Élections de mi-mandat: bataille électorale sur le dos de migrants
Des gouverneurs républicains d’Etats du sud envoient des milliers de candidats à l’asile dans des Etats démocrates réputés plus accueillants. Un enjeu important à un mois des élections de mi-mandat.
Le Rio Grande, fleuve qui façonne une grande partie de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, constitue la porte d’entrée privilégiée des migrants sur le territoire américain. La plupart viennent du Mexique, du Guatemala et du Honduras. D’autres, de plus loin, comme du Venezuela. Il n’est pas rare non plus de voir des Africains, généralement débarqués au Brésil, remonter l’Amérique centrale pour tenter de traverser le fleuve.
En 2021, près de trois millions de migrants, la plupart démunis, ont ainsi débarqué aux Etats-Unis. Une fois leur demande d’asile déposée auprès des services de l’immigration, leur dossier est étudié individuellement. Le processus peut prendre plusieurs années. Beaucoup, peu confiants dans le succès de leur requête, disparaissent dans les vastes étendues américaines, qui dans les mégapoles comme New York ou Los Angeles, qui au sein de la multitude de communautés latinos. Trouver du travail au noir aux Etats-Unis n’est pas une tâche insurmontable, et dans les villes dites «sanctuaires», généralement dirigées par les démocrates, les forces de l’ordre ne peuvent ni arrêter ni reconduire aux frontières les individus dépourvus de titre de séjour, ce qui facilite une installation à long terme.
Ces transferts soulignent la désunion entre l’Etat fédéral et les entités fédérées en matière de politique migratoire.
Le système d’immigration tel qu’il a été mis en place par l’Etat fédéral connaît une crise profonde. Aucune réforme d’ampleur n’a été entreprise depuis vingt ans. Les démocrates sont accusés par la droite de «se voiler la face sur la réalité» de la migration. Et cette droite, souvent au pouvoir dans les Etats du sud, a développé une approche dure de la question des migrants.
Un gouverneur remonté
Confronté à une situation migratoire incontrôlable aux abords du Rio Grande, le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, a décidé de mettre le holà à cette situation. Les lois fédérales jugées laxistes, l’incurie politique et l’indifférence présumée de l’administration présidentielle démocrate…: pour lui, il ne fait pas de doute que les décideurs à Washington ne mesurent pas le défi que les migrants posent à son Etat, distant de plus de 2 000 kilomètres de la capitale. Depuis le début de son mandat, Joe Biden ne s’est déplacé au Texas qu’à deux reprises, la première en février 2021 après les intempéries qui avaient causé une panne géante du réseau électrique local, la deuxième en mai dernier à la suite de la tuerie dans l’école d’Uvalde. La vice-présidente Kamala Harris a bien visité la frontière, mais une fois seulement, peu après son entrée en fonction. Insuffisant pour Greg Abbott, sur le fond comme sur la forme.
Coup médiatique entre provocation et opportunisme électoral, le gouverneur du Texas a décidé de s’attaquer à l’administration fédérale en envoyant par bus des milliers de demandeurs d’asile dans des villes démocrates savamment sélectionnées. Les demandeurs d’asile ont ainsi été dirigés vers Washington, la capitale fédérale, New York et Los Angeles. Si les associations locales ont pu le plus souvent faire face à ces arrivées imprévues, notamment en ce qui concerne le placement de milliers de jeunes enfants dans les réseaux scolaires locaux, ces transferts soulignent la désunion entre l’Etat fédéral et les entités fédérées en matière de politique migratoire. A quelques semaines des élections de mi-mandat du 8 novembre, la question est devenue un enjeu important de la campagne, au même rang que l’économie.
Un refuge inattendu
Si, au fil des mois, voir débarquer des migrants en bus dans les grandes villes dirigées par les démocrates est presque devenu une habitude, en envoyer d’autres sur une petite île de 15 000 habitants a constitué une nouveauté. C’est pourtant la surprise qu’ont eu les résidents de Martha’s Vineyard, archipel situé au large du Massachusetts, le 15 septembre, quand un avion abritant 48 migrants a atterri sur le tarmac de l’aérodrome local. La petite île, destination de vacances d’une partie de l’élite américaine – Barack et Michelle Obama y possèdent une maison – constitue un endroit privilégié pour individus à l’abri du besoin. Le seul refuge pour sans-abri de l’île ne dispose que de dix places, et est fermé l’été.
Bien que l’avion soit parti du Texas, ce n’est pas le gouverneur Greg Abbott mais bien son homologue tout aussi républicain de Floride, Ron DeSantis, à qui on prête de solides ambitions présidentielles pour 2024, qui a affrété l’appareil. Pour sa porte-parole, qui se cachait à peine d’un cynisme porteur en période électorale, l’envoi de ces migrants sur cette île «démocrate» «constitue une opportunité pour eux de trouver un endroit au vert dans un sanctuaire leur offrant toutes les chances de s’enraciner».
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Les choses pourraient ne pas être aussi limpides. Il semble que les demandeurs d’asile aient été attirés dans l’avion par des chèques-restaurant et la promesse d’être transférés à Boston. Ce n’est qu’en route qu’ils auraient appris leur destination finale. Des avocats se sont emparés de l’affaire et plainte a été déposée contre le gouverneur DeSantis. A l’approche des élections, les coups s’échangent sans retenue entre les deux camps.
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