Canada
L’industrie minière et l’eau du fleuve Columbia, objets des convoitises de Donald Trump sur le Canada. © GETTY

Et si le projet de Trump était l’annexion du Canada par l’asservissement économique?

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

Le président des Etats-Unis persiste à vouloir transformer le Canada en 51e Etat américain. La guerre commerciale à outrance est l’instrument de son ambition.

Cette histoire a commencé à la fin novembre, lors d’une rencontre entre Justin Trudeau et Donald Trump dans la résidence du républicain à Mar-a-Lago. Celui-ci a alors proposé à son vis-à-vis d’annexer le Canada. «De nombreux Canadiens souhaitent que le Canada devienne le 51e Etat […] Je pense que c’est une excellente idée. 51e Etat!», a ensuite tweeté Donald Trump. Justin Trudeau avait alors estimé qu’il s’agissait d’une blague de mauvais goût. La classe politique canadienne ne rit plus aujourd’hui. Le locataire de la Maison-Blanche répète toutes les semaines qu’il va annexer son voisin.

La rhétorique expansionniste du président a souvent été utilisée par ses lointains prédécesseurs. Au début de la révolution américaine, en 1776, les treize colonies américaines qui n’étaient pas encore les Etats-unis, ont tenté d’envahir le Canada, tout comme en 1812. Sans succès. Après avoir échoué à s’accaparer son voisin par la force, l’Oncle Sam a tenté de l’affaiblir au milieu du XIXe siècle. Lors d’un voyage au Canada en 1911, Rudyard Kipling mit en garde les Canadiens contre l’impérialisme commercial américain: «Le Canada y risque son âme. Une fois que cette âme est mise en gage pour une quelconque contrepartie, le Canada doit inévitablement se conformer aux normes commerciales, juridiques, financières, sociales et éthiques qui lui seront imposées par le simple poids reconnu des Etats-Unis.» Et c’est peut-être là le risque aujourd’hui…

«Le Canada ne sera pas en mesure de soutenir une guerre commerciale avec les Etats-Unis à moyen terme, sans s’appauvrir.»

Ruiner le Canada

Professeur à l’université de Colombie-Britannique et titulaire de la chaire de recherche du Canada en politique mondiale et en droit international, Michael Byers souligne: «Donald Trump a menacé de recourir à la coercition économique, mais il a nié tout intérêt à recourir à la force militaire. Toute invasion constituerait bien sûr une grave violation de la Charte des Nations unies. Cela serait également absurde, étant donné que le Canada et les Etats-Unis ont conclu un accord de libre-échange qui accorde aux entreprises américaines le même accès aux ressources canadiennes qu’aux entreprises canadiennes.» A condition que Donald Trump respecte le droit… Dans un sens consommé du chaos, il a déclaré vouloir redéfinir la frontière entre les deux pays. Non sans convoiter les immenses réserves d’eau du Canada. Pour y parvenir, il a suspendu les négociations sur le traité du fleuve Columbia, qui prend sa source en Colombie-Britannique et se jette 2.000 kilomètres plus loin dans l’océan Pacifique, en Oregon. Le traité permet de gérer les ressources hydriques entre les deux pays.

Professeur de science politique au Collège militaire royal du Canada, Christian Leuprecht confie qu’«il est impossible pour le Canada de se défendre militairement contre une attaque des Etats-Unis, mais que jamais son pays ne se trouvera dans une telle situation». Et de préciser que les menaces de Donald Trump sont avant tout liées à des enjeux économiques. Depuis son investiture, le maître de la Maison-Blanche a imposé des droits de douane de 25% et il devrait décréter d’autres surtaxes le 2 avril. Objectif: ruiner le Canada.

Le directeur de l’Observatoire sur les Etats-Unis de la chaire Raoul-Dandurand de l’université du Québec à Montréal, Frédérick Gagnon, pense que «la logique de Trump est peut-être que de telles manœuvres géoéconomiques affaibliront le Canada à un point tel que les appels des Canadiens à joindre les Etats-Unis iront croissant». Le professeur Leuprecht va dans le même sens: «Le Canada ne sera pas en mesure de soutenir une guerre commerciale avec les Etats-Unis à moyen terme, sans s’appauvrir.» En vertu du décret de Donald Trump imposant des droits de douane à Ottawa, «si le Canada devait riposter contre les Etats-Unis en imposant des droits de douane sur les exportations américaines vers le Canada, le président pourrait augmenter ou élargir la portée des droits».

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, figure de la résistance à l’arrogance américaine. © GETTY

Sanctions et contre-sanctions

Le chantage n’a pas entamé la détermination des Canadiens. Au contraire. Ottawa a répliqué dès l’entrée en vigueur des sanctions américaines par une première vague de droits de douane de 30 milliards de dollars sur les produits des Etats-Unis. Elle devrait être suivie d’une deuxième d’un montant de 125 milliards de dollars début avril. Si le gouvernement canadien ne s’interdit pas d’aller plus loin, il cible chez l’Oncle Sam les Etats républicains. Afin de mettre à genoux l’économie canadienne, l’administration Trump, elle, a surtaxé l’acier et l’aluminium, le bois et l’automobile. Ces industries font vivre les deux provinces les plus importantes économiquement et les plus peuplées, le Québec et l’Ontario.

La guerre commerciale pourrait faire perdre 500.000 emplois en Ontario, selon son Premier ministre Doug Ford, le politicien le plus déterminé à affronter Donald Trump. Doug Ford, dealer de crack dans sa jeunesse, a menacé de couper les exportations d’électricité à un million et demi d’Américains, avant de faire marche arrière, plusieurs experts estimant qu’une telle mesure pourrait être considérée comme un acte de guerre par Washington. L’espoir de plusieurs spécialistes canadiens est que les sanctions, contre-productives pour les Etats-Unis, renversent la majorité républicaine au Congrès lors des élections de mi-mandat en 2026. «Beaucoup ont considéré cela comme une plaisanterie, mais Donald Trump veut vraiment faire du Canada un Etat américain», confie Ivan Katchanovski, professeur à l’Ecole d’études politiques de l’université d’Ottawa.

Parmi les raisons de sa détestation canadienne: les affaires trumpiennes au Canada ont toutes été de retentissants échecs.

Les raisons d’une détestation

Interrogé le 18 mars sur la chaîne Fox News sur son obsession à vouloir annexer le Canada, pourtant principal allié des Etats-Unis, Donald Trump a répondu: «C’est seulement parce que c’est censé être notre 51e Etat…», avant d’ajouter que «l’un des pays les plus désagréables avec lesquels traiter, c’est le Canada». Sans pouvoir expliciter ses assertions. La haine de Donald Trump envers le Canada a été l’objet de plusieurs hypothèses au nord du 48e parallèle. Une photo de Melania Trump sur le point d’embrasser amoureusement Justin Trudeau lors du G7 de Biarritz en 2018, alors que Trump, renfrogné, accusait le poids des ans à quelques mètres du jeune duo tous sourires, a circulé. Plus sérieusement, Donald Trump veut mettre la main sur un pays qui dispose de ressources naturelles considérables, dont les troisièmes réserves de pétrole au monde.

Autre raison de sa détestation canadienne, les affaires trumpiennes au Canada ont toutes été de retentissants échecs, ponctuées de faillites immobilières. Seul le grand-père de Donald, Friedrich Trump, propriétaire au début du XIXe siècle d’une maison close et d’un hôtel-restaurant dans le nord de la Colombie-Britannique, sur la piste du Klondike, a fait fortune au Canada. L’immigrant allemand recevait les chercheurs d’or dans son établissement, L’Arctic. Ils pouvaient payer les services des prostituées directement avec de l’or, grâce à une petite balance que le commerçant avait installé. Son fils Fred a hérité de sa fortune, dont il a légué une part à Donald. Ecrivain dans le Yukon, Pat Ellis, 90 ans, dont le père policier fréquentait L’Arctic, a confié à Radio-Canada: «Ces Américains ont fait leur fortune ici et sont rentrés aux Etats-Unis avec leur argent. Maintenant, Donald Trump rêve de prendre le contrôle du Canada.» L’espiègle nonagénaire a vanté les talents culinaires de Friedrich Trump… L’homme servait à ses clients des animaux morts sur les routes.

Le commerce intérieur du Canada boosté

Le Canada résiste. Lors du G7 des ministres des Affaires étrangères qui s’est tenu à la mi-mars près de Québec, le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, a tempéré les ardeurs expansionnistes de son patron: «Le président a expliqué pourquoi il pense que le Canada aurait avantage à se joindre aux Etats-Unis pour des raisons économiques. Il y a un désaccord entre la position du président et la position du gouvernement canadien.» La veille, Marco Rubio s’était fait tancer par la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly: «Vous arrivez dans notre pays, vous respectez notre souveraineté», a-t-elle lancé.

Le tout frais Premier ministre Mark Carney, lui, a martelé que jamais le Canada ne ferait partie des Etats-Unis. Pour contenir l’ouragan Trump, il a réagi très vite. Malgré la campagne électorale qui bat son plein –la date du scrutin a été fixée au 28 avril–, Ottawa renforce son commerce intérieur et lance des projets de grands travaux. Comme au temps du Covid, le gouvernement a prévu des plans de contingence pour injecter des dizaines de milliards de dollars pour soutenir les entreprises. Cette fois, le virus s’appelle Donald Trump et il n’y a pas de vaccin.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire