L’évolution psychologique de l’ex-président interroge légitimement sur son attitude à l’issue du scrutin. © GETTY IMAGES

Elections américaines, J-1: comment Donald Trump a divisé pour vaincre

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’ancien président est animé d’un sentiment de revanche après sa défaite de 2020. D’où une agressivité accrue, aux dépens des migrants, et un doute sur son respect de la démocratie.

Hors celle du 13 juillet où Thomas Matthew Crooks, 20 ans, a failli tuer l’ancien président lors d’un meeting en plein air dans la localité de Butler, en Pennsylvanie, la journée du 11 octobre, pourtant très ordinaire, pourrait être retenue comme emblématique de la campagne du candidat républicain à l’élection présidentielle du 5 novembre. Donald Trump a tenu à cette date deux meetings: l’un, l’après-midi, dans le Colorado, Etat pourtant acquis aux démocrates; l’autre, en soirée, dans le Nevada, un vrai «swing state». Ils avaient en commun de permettre au milliardaire de dérouler son thème de campagne favori.

«It’s economy, stupid!» («L’économie, il n’y a que cela qui compte!») est une réplique faussement attribuée à Bill Clinton lors de la campagne électorale de 1992 , mais réellement prononcée par un de ses conseillers, James Carville, pour signifier l’importance de la donne économique dans une course à la présidence. Impuissant sans doute à opposer une critique fondée au bilan honorable dans ce domaine du président démocrate sortant (alors qu’il pourrait pourtant «capitaliser» sur les effets d’une inflation élevée), Donald Trump a balayé ce principe authentifié. Les stratèges politiques «disent que le plus important [dans une élection présidentielle] est l’économie et l’inflation, et que la deuxième chose importante est la frontière et l’immigration. Je crois que c’est l’inverse», a soutenu Donald Trump le 11 octobre, lors du meeting de Reno, au Nevada.

«Libérer l’Amérique», affirme Trump

La frontière et l’immigration ont donc occupé, ce jour-là et bien d’autres, la plus grand partie des propos du prétendant à un deuxième mandat à la Maison-Blanche. Un festival. Dans le Colorado, Etat sans enjeu politique pour le républicain, il n’est pas étonnant que ce soit à Aurora (325.000 habitants) que Donald Trump ait tenu sa réunion électorale. S’appuyant sur la vidéo largement diffusée de Latinos en armes s’introduisant dans des appartements, il avait prétendu que «les migrants y avaient pris le pouvoir» et que des gangs de malfrats vénézuéliens y faisaient régner leur loi. Un tableau démenti par le maire… républicain de la ville.

«Trump a un sentiment de revanche. Cela le rend encore plus dangereux, plus en incapacité d’accepter sa défaite.»

Mais qu’importe, cela n’a pas empêché Donald Trump d’accuser, le 11 octobre, Kamala Harris d’avoir «importé une armée d’étrangers illégaux membres de gangs et de migrants criminels des donjons du tiers-monde» (sic) et d’estimer qu’«aujourd’hui, l’Amérique est connue dans le monde entier comme l’Amérique occupée». Plus tard dans la journée, à Reno, au Nevada, c’est la même antienne qui est avancée dans une version adaptée et prospective: «Nous sommes maintenant reconnus comme un pays occupé. Je vous fais ce vœu. Le 5 novembre 2024 sera le jour de la libération de l’Amérique»…

Une autre ville américaine, Springfield, capitale de l’Illinois, fut aussi propulsée «à l’insu de son plein gré» et à rebours de la volonté de son maire républicain, comme un lieu phare de la campagne présidentielle quand Donald Trump, lors du seul débat télévisé avec Kamala Harris, le 10 septembre, a soutenu que des réfugiés haïtiens y mangeaient «des chiens, […] des chats, […] les animaux de compagnie des habitants». Une fausse information «fabriquée» par des influenceurs d’extrême droite, et relayée au départ par son colistier J.D. Vance. L’épisode a montré qu’il n’y avait pas de limite à la surenchère xénophobe du candidat républicain. Mais le résultat de sa diatribe n’est-il pas qu’il a gagné des électeurs du côté des amoureux des animaux?

«Il n’a jamais accepté le fait qu’il n’était pas l’homme le plus puissant du monde.»

Plus d’agressivité

L’homme est habile, et habité par une déterminaton sans faille à vaincre sa rivale. Car tout en activant les mêmes thématiques qu’en 2016 quand il a été élu et en 2020 quand il a été battu, Donald Trump a changé. «En 2016, il affirmait « je serai la voix des Américains ». Maintenant, il dit « je serai le guerrier », mais pas des Américains, de ses militants, souligne l’historien Thomas Snégaroff, auteur de Dans l’intimité des présidents américains (Tallandier, 222 p.). Entre-temps, il a perdu même s’il ne le reconnaît pas. Désormais, il a un sentiment de revanche. C’est très différent. Cela le rend encore plus agressif, plus dangereux, plus en incapacité d’accepter sa défaite. L’autre différence est qu’aujourd’hui, il est poursuivi dans un nombre important d’enquêtes judiciaires et donc qu’il joue sa liberté. En 2016, il jouait juste une ambition de toute-puissance. Aujourd’hui, en plus, il joue sa survie.» «En cas de défaite, il est probable que les trois affaires le concernant –dont deux au niveau fédéral– encore en instruction, pourraient avancer de manière significative, complète le correspondant du Monde à Washington, Piotr Smolar. Enfin, c’est un homme qui croit en sa propre puissance politique, en sa force d’attraction. Il ne déploie pas une stratégie de conquête et d’apaisement auprès d’électeurs crispés par ses outrances.»

L’évolution psychologique de l’ex-président interroge légitimement sur son attitude à l’issue du scrutin. L’assaut sur le Capitole, le 6 janvier 2021, est dans toutes les mémoires. «Dans beaucoup d’Etats, il y a désormais des hommes à lui, qui lui sont totalement inféodés, qui ne certifieront peut-être pas les résultats s’ils lui sont négatifs», met en garde Thomas Snégaroff. Et s’ils lui sont positifs, le tableau n’est pas plus rassurant. Donald Trump «préfère assurément une approche dictatoriale du gouvernement», a jugé, le 22 octobre dans une interview au New York Times, John Kelly, son chef de cabinet à la Maison-Blanche entre 2017 et 2019. «Il n’a jamais accepté le fait qu’il n’était pas l’homme le plus puissant du monde. Par puissance, je veux dire la capacité de faire ce qu’il voulait, quand il voulait», a-t-il ajouté. Les électeurs américains sont prévenus.

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