeu de la distinction formelle ou de la subtilité. «Au fond, il choisit de parler de manière très ordinaire. Ce choix est cohérent avec son comportement, ce qui laisse penser que son langage fait partie d’une stratégie organisée, indique Philippe Hambye, sociolinguiste et analyste du discours politique (UCLouvain). Dire que le langage de Trump est juste simpliste est un erreur de perspective. Il fait surtout de son naturel une arme, car il a remarqué que cela fonctionnait.» Friand des superlatifs et des hyperboles —«the best», «the biggest», « incredible»—, «Trump fait le choix de s’exprimer exactement comme un individu lambda le ferait dans la vie de tous les jours.»

Trump utilise toujours des termes très vagues, qui lui permettent de s’en sortir sans jamais répondre précisément sur le fond.

Manon Lefebvre

Maîtresse de conférences en civilisation des Etats-Unis à l’Université polytechnique des Hauts-de-France (Valenciennes)

C’est en donnant l’impression de parler comme monsieur et madame Tout-le-monde qu’il «embarque avec lui les Américains moins éduqués, qui s’identifient plus facilement au personnage», souligne Manon Lefebvre, maîtresse de conférences en civilisation des Etats-Unis à l’Université polytechnique des Hauts-de-France (Valenciennes). Ce langage simple fait partie intégrante de la stratégie électorale de Trump. «Sur des sujets dont il n’est pas expert, Trump utilise toujours des termes très vagues, qui lui permettent de s’en sortir sans jamais répondre précisément sur le fond.» Selon la spécialiste, il ne serait pas étonnant que Trump garde ce même rôle dans sa vie personnelle. «Sa vie passée dans l’immobilier lui a appris à toujours faire semblant, à donner l’impression de maîtrise, même lorsque ce n’est pas le cas.»

«Inonder la zone»

Au-delà du langage à proprement parler, Trump s’applique, encore plus depuis le début de son second mandat, à bombarder l’espace médiatique à coup de déclarations toutes plus abracadabrantesques les unes que les autres. Faire de Gaza une «Riviera» du Moyen-Orient (avec une vidéo made in IA pour l’illustrer), renommer le Golfe du Mexique en Golfe d’Amérique, ou encore faire du Canada le 51e Etat des USA.

C’est à l’idéologue américain d’extrême droite Steve Bannon, ancien conseiller de Trump, que l’on doit cette stratégie consistant à «inonder la zone», à savoir submerger les médias et le public d’un flux constant d’initiatives, de déclarations plus ou moins scandaleuses. Un «coup d’éclat permanent» dont l’objectif est de déréguler le récit médiatique pour imposer son agenda à l’usure. «Etant donné que les sorties de Trump sont systématiques, on peut penser qu’elles ne sont pas que le fruit du hasard, et qu’elles font partie d’un plan à l’égard des médias», estime Philippe Hambye.

Etant donné que les sorties de Trump sont systématiques, on peut penser qu’elles ne sont pas que le fruit du hasard, et qu’elles font partie d’un plan à l’égard des médias.

Philippe Hambye

Sociolinguiste et analyste du discours politique (UCLouvain)

Certes, tous les politiques ou presque utilisent l’effet d’annonce. George W. Bush, par exemple, s’inscrivait aussi dans un discours peu nuancé. «La différence, c’est qu’il le faisait de temps en temps. Trump, lui, appuie sur la fréquence et l’intensité de ses annonces. En cela, il est une espèce de concentré des phénomènes qui se retrouvent partout en politique», estime le sociolinguiste.

La saturation médiatique de Trump rend le travail d’opposition ou de fact-checking très complexe. Ceux qui veulent analyser ou contredire ne savent plus par quel bout prendre le problème, ou contre quoi lutter. «Il y a trop de causes simultanément. En signant une rafale de décrets, pour la plupart problématiques au niveau des droits humains, les militants et les journalistes se retrouvent vite désemparés», relève Manon Lefebvre.

Sidération et politique du taser

A la saturation, Trump ajoute la sidération. Cette stratégie s’est imposée comme la grille de lecture dominante pour donner sens au matraquage propositionnel trumpien. La politique du taser est une des analogies souvent utilisées pour mieux rendre compte de sa dynamique rhétorique. «Contrairement à l’idée de saturation («flood the zone») noyant le récit médiatique sous un flot erratique d’initiatives présidentielles, Trump fonctionne aussi par décharges brutales et ciblées, chaque annonce frappant un adversaire précis et déclenchant une panique morale immédiate», pointe Nicolas Baygert.

Mais l’effet ne s’arrête pas là: ces chocs successifs paralysent la riposte. «Médias, fact-checkeurs et opposants se retrouvent constamment en état de crise ad hoc, absorbés par la controverse du jour, la dénonciation ponctuelle empêchant la diffusion de tout contre-récit crédible», analyse encore Nicolas Baygert.

Trump fonctionne par décharges brutales et ciblées, chaque annonce frappant un adversaire précis et déclenchant une panique morale immédiate.

Nicolas Baygert

Docteur en sciences de la communication (Paris-Sorbonne, ULB)

Le taser vise les nerfs clés de l’adversaire. «Trump sait également où frapper: ses attaques sont chirurgicales —qu’il s’agisse du financement de l’Otan ou des débats sur la liberté d’expression et l’immigration en Europe.»

Là où une saturation médiatique pourrait être contournée, un coup de taser «immobilise et anesthésie. Plus qu’un simple brouillage, il s’agit d’un court-circuit stratégique, rendant impossible toute esquive et ralentissant toute contre-offensive structurée.»

Philippe Hambye abonde. «Avec l’effet de sidération, Trump dépasse le sens commun partagé. La saturation plonge les médias dans une sorte de normalisation. Si chaque jour, quelque chose vous scandalise, vous ne pouvez pas être scandalisé tous les jours. On peut ici parler ‘d’effet d’habituation’. Le fait de tirer tous azimuts amenuise les résistances petit à petit.»

Demander un bras, obtenir facilement une main

En allant dans l’excès, Trump fait aussi exister une idée, certes excessive au début, mais qui aura tendance à être ramenée dans des proportions plus acceptables au fil du temps, à imprégner le débat collectif. «Si vous demandez un bras, et que par la suite vous ne demandez plus qu’une main, demander une main paraît acceptable», illustre Philippe Hambye.

Typiquement, concernant les taxes douanières, Trump a finalement accordé un délai au Canada. «C’est parce qu’il est prêt à reculer. En étant extrême d’emblée, Trump fait apparaître ses compromis comme des ‘cadeaux’ dont il faut se satisfaire, alors qu’ils sont agressifs dans l’absolu. De la sorte, il rend ses demandes très relatives et permet de faire accepter une politique «A» parce qu’il a d’abord vendu une politique ‘triple A’».

En étant extrême d’emblée, Trump fait apparaître ses compromis comme des ‘cadeaux’ dont il faut se satisfaire, alors qu’ils sont agressifs dans l’absolu.

Philippe Hambye

Sociolinguiste et analyste du discours politique (UCLouvain)

Parmi tous les décrets qu’il signe, Trump sait pertinemment que certains seront recalés par la justice. «Il espère de la sorte qu’on ne se focalise par sur ceux auxquels il tient réellement. En se concentrant sur ses déclarations choquantes, l’opinion publique se pose moins des questions de fond sur ce qu’il est réellement en train de faire», relève Manon Lefebvre.  

Entretien du chaos et suspense

En théorie du chaos, Trump est perçu comme une instabilité créative. «Autrement dit, il est envisagé comme une force de transformation qui, bien que perturbant l’ordre établi, peut favoriser l’émergence de nouvelles structures et d’un nouvel équilibre», estime Nicolas Baygert.

De manière analogue, les actions et déclarations de Donald Trump relèvent d’un chaos délibéré, visant à bouleverser l’ordre existant, à susciter des réactions et à déstabiliser les normes et accords en place, tant en politique intérieure qu’étrangère. «Pour les accélérationnistes de son administration, cette imprévisibilité stratégique ne présente que des avantages, évacuant le risque d’une instabilité mondiale.» Great job…

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