Qui est réellement Kamala Harris? Pour certains Américains, le mystère demeure, et il ne sert pas la candidate. © GETTY IMAGES

Elections américaines: «Kamala Harris a fait tout un travail pour plaire. Suffisant? Je n’en suis pas sûr»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La candidate démocrate à la présidence a tenté de faire prévaloir l’idée d’une Amérique en voie d’apaisement sur celle d’une nation en conflit permanent. Le contexte se prête-t-il à ce tournant?

«Tu seras peut-être une pionnière dans ton domaine, mais fais en sorte que d’autres marchent dans tes pas.» Cette recommandation que lui adressait sa mère, l’oncologue spécialiste du cancer du sein Shyamala Gopalan Harris, la vice-présidente sortante des Etats-Unis l’éprouvera pleinement jusqu’au terme de l’aventure de l’élection présidentielle américaine du 5 novembre.

Fédérer, rassembler derrière elle, ou tenter de le faire, Kamala Harris n’a cessé de s’y employer depuis qu’elle a été pressentie puis désignée candidate démocrate, dans la foulée du renoncement de son vénérable «patron», Joe Biden. Elle l’a fait parce que c’est dans sa nature, forgée par la figure maternelle. Mais aussi, et sans doute surtout, parce qu’elle a voulu dépasser la confrontation binaire, agressive, masculine, installée par son rival avec le président sortant, futur ex-candidat, Joe Biden. Parce qu’elle a perçu aussi –l’avenir dira si son sentiment était pertinent– qu’une partie des Américains étaient lassés de cette atmosphère permanente d’hostilité entretenue entre républicains et démocrates depuis le début du mandat présidentiel du milliardaire en 2017 et exacerbée ensuite par le rejet du résultat de l’élection de 2020, porté à son paroxysme le 6 janvier 2021 avec l’assaut par les troupes trumpistes du Capitole, siège du Congrès et berceau de la démocratie américaine.

«Tu seras peut-être une pionnière dans ton domaine, mais fais en sorte que d’autres marchent dans tes pas.»

Attirer les modérés

Quatre ans plus tard, le multipoursuivi par la justice (notamment pour ses actes pendant cette période) ne reconnaît toujours pas la victoire du président qui s’apprête à sortir de charge. Nombre d’Américains ne seraient-ils pas irrités par ce déni? Y compris parmi les sympathisants républicains? Basant une partie de sa stratégie sur ce pari, Kamala Harris a multiplié les signes d’ouverture envers les modérés du camp adverse. Ce faisant, elle espère compenser les pertes, au profit de l’abstentionnisme, qu’elle risque d’endurer sur l’aile gauche du Parti démocrate, désappointée par la frilosité de son engagement envers les Palestiniens dans le conflit avec Israël.

Kamala Harris brasse donc large, quand Donald Trump joue la sécurité en flattant la base électorale de ses partisans souverainistes. Une nécessité, et un risque? Le plus grand défi pour la candidate démocrate est l’identification. «Son parcours et son profil ne s’accommodent pas des « cases » dont raffolent les électeurs et les commentateurs, argumente Alexis Buisson, correspondant à New York de La Croix, et auteur de Kamala Harris. La biographie. En se définissant comme une femme noire, soit une fraction de son identité, elle s’est rangée dans une « case » qui la rendait facilement discernable. Cependant, sa vie nous invite à dépasser les schémas simplistes. Elle est une fille d’immigrés, noire d’origine indienne, qui a grandi dans des mondes essentiellement blancs. Procureure, elle a mis d’autres Noirs en prison tout en s’employant à réformer le système à l’heure de l’incarcération de masse. Féministe, elle s’est rangée derrière des hommes, blancs et conservateurs, comme les policiers, quand il le fallait. La Kamala Harris d’aujourd’hui est le fruit de ces tensions et de ces paradoxes

Raconter son histoire

Qui est-elle réellement? Pour certains Américains, le mystère demeure, et il ne sert pas la candidate. Le propre d’une vice-présidente est d’être discrète et de ne pas affaiblir le président. Pendant les quatre ans de son mandat, peu d’Américains ont eu l’occasion d’apprendre à la découvrir. Jusqu’à quelques encâblures de l’élection, un bon quart des électeurs estimaient ne pas la connaître assez pour pouvoir voter pour elle. Ils étaient 8% seulement à dire la même chose de Donald Trump. De surcroît, pour elle, la brièveté de la campagne, qui l’a servie en retardant le moment où elle devait assumer le bilan de Joe Biden tout en s’en distanciant, ne l’aide pas à rattraper son retard de notoriété. «Dans une course à la présidence aux Etats-Unis, le programme politique est assez secondaire. Ce n’est pas le président qui le vote, ce sont les sénateurs et les membres de la Chambre des représentants, observe l’historien Thomas Snégaroff, auteur de Etats-Unis. Anatomie d’une démocratie. L’essentiel réside dans la vision et dans l’incarnation. Et pour le coup, cela passe par le fait de raconter une histoire personnelle pour qu’elle plaise à un maximum d’Américains. Tout un travail a été fait par Kamala Harris en ce sens. Mais aura-t-il été suffisant? Je ne suis pas sûr.»

«Dans une course à la présidence aux Etats-Unis, l’essentiel réside dans la vision et dans l’incarnation.»

«Tu seras peut-être pionnière dans ton domaine…» Pionnière, Kamala Harris l’a déjà été en devenant le 20 janvier 2021 la première femme vice-présidente des Etats-Unis. Mais devenir la première à prester serment comme présidente de la plus grande puissance mondiale aurait évidemment un retentissement tout autre. Etonnamment, le sujet n’a pas été un thème de campagne. Et Kamala Harris, elle-même, n’a pas mis en avant cette qualité, souligne en substance Amy Greene, professeure à Sciences Po et autrice de L’Amérique face à ses fractures. «Le traitement médiatique des femmes est différent de celui des hommes quand il s’agit de l’élection à la Maison-Blanche, un scrutin très masculinisé. […] Tout est une question de perception. Si une crise éclate pendant la campagne, les électeurs se raccrocheront à des modèles qu’ils connaissent et voteront pour un homme blanc», spécifie toutefois Melody Crowder-Meyer, professeure de sciences politiques à l’université Davidson (Caroline du Nord), citée par Alexis Buisson dans Kamala Harris. La biographie. La tentative d’assassinat contre Donald Trump le 13 juillet relève-t-elle de la «crise pendant la campagne» qui pourrait avoir surmobilisé les électeurs blancs conservateurs? Fin juillet, l’annonce du renoncement de Joe Biden et l’irruption de Kamala Harris avaient balayé, au moins médiatiquement, l’impact de l’agression du candidat républicain. Tout le défi de Kamala Harris aura été d’entretenir l’espérance d’une Amérique plus apaisée, que sa candidature a consacrée, jusqu’au matin du 5 novembre… «Fais en sorte que d’autres marchent dans tes pas».

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