Lors de son investiture, Donald Trump a confirmé l’impulsion ultra-conservatrice qu’il souhaite donner aux Etats-Unis. © AFP

Investiture de Trump: «Tous les ingrédients sont réunis pour bouleverser l’ordre économique et social» 

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Dans un discours d’investiture aux allures de campagne électorale, Donald Trump a promis de sauver l’Amérique du «déclin». La salve de décrets signés dans la foulée de son allocution confirment le tournant ultra-conservateur, voire extrémiste, que prendront les Etats-Unis sous son second mandat. La révolution trumpienne pourrait toutefois se heurter à certaines limites.

«L’âge d’or de l’Amérique commence». Lundi, lors de son investiture officielle en tant que 47e président des Etats-Unis, Donald Trump a annoncé une série de réformes censées rendre «toute sa grandeur» à la première puissance mondiale.

Portant sur l’immigration, l’économie ou encore l’environnement, ces décisions – bien que fracassantes – n’ont en réalité rien de surprenant, tant elles occupaient déjà une place prépondérante dans la campagne du milliardaire américain. «Ses propos s’apparentent plus à des promesses électorales qu’à un véritable discours de président élu, souligne Serge Jaumain, professeur d’histoire à l’Université Libre de Bruxelles et spécialiste des Etats-Unis. D’ordinaire, les prises de position radicales sont réservées à la première phase électorale, à savoir les primaires. Ensuite, le candidat emprunte une posture plus modérée lors de sa campagne et surtout, une fois élu, il est tenu d’adopter un comportement rassembleur en tant que président du pays. Mais, encore une fois, Donald Trump a cassé tous les codes

Une révolution «à tous les étages»

En signant une dizaine d’executive orders (ou décrets présidentiels) au premier jour de son accession au pouvoir, Donald Trump rappelle ses intentions: agir vite, et cogner fort. Mais, contrairement à son premier passage à la Maison-Blanche, le républicain n’entend pas confondre vitesse et précipitation. «Il y a huit ans, la plupart de ses décrets avaient été rédigés de manière maladroite, se remémore Jérôme Jamin, professeur de sciences politiques à l’Université de Liège. Aujourd’hui, ils sont plus aboutis et semblent avoir fait l’objet d’un travail de fond pendant de longs mois. A quelques exceptions près (lire plus bas), ils sont correctement encastrés dans la législation américaine. Cette anticipation permettra à Trump d’éviter une humiliation similaire à celle de son premier mandat.»

Donald Trump veut surtout tourner la page des années Biden, en balayant d’un revers de main toutes les avancées chères à la cause démocrate. Retrait des accords de Paris sur le climat, réforme de la politique d’asile, levée des sanctions à l’égard de colons israéliens de Cisjordanie: le rétropédalage est acté à tous les niveaux. L’entrée en vigueur des droits de douane avec le Mexique et le Canada, tout comme le retrait de l’OMS, confirment en outre les désirs isolationnistes de Trump, pour qui seul le triomphe américain importe. En entérinant la libération de tous les assaillants du Capitole, y compris ceux condamnés à purger des peines de plus de 20 ans, Trump jette également le discrédit sur l’ensemble d’un sytème judiciaire trop «corrompu» et «politisé» à ses yeux. «Bref, c’est une révolution à tous les étages, résume Serge Jaumain. Aujourd’hui, tous les ingrédients sont réunis pour bouleverser l’ordre économique, institutionnel, environnemental et social. Ce renversement ultra-conservateur, qui va même jusqu’à frôler l’extrémisme sur certaines mesures (notamment liées à l’immigration), a pour objectif premier de marquer les esprits aux Etats-Unis, mais aussi en dehors. Le monde entier se prépare à une guerre commerciale et à une perturbation des équilibres géopolitiques.»

Pour conforter ses chances de succès, Donald Trump compte sur une administration disciplinée, qui lui obéit au doigt et à l’oeil. «Il ne veut plus être freiné comme en 2017 par des Républicains réfractaires, insiste Serge Jaumain. Il a donc fait une razzia dans l’administration et a placé, à tous les échelons, des personnes qui lui sont d’une fidélité absolue, quitte à ne pas disposer des compétences nécessaires à leur fonction.»

Un cocktail explosif

Reste avoir jusqu’où le président élu pourra aller dans le remodelage de la société américaine. «Donald Trump devra composer avec les limites institutionnelles, rappelle Serge Jaumain. Les Etats-Unis restent un Etat constitutionnel et une démocratie, même si les bases de cette dernière vacillent dangereusement.» D’autant que la portée de ces executive orders reste limitée. «Ces décrets n’ont pas le même poids qu’une loi, rappelle Jérôme Jamin. Ils donnent des directions à l’administration, mais rien ne garantit qu’ils puissent être réellement mis en oeuvre. Certains feront sans doute l’objet d’une bataille politico-judiciaire ou d’une invalidation constitutionnelle, comme celui relatif au droit du sol pour garantir le droit à la citoyenneté. Les blocages risquent d’arriver rapidement et de plonger le pays dans un climat détestable.» D’autres décrets se révèleront difficilement praticables dans les faits, notamment l’expulsion des migrants dits «illégaux». «Comment Donad Trump va-t-il s’y prendre? s’interroge Serge Jaumain. Les placer dans des centres fermés coûterait une fortune, et les ramener dans leur pays d’origine engendrait la mobilisation d’énormément de personnel.»

Malgré ces limites, Donald Trump pourra toutefois compter sur une majorité républicaine (bien que limitée) au Congrès, ainsi que sur le soutien d’une Cour Suprême ancrée à droite. Surtout, le milliardaire bénéficie de l’assentiment des géants de la tech et des plus grands patrons du globe. Il surfe également sur la vague d’une presse traditionnelle affaiblie et de l’émergence de puissants influenceurs conservateurs. «Ajoutez à ça la disparition récente des outils de modération sur les réseaux sociaux, et vous obtenez un cocktail très inquiétant», tranche Serge Jaumain.

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