Ils sont fous, ces Américains? 7 clés pour comprendre le retour de Trump au pouvoir
Donald Trump va faire son retour à la Maison-Blanche. Le résultat de choix payants pendant la campagne et d’un contexte favorable.
Le verdict de l’élection présidentielle américaine est sans appel. Entre 2020 et 2024, Donald Trump a gagné entre 1 et 12 points dans presque tous les États du pays, et il pourrait bien remporter l’ensemble des États décisifs, les swing states. En comparaison, les démocrates n’ont progressé que dans l’État de Washington (d’un seul point).
Une défaite si lourde qu’elle peut paraître déroutante pour les Belges: un sondage de Gallup pour Europe Elects, publié le 4 novembre, révélait que 78% des Belges auraient voté pour Kamala Harris contre 22% pour Trump. «Ce choix semble incompréhensible pour les Européens: comment un homme aussi vulgaire et agressif peut séduire les Américains?», commente Michel Hermans, politologue à l’Université de Liège. Plusieurs facteurs peuvent malgré tout éclairer ce résultat.
1. L’inflation fatale pour les démocrates
Selon une enquête de l’Associated Press, l’économie est la principale motivation des électeurs en faveur de Donald Trump. «Le problème, c’est qu’à l’arrivée de Biden au pouvoir, l’économie était dans un état catastrophique en raison du Covid et de plusieurs décisions prises sous Trump», explique Tanguy Struye, professeur de relations internationales à l’UCLouvain et spécialiste des Etats-Unis.
L’inflation a ensuite fortement augmenté après l’invasion de l’Ukraine, jusqu’à atteindre 9,1% en juin 2022. «L’administration Biden a pris des mesures pour la faire baisser et pour ramener certaines industries aux Etats-Unis, mais les effets commencent seulement à se faire ressentir.» Entretemps, Donald Trump a pu faire de l’inflation l’un de ses principaux arguments de campagne. «La frustration en politique, c’est que Trump pourrait revenir au pouvoir dans un pays à l’économie à nouveau solide, même s’il risque de compromettre le travail accompli par les démocrates», pointe Tanguy Struye.
2. Un sentiment de déclassement chez les blancs
L’immigration constitue le deuxième grand incitant à voter républicain, selon l’enquête de l’Associated Press. Pour Michel Hermans, cette tendance est liée à l’impression que l’Amérique «se meurt» chez une part importante de la population blanche américaine. «Elle sait que d’ici 2050, elle pourrait représenter moins de la moitié de la population, contre 59% aujourd’hui, alors que les Etats-Unis se sont construits autour d’elle,» explique-t-il. Cette diminution démographique alimente une peur de l’immigration, un thème central de la campagne de Donald Trump.
Selon Edison Research, cité par NewsWire, l’électorat blanc devrait représenter 71% des votants en 2024, contre 67% en 2020. Une augmentation notable, étant donné que cette communauté vote en majorité pour Trump, à 55% d’après les chiffres de CNN. Aucun autre groupe ethnique ne lui est aussi favorable.
3. Une Amérique rurale séduite par Trump
Le ressentiment des blancs envers les démocrates est particulièrement fort dans les zones rurales, où Trump a remporté un large soutien, observe Tanguy Struye. «Cette partie de la population se sent totalement abandonnée», explique-t-il. En moyenne, ces Américains sont moins aisés, plus isolés (notamment dans la «Bible Belt», région conservatrice du Sud-Est), ont un niveau d’éducation plus faible, et donc moins d’opportunités d’emploi. «Même dans le Texas profond, riche en pétrole, la mentalité reste celle des anciens agriculteurs, et les valeurs des grandes villes ne correspondent pas à leur mode de vie», ajoute Michel Hermans.
Pour l’universitaire néolouvaniste, la rhétorique simpliste de Donald Trump «parle» à cet électorat. «C’est l’Amérique des origines», illustre son collègue liégeois, qui souligne l’importance de la religion dans la stratégie républicaine pour séduire cette frange très croyante de la population. Une semaine avant l’élection, Donald Trump assistait d’ailleurs à un sommet national sur la foi, organisé à Atlanta par sa «conseillère spirituelle», l’évangéliste ultra-conservatrice Paula White Cain.
4. Les démocrates en perte de vitesse dans leurs bastions
Pour l’emporter, Kamala Harris devait mobiliser au maximum ses principaux réservoirs de voix: les communautés noire, latino et musulmane. C’est un échec. Selon l’Associated Press, environ huit électeurs noirs sur dix l’ont soutenue, contre neuf sur dix pour Biden en 2020. Du côté des électeurs latinos, un peu plus de cinq sur dix ont voté pour elle en 2024, contre six sur dix en 2020. L’Edison Research note aussi que la part des électeurs noirs et latinos a diminué cette année, passant respectivement à 11% et 12% des votants, contre 13% pour chaque groupe il y a quatre ans. «Ce changement est probablement lié aux difficultés économiques et sociales que ces communautés rencontrent, même si des analyses supplémentaires seront nécessaires pour le confirmer», commente Tanguy Struye.
Ces pertes de soutien sont particulièrement dommageables dans les états clés. Les Afro-Américains sont nombreux en Géorgie et en Caroline du Nord, tandis que les Latinos représentent une part importante des électeurs en Arizona et dans le Nevada. Dans le Michigan, c’est la communauté musulmane qui joue un rôle crucial, mais celle-ci pourrait avoir été déçue par la timidité des démocrates à condamner la guerre menée par Israël au Proche-Orient. D’après l’Associated Press, tant les démocrates que les républicains ont perdu du soutien parmi les électeurs musulmans, avec une baisse de deux points pour les démocrates et de cinq pour les républicains. Certains de ces votes ont peut-être été reportés sur une petite candidate, Jill Stein, écologiste critique d’Israël, qui réalise un de ses meilleurs scores au Michigan avec 0,7 % des voix.
5. Les jeunes particulièrement influencés par les réseaux sociaux?
Les jeunes auraient également pu être un atout pour Kamala Harris. Bien que 55% des 18-29 ans aient voté en sa faveur (contre 42% pour Trump), leur taux d’abstention a été plus élevé. Ils ne représentent en effet que 14% des votants, tandis que les 50-64 ans — la tranche d’âge la plus conservatrice — en constituent 27%, rapporte CNN.
Ont-ils pu être influencés par la vague de désinformation attribuée à Elon Musk, fervent soutien de Trump et dirigeant de X? Cela reste à prouver, mais c’est possible, estime Tanguy Struye. Quelques indices montrent déjà que les jeunes sont plus réceptifs à ce qui circule en ligne.
Des études du Pew Research Center révèlent qu’en 2024, les jeunes représentent de loin le groupe d’âge faisant des réseaux sociaux sa principale source d’information électorale. C’est le cas pour 46% d’entre eux, contre 23% pour les 30-49 ans et 7% pour les 50-64 ans. Ce sont également les premiers à se tourner vers X et TikTok, les deux plateformes les plus fréquentées par les Américains pour s’informer en politique. En 2022, une étude de l’Integrity Institute avait d’ailleurs montré que ces deux réseaux étaient aussi ceux où la désinformation circulait le plus.
6. Des médias américains de plus en plus soumis à Trump?
Au-delà des réseaux sociaux, Tanguy Struye se dit «surpris» par «la manière dont les médias américains ont traité l’élection». «À chaque insulte de Trump, ils restaient silencieux, alors que Kamala Harris était constamment critiquée. C’est vraiment problématique.» Il critique également l’influence de Jeff Bezos sur le Washington Post, qu’il possède, estimant qu’il a dissuadé le journal de soutenir Kamala Harris «par crainte de perdre des contrats avec la défense américaine» en cas de victoire de Trump.
Le professeur souligne aussi que les chaînes de télévision américaines s’adonnent de plus en plus à la course à l’audience, en réponse à la concurrence des réseaux sociaux qui affecte leur chiffre d’affaires. Fortune rapportait en 2023 que depuis 2005, les États-Unis ont perdu un tiers de leurs journaux et deux tiers de leurs journalistes. Un affaiblissement qui favorise la diffusion de fausses informations, selon des études citées par le magazine. Dans ce contexte déjà tendu, les attaques de Donald Trump envers les journalistes ajoutent une pression supplémentaire, encourageant une certaine autocensure, remarque Michel Hermans.
7. La virulence de Trump l’emporte sur les combats des démocrates
Les dérapages de Trump ne semblent pas lui porter préjudice, observent les deux experts belges. «Il a réussi à les normaliser au fil des années», explique Tanguy Struye. Lorsqu’il doit se montrer plus sérieux, comme lors de son débat face à Kamala Harris, l’exercice devient plus difficile pour lui. «Cela se voyait que ses arguments ne tenaient pas face à elle, et je pense qu’un second débat lui aurait été préjudiciable.»
Trump est donc resté dans une stratégie d’attaques, ce qui pourrait expliquer son bond dans les sondages à partir de fin septembre, estime le néolouvaniste. A l’inverse, il considère que Kamala Harris était relativement peu connue du grand public et a trop ciblé des électorats de niche, notamment sur la question de l’avortement, «un sujet qui concerne moins d’Américains». Les femmes lui ont certes donné dix points de plus que les hommes, mais celles conservatrices sont restées de toute évidence imperméables à ses arguments sur l’IVG.
Bien qu’elle devançait Trump dans les sondages entre août et septembre dans quasi tous les Etats pivots, Harris bénéficiait surtout du renouveau qu’elle avait apporté à la campagne en remplaçant Joe Biden. Cette période de grâce n’a cependant pas duré. «Si elle avait pu entrer dans la course à la Maison-Blanche plus tard, elle aurait sans doute pu capitaliser sur cet élan pour l’emporter. Mais ici, le timing était mauvais et elle n’a pas réussi à s’adapter à la virulence de Trump qui fonctionne bien sur l’électorat.»
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