Après sa victoire en Floride, Ron DeSantis vise l’élection présidentielle de 2024 (portrait)
Issu du même moule idéologique, le gouverneur de Floride devra marcher sur Donald Trump pour se frayer un chemin jusqu’à la Maison-Blanche. Mais il pourrait constituer un utile recours pour les républicains.
Plus de cent millions de dollars. Depuis qu’en 2010, la Cour suprême des Etats-Unis a déplafonné les contributions des organisations partisanes dans les campagnes électorales, peu de candidats ont pu amasser un trésor de guerre à neuf chiffres en vue d’une campagne présidentielle. C’est pourtant le cas de Ron DeSantis, alors qu’il n’a pas encore déclaré se lancer dans la course. Le gouverneur de Floride, dont les sondages prévoyaient la réélection à l’occasion de la journée électorale du 8 novembre, incarne le futur du parti républicain, dans sa mouture « post-Trump » que de nombreux conservateurs appellent de leurs vœux.
« Ron DeSantis est la version policée de Donald Trump. Ils sont issus du même moule idéologique, à une différence près : le premier, aguerri aux rouages du système, sait se vendre aux électeurs centristes, tandis que l’ancien président s’éloigne d’eux à chaque déclaration », analyse James McAdams, politologue à l’université NotreDame, dans l’Indiana. Ron DeSantis est en effet un « produit » taillé pour la scène politique américaine. En plus d’être un ancien élève des prestigieuses universités de Yale et de Harvard, il est passé par l’armée et a servi en Irak.
Elu député fédéral à même pas 35 ans, ce natif de Jacksonville, en Floride, a vite compris qu’une ascension rapide vers les sommets passait par un soutien sans faille à la cause Trump. En 2017, il sollicita l’adoubement du milliardaire pour se frayer un chemin vers le poste de gouverneur de Floride. Il est possible qu’il utilise désormais ce tremplin pour briguer une position plus prestigieuse encore : celle de président des Etats-Unis.
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Se distancer sans critiquer
Mais un obstacle, et non des moindres, se présente sur son chemin. Comme Donald Trump semble vouloir se présenter en 2024, Ron DeSantis est contraint de marcher sur des œufs. Il doit à la fois vanter le bilan de l’ancien président et éluder toute question sur son propre dessein présidentiel. Au vu de l’influence que Donald Trump continue d’avoir sur le Parti républicain et que les résultats des élections à la Chambre des représentants et au Sénat devaient conforter, pas question de l’attaquer frontalement. Toute la difficulté pour le gouverneur consiste donc à se démarquer de Donald Trump sans renier son héritage idéologique et sans critiquer ses mensonges à propos du déroulement de l’élection présidentielle de 2020 et son attitude lors de l’assaut de ses partisans contre le Capitole, le 6 janvier 2021.
Ron DeSantis a donc opté pour une tactique « transversale » en attendant son heure : se profiler comme le digne successeur de Donald Trump en embrassant les causes qui constituent l’ADN du Parti républicain, au premier rang desquelles figurent les questions identitaires. En sa qualité de gouverneur de Floride, le juriste a tranché dans le vif et décidé d’éliminer des programmes scolaires deux approches théoriques parmi les plus clivantes au plan idéologique : les questions de races et de sexualité transgenre. Exit donc la « théorie critique des races » qui soutient que les institutions elles-mêmes sont discriminatoires envers les individus de couleur. Au rebus, également, toute mention relative à la sexualité non genrée dans les manuels scolaires des élèves jusqu’à 14 ans. « On le voit à travers ses initiatives législatives : Ron DeSantis a compris que la guerre culturelle était désormais une des pierres angulaires de toute politique publique », déclarait Christopher Rufo, un activiste de la cause conservatrice cité par un grand quotidien américain.
Si l’arrêt baptisé « Stop Woke » bannissant la « théorie critique des races » de l’enseignement public n’a pas suscité un tollé en Floride, celui visant à « protéger » les élèves des théories sexuelles transgenres a provoqué un litige majeur avec un adversaire inattendu. La compagnie Disney, qui possède en Floride le plus grand parc d’attractions des Etats-Unis, s’est érigée en défenseuse des libertés sexuelles et a mis la pression sur le gouverneur pour qu’il revoie sa copie. C’était sans compter sur le jusqu’au-boutisme de ce dernier : Ron DeSantis a décidé de punir l’entreprise en révoquant l’autonomie fiscale dont elle jouissait sur le territoire de l’Etat depuis 55 ans. « Pas question de se laisser contraindre dans sa conduite morale par le diktat de sociétés privées qui incitent au délitement des mœurs », a assuré le gouverneur. Une nouvelle illustration du conflit culturel aux Etats-Unis entre les défenseurs des libertés sexuelles, dont nombre de grandes entreprises se portent garantes, et une frange de l’électorat qui s’inquiète d’un affaissement progressif des codes religieux, moraux et sexuels de la société. Ron DeSantis a choisi son camp.
Attaques contre la presse
Dans la foulée de ces nouvelles lois, le gouverneur de Floride a aussi pris ses distances avec la presse dite « libérale ». Après avoir refusé depuis deux ans toute interview avec les grands quotidiens nationaux, Ron DeSantis a enfoncé le clou dans une vidéo de campagne intitulée Top Gov, inspirée du film Top Gun : Maverick. Il s’y érige en grand pourfendeur de la « pensée unique », dont il estime que la presse de gauche constitue le principal vecteur.
Mais si la majorité de l’électorat républicain ne doute pas de la moralité sans faille de l’ancien militaire, certaines de ses actions portent tout de même la marque d’un opportunisme politique qui fait fi de toute humanité. Sa décision de se jouer du destin de migrants en les envoyant du Texas vers une île « jet set » située au large du Massachusetts en témoigne : vers la route qui doit le mener à la Maison-Blanche, le compas moral de DeSantis est à géométrie variable.
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