Kamala Harris, l’avancée féministe de trop? L’élection 2024 ou la revanche de l’homme en colère
L’écart entre les sexes était annoncé. Il s’est confirmé: les femmes ont davantage voté pour Kamala Harris tandis que les hommes ont soutenu Donald Trump. Décryptage.
Le clivage entre les sexes était annoncé depuis des mois. Il s’est confirmé le 5 novembre: les femmes ont largement soutenu Kamal Harris, mais pas assez pour lui assurer la victoire. A l’échelle nationale, tous les sondages, notamment ceux de l’agence Associated Press, indiquent un «gender gap» attendu: un avantage de 10 points pour la démocrate chez les femmes (environ 54 contre 44) et un décalage exactement inverse en faveur de Donald Trump chez les hommes.
Si le fait que les femmes favorisent davantage les démocrates que les républicains n’est pas un phénomène nouveau, l’écart s’est creusé au cours des dernières décennies, en particuliers chez les jeunes électeurs. Une tendance surprenante, étant donné qu’une majorité des jeunes ont voté Joe Biden, et ce quel que soit leur genre. Un écart qui n’existait pas au sein de la précédente génération ni lors de l’élection de 2020.
Comment l’expliquer? Il y a évidemment la personnalité clivante de Donald Trump, sa condamnation pour agression sexuelle, sa rhétorique misogyne, à l’instar des qualificatifs retenus contre Kamal Harris – une femme «stupide» au «quotient intellectuel bas».
Il y a aussi la décision de la Cour suprême, en juin 2022, de mettre fin à l’avortement comme droit fédéral pour toutes les femmes. Un acte qui a entraîné quatorze Etats à interdire totalement la procédure, sauf exceptions très rares (NDLR : l’abrogation ne rend pas les interruptions volontaires de grossesse illégales (IVG) mais laisse à chaque Etat le choix de les interdire, ou non, sur son territoire). Un revirement historique dû à Donald Trump, lequel a nommé trois des six juges à la Cour suprême, laquelle a ensuite statué contre le droit à l’IVG. Logiquement, Kamala Harris a donc choisi de faire de l’avortement un axe majeur de sa campagne, encouragée par les référendums et le scrutin de mi-mandat, en novembre 2022, qui n’a offert qu’une courte majorité aux républicains, en partie parce que les femmes ont voté en masse contre eux.
Un fossé de plus en plus profond entre les jeunes électeurs
Le fossé entre les deux sexes s’explique par un glissement idéologique distinct. Là, les chiffres se révèlent plus frappants. Les jeunes femmes sont de tendance plus progressistes, et ce dans une plus grande mesure que leurs semblables masculins, comme le révèlent des études récentes. Un sondage réalisée par l’institut Gallup dévoilé par le New York Times, en avril 2024, montre que les jeunes femmes penchent de plus en plus à gauche, tandis qu’une part croissante de jeunes hommes se tourne vers des idées plus conservatrices. En chiffres, ça donne ceci: chez les 18-29 ans, en 2001, 24% des jeunes hommes se disaient progressistes, contre 25% en 2024. En 2001, 28% des jeunes filles se définissaient progressistes contre 40% en 2024. A l’inverse, en 2001, 28% des jeunes hommes se déclaraient conservateurs contre 30% en 2024. Chez les Américaines, cette proportion a baissé, passant de 28% à 19%.
Cet écart est en partie le fruit de #metoo. Ce mouvement n’a pas seulement libéré la parole féminine à l’égard du harcèlement, il a légitimé le sentiment d’injustice éprouvé par celles qui n’hésitent plus à l’exprimer. L’engagement politique des femmes s’est également renforcé au fil des années, notamment après la décision de la Cour suprême. Selon l’institut Gallup, leur progressisme s’est illustré dans leurs prises de position sur l’environnement, les armes et les discriminations raciales. S’ajoute à cela la fracture éducationnelle. Les positions progressistes tendent à augmenter avec les années d’études. Or, les Américaines sont nettement plus nombreuses que les Américains dans l’enseignement supérieur: 60% contre 40%.
En dépit de ces progrès, les inégalités entre les sexes restent fortes. Par exemple, en 2023, le salaire médian des femmes est de 18,5% inférieur à celui des hommes, selon l’OCDE.
Cela n’empêche pas le retour de bâton émanant de certains hommes à l’égard des femmes défendant l’émancipation. Pis, ce fossé de valeurs entre les jeunes a déjà des conséquences palpables dans l’arène politique.
La revanche de l’homme en colère
En réalité, la surprise provient du vote masculin : on observe non pas une mobilisation des femmes pour une candidate qui rétablirait et défendrait leurs droits, mais une mobilisation des hommes pour un candidat présidentiel le plus antiféministe de l’histoire moderne des Etats-Unis. En misant en priorité sur les électeurs, quitte à négliger et insulter les femmes, en intensifiant les tensions entre les genres, Donald Trump a gagné son pari. Sa pénétration parmi les minorités de couleur, en particulier chez les hommes, est aussi remarquable. L’accroissement de la proportion d’hommes noirs parmi ses électeurs relève de cette désinhibition. Et le fait que les hommes latinos soient plus enclins à voter pour lui est majeur. L’élection 2024, c’est la revanche de l’homme en colère. Tout se passe comme si les avancées en matière de diversité et les progrès réalisés par les femmes représentent une menace pour les hommes. Un tiers des hommes qui soutiennent Trump considèrent que les acquis des femmes ont été obtenus à leurs dépens, un chiffre qui passe à 40% chez les hommes de moins de 50 ans. Une femme à la Maison blanche aurait été l’avancée féministe de trop.
De son côté, Kamila Harris incarne un parti en quelque sorte «démasculinisé», en donnant de l’importance d’abord aux enjeux féminins. Enfin, entrée en campagne très tardivement, elle n’a pas réussi à faire la différence ni à imprimer son identité politique. Etre une femme, symboliser la diversité et une nouvelle génération d’élus sont des éléments qui auraient pu séduire des millions de progressistes. Ils sont aussi des repoussoirs. Aussi dans la quasi-totalité des Etats, même ceux remportés par les démocrates, Kamala Harris fait moins bien que Joe Biden, en 2020.
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