
«L’effondrement de la démocratie américaine a commencé»: un professeur de Harvard tire la sonnette d’alarme à propos de Trump
Donald Trump est en train de transformer son pays en un Etat autocratique, affirme le politologue Steven Levitsky, professeur à l’université de Harvard. «Trump et ses alliés affichent un autoritarisme plus ouvert que celui de Viktor Orbán ou de Hugo Chávez. Ils célèbrent presque l’autoritarisme.»
Ce que Donald Trump a accompli durant les premiers mois de son second mandat en tant que président des Etats-Unis, peu l’avaient anticipé. Il veut, de son propre chef, abolir des droits constitutionnels, dissout des agences gouvernementales par décret présidentiel, et appelle désormais à destituer les juges qui tentent de le freiner.
De nombreux Américains voient se profiler de sombres nuages au-dessus de la démocratie américaine. L’un d’eux est Steven Levitsky, professeur à la prestigieuse université de Harvard et auteur du best-seller How Democracies Die. «Nous assistons à l’effondrement de notre démocratie, déclare-t-il. Sous Donald Trump, les Etats-Unis glissent vers une forme d’autoritarisme. Cette évolution ne sera probablement pas irréversible, mais les Etats-Unis ne sont, à l’heure actuelle, plus une démocratie.»
De quel type d’autoritarisme parlez-vous?
Je l’appelle l’autoritarisme compétitif: les institutions démocratiques formelles continuent d’exister, mais le contenu démocratique s’érode. Il existe toujours une compétition démocratique, mais elle est inéquitable parce que ceux qui détiennent le pouvoir manipulent les règles du jeu à leur avantage à l’aide des moyens de l’Etat. Il est probable que nous ne verrons pas de chars dans les rues, notre constitution restera en vigueur, l’opposition ne sera pas interdite et il y aura aussi des élections. Mais lors de ces élections, les républicains et les démocrates ne pourront plus partir du même point de départ.
Les premiers signes de cet autoritarisme compétitif sont-ils déjà perceptibles?
Le président et le gouvernement investissent les organes de l’Etat, comme le pouvoir judiciaire, les services de renseignement ou les instances de surveillance, avec des loyalistes. Ils purgent ces institutions et les utilisent pour exercer des pressions sur les adversaires politiques, les épuiser et réduire leurs chances de succès électoral. Parallèlement, ils tentent de contrôler ou de faire taire les voix critiques, comme les médias, les scientifiques et d’autres acteurs de la société civile.
«Ils célèbrent presque l’autoritarisme. Cela se manifeste dans l’enthousiasme avec lequel ils ignorent les injonctions judiciaires et attaquent les juges.»
Steven Levitsky
professeur
Si vous comparez les premières mesures politiques de Trump à celles d’autocrates, où voyez-vous des similitudes concrètes?
Les deux premiers mois du gouvernement Trump ne me font pas penser à Viktor Orbán en Hongrie, au parti PiS en Pologne, à Narendra Modi en Inde ou à Hugo Chávez au Venezuela. C’est pire. Trump et ses alliés sont plus ouvertement autoritaires que n’importe lequel de ces politiciens. Ils célèbrent presque l’autoritarisme. Cela se manifeste dans l’enthousiasme avec lequel ils ignorent les injonctions judiciaires et attaquent les juges.
La liberté d’expression est-elle toujours garantie aux Etats-Unis?
Dans une démocratie qui fonctionne correctement, les médias, les entrepreneurs, les scientifiques et les responsables politiques doivent pouvoir critiquer ouvertement le gouvernement sans craindre de conséquences personnelles. Aux Etats-Unis, un nombre croissant de personnes –des journalistes aux présidents d’université, en passant par des étudiants protestataires– doivent se demander s’ils peuvent s’opposer à Trump, car cela peut leur coûter quelque chose. Les membres républicains du Congrès semblent subir de fortes pressions de la part des partisans de Trump. Ils sont même menacés de violence pour qu’ils votent avec Trump sur des questions importantes, contre leurs propres convictions. Ce genre de choses, nous ne le connaissions jusqu’à présent que dans d’autres régions du monde.
Trump et ses collaborateurs suivent-ils un plan d’action?
Il existe un schéma classique: un aspirant autocrate doit d’abord prendre le contrôle des institutions chargées des enquêtes et de l’application du droit. La première décision de Trump en tant que président a été de nommer ses partisans à ces postes. Il a nommé son ancienne avocate Pam Bondi à la tête du ministère de la Justice, et Kash Patel à la tête du FBI.
«Il y a une probabilité non négligeable que Trump perde le contrôle de la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat en 2026.»
Steven Levitsky
professeur
Trump peut-il vraiment dominer les Etats-Unis comme Orbán domine la Hongrie?
Je ne le pense pas. Il est beaucoup plus difficile de modifier la Constitution aux Etats-Unis qu’en Hongrie. Il faudrait des majorités des deux tiers dans les deux chambres du Congrès. Ensuite, les trois quarts des Etats devraient ratifier la modification. En outre, l’opposition en Hongrie était bien plus faible que ne le sont les Démocrates chez nous. Il y a une probabilité non négligeable que Trump perde le contrôle de la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat en 2026.
La démocratie américaine ne devrait-elle pas être suffisamment résiliente pour résister à Trump? La séparation des pouvoirs, les «checks and balances», existent depuis plus de deux siècles.
Je dois malheureusement constater que le système de contrôle tant vanté de notre Constitution échoue actuellement. Nos pères fondateurs voulaient empêcher l’accession au pouvoir d’un tyran. C’est pourquoi ils ont créé un ensemble d’institutions: un parlement indépendant avec deux chambres, et un pouvoir judiciaire en grande partie indépendant. Ce qu’ils ne pouvaient pas prévoir, c’est qu’il y aurait un jour deux partis profondément polarisés, dont l’un serait entièrement dévoué au président en place. Jamais un président américain n’a eu autant de contrôle sur un parti que Trump en a sur les Républicains.
Vous aviez déjà mis en garde, avant l’entrée en fonction de Trump, contre le risque de basculement du pays dans l’autoritarisme.
C’est pire que ce que nous avions prévu. Premièrement, le nouveau gouvernement agit beaucoup plus vite et de façon plus radicale que ce que nous pensions. Deuxièmement, nous n’avions pas pris en compte Elon Musk. Il constitue un nouvel élément dans le scénario autoritaire. Je n’ai jamais vu, dans un système démocratique, une telle concentration de pouvoir politique, économique et médiatique que chez Musk. Avec son Department of Government Efficiency (DOGE), il inflige des dégâts dévastateurs à notre ordre constitutionnel. Il enfreint probablement notre Constitution et nos lois, mais personne ne le contrôle.
Pourquoi n’y a-t-il pas de manifestations de masse?
Beaucoup d’Américains sont naïfs. Ils considèrent la démocratie comme une évidence. A part une poignée d’immigrés, ils ne savent pas ce que signifie vivre dans une autocratie. C’est un énorme désavantage par rapport, par exemple, aux Allemands ou à certains Sud-Américains. Le résultat des élections a eu un effet décourageant sur les opposants à Trump. Ils sont épuisés et abattus.
«Les autocrates sont les plus dangereux lorsqu’ils sont populaires. Trump n’est pas un président populaire. Il n’a pas obtenu 50 % des voix à l’élection.»
Les Démocrates se laissent-ils surprendre?
Je compare cela à un combat de boxe de quinze rounds, dans lequel un des boxeurs assène mille coups dès le premier. Peut-être sera-t-il fatigué au quatrième round, mais dans le premier, il a déjà frappé si fort que son adversaire est sonné dans son coin. C’est ce qui arrive aujourd’hui aux démocrates. Ils sont submergés par un raz-de-marée d’attaques inattendues.
L’Amérique peut-elle encore stopper Trump?
Oui. Les autocrates sont les plus dangereux lorsqu’ils sont populaires. Trump n’est pas un président populaire. Il n’a pas obtenu 50 % des voix à l’élection, et son taux d’approbation est en baisse. Il se fait de plus en plus d’ennemis, par exemple à cause des licenciements dans le secteur public et de sa politique commerciale chaotique.
Et ensuite?
Cela semblera peut-être cliché, mais c’est vrai: ce sont les citoyens qui doivent défendre la démocratie. Nous devons construire une opposition active, avec des organisations de défense des droits civiques, des universités, des entreprises et des responsables politiques démocrates.
Y a-t-il quelque chose qui vous donne de l’espoir?
La forme d’autoritarisme que Trump poursuit n’est pas irréversible. Je pense que nous pouvons restaurer notre démocratie. Mais nous, les Américains, devons nous mobiliser.
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