Etats-Unis: après l’avortement, la Cour suprême s’empare du débat sur la discrimination positive
Les procédures d’admissions des universités aux Etats-Unis prennent en compte la couleur de peau ou l’origine ethnique de leurs candidats dans l’évaluation de leurs dossiers. Un « racisme inversé », selon certains milieux conservateurs.
La Cour suprême des Etats-Unis rouvre ce lundi le dossier très sensible des programmes de discrimination positive à l’université, au grand dam des progressistes qui craignent un recul pour les minorités. La haute juridiction, solidement ancrée dans le conservatisme, examinera pendant deux heures les procédures d’admission dans les plus vieilles universités privée et publique du pays, celles d’Harvard et de Caroline du Nord.
Comme nombre d’établissements très sélectifs, elles prennent en compte la couleur de la peau ou l’origine ethnique de leurs candidats dans l’évaluation de leurs dossiers. L’objectif est de corriger les inégalités issues du passé ségrégationniste des Etats-Unis et d’augmenter la part des étudiants noirs, hispaniques ou amérindiens, qui restent sous-représentés dans l’enseignement supérieur.
Fortement critiquées
Ces politiques, dites de discrimination positive, ont toujours été très critiquées dans les milieux conservateurs, qui les jugent opaques et y voient du « racisme inversé« . Neuf Etats les ont déjà interdites. Depuis un demi-siècle, elles ont fait l’objet de plusieurs plaintes portées par des étudiants blancs.
Saisie à plusieurs reprises du sujet depuis 1978, la Cour suprême a interdit les quotas, mais autorisé les universités à prendre en compte, parmi d’autres, les critères raciaux, en jugeant que la recherche d’une plus grande diversité était d’un « intérêt légitime ».
En 2014, le militant néoconservateur Edward Blum, à l’origine de plusieurs recours en justice contre les programmes de discrimination positive, a adopté un nouvel angle d’attaque. A la tête d’une association baptisée « Students for Fair Admission », il a porté plainte contre Harvard et l’université de Caroline du Nord en les accusant de discriminer les étudiants d’origine asiatique.
Ces derniers, qui ont des résultats académiques nettement supérieurs à la moyenne, seraient plus nombreux sur les campus si leurs performances étaient le seul critère de sélection, a-t-il soutenu.
Après avoir essuyé plusieurs défaites devant les tribunaux, il s’est tourné vers la Cour suprême en lui demandant, plus largement, de déclarer que la Constitution interdit toutes les discriminations, y compris positives. Le temple du droit aurait pu refuser, comme il le fait pour la majorité des dossiers qui lui sont soumis. En acceptant ce recours, il a laissé entendre qu’il était prêt à effectuer un nouveau revirement après avoir dynamité, en juin, le droit à l’avortement.
« Cette Cour me fait peur », confiait lundi Natasha Smith, une Afro-Américaine de 44 ans venue de Caroline du Nord manifester devant la haute institution pour défendre les programmes de discrimination positive dans l’espoir que son fils de 13 ans puisse en profiter. « Je suis nerveuse », abondait Rachel Woods, une jeune femme noire de 32 ans. « On n’a jamais eu une Cour aussi diverse et pourtant, on doit se battre pour des choses qu’on considérait acquise… »
« Profils variés »
Dans un argumentaire transmis à la Cour, le gouvernement du président démocrate Joe Biden a insisté sur le besoin de former « des dirigeants aux profils variés prêts à diriger une société de plus en plus diverse ». Mais la Cour a été profondément remaniée par Donald Trump et sa majorité conservatrice (six juges sur neuf) « tend à considérer que le fichage racial, même pour des motifs louables, viole la Constitution« , rappelle Steven Schwinn, professeur de droit à l’université de l’Illinois Chicago.
« Si on veut mettre un terme aux discriminations raciales, il faut arrêter de discriminer sur des critères raciaux », a notamment écrit en 2007 le chef de la Cour, John Roberts. Même l’Afro-Américain Clarence Thomas, qui a pourtant bénéficié de ces programmes pour entrer à la prestigieuse université Yale, les a publiquement dénigrés.
La Cour suprême devra rendre sa décision avant le 30 juin. « Elle aura un impact au-delà de l’enseignement supérieur », prédit Steven Schwinn. Elle pourrait, selon lui, interdire au gouvernement d’utiliser des critères raciaux dans d’autres domaines, comme l’attribution de marchés publics, une pratique autorisée aujourd’hui.