Avortement: la victoire à retardement de Trump sur les questions de société qui fracturent l’Amérique
L’annulation du droit à l’avortement aux Etats-Unis est une victoire à retardement pour Donald Trump, qui a ancré à droite la Cour suprême et ainsi imprimé durablement la marque des conservateurs sur les questions de société les plus clivantes dans une Amérique profondément divisée.
L’ex-président républicain a d’abord fait mine de la jouer modeste – à sa manière. « C’est la volonté de Dieu », a-t-il répondu à la chaîne Fox News qui l’interrogeait sur son rôle dans l’arrêt rendu vendredi par la haute juridiction.
Avant de se rattraper par voie de communiqué: la décision historique sur l’avortement, après celle de jeudi consacrant le droit au port d’armes en public, a été rendue possible « seulement car j’ai tenu mes promesses », « en nommant et installant trois constitutionnalistes très respectés et solides à la Cour suprême des Etats-Unis ». Et une fois n’est pas coutume, ses détracteurs partagent son constat, estimant que les revirements de jurisprudence en série sont bien à imputer au milliardaire républicain.
Entente « transactionnelle »
Pourtant, Donald Trump n’a pas toujours été dans le camp des opposants au droit à l’avortement, qu’il avait même publiquement défendu en 1999. Peu connu pour sa foi et sa fréquentation des églises, deux fois divorcé, l’ex-magnat de l’immobilier peut difficilement être classé parmi les représentants de la droite religieuse. C’est donc en se pinçant le nez que de nombreux chrétiens évangéliques votent pour lui lors de l’élection de 2016. Dans l’espoir qu’en échange de leur soutien, Donald Trump se fasse le champion de leur cause sur le terrain judiciaire.
Pari gagné: l’homme n’est plus à la Maison Blanche, mais l’Amérique chrétienne a enfin décroché son Graal avec la remise en cause du droit à avorter. « Comme c’est le cas pour presque toutes les décisions politiques de Trump, son entente avec les conservateurs religieux est strictement transactionnelle, pas théologique », explique à l’AFP Mark Bayer, président du cabinet de conseil Bayer Strategic Consulting. « En échange du soutien des conservateurs, Trump a nommé des juges déterminés à supprimer le droit des femmes à contrôler leur propre corps, un objectif majeur de la droite religieuse », ajoute cet ancien conseiller parlementaire d’élus démocrates.
Le candidat de 2016 avait rallié cet électorat clé en choisissant Mike Pence, un conservateur sourcilleux, pour la vice-présidence, et en publiant avant même sa victoire la liste des personnes qu’il envisageait de nommer à la Cour suprême. Caleb Verbois, politologue au Grove City College, une université chrétienne conservatrice de Pennsylvanie, raconte d’ailleurs avoir reçu ce message d’un ami juste après l’arrêt de vendredi: « mon marché avec Trump vient de porter ses fruits ».
A double tranchant
« Si vous êtes un conservateur convaincu, je pense qu’il est indéniable que les trois choses les plus importantes qu’il ait faites sont ses trois nominations à la Cour suprême », dit-il à l’AFP. Lorsqu’il quitte le pouvoir l’an dernier, battu par Joe Biden, l’ex-président, malgré son style tonitruant et sa propension à casser tous les codes, ne laisse derrière lui qu‘un bilan législatif très maigre. Mais les observateurs les plus avisés préviennent alors déjà: son vrai bilan, c’est le nombre record de nominations judiciaires et les trois « sages » installés au sein du temple du Droit.
Dans un pays fédéral où les juges sont élus au suffrage universel ou nommés par des responsables politiques, et où la justice tranche bon nombre de sujets sociétaux comme le mariage homosexuel, les questions raciales ou les politiques climatiques, ce travail méthodique mené main dans la main avec les républicains du Congrès a fini par changer la donne. D’autant que les juges de la Cour suprême sont nommés à vie, et l’âge relativement jeune de ceux choisis par Donald Trump laisse penser que « cette décision », comme d’autres, « durera longtemps », prédit Mary Frances Berry, professeure d’histoire à l’Université de Pennsylvanie.
Cette victoire pour son camp arrive en tout cas au bon moment pour l’ex-président, alors qu’il caresse l’ambition de se représenter en 2024 mais est vilipendé par une commission d’enquête parlementaire l’accusant d’avoir tout fait pour se maintenir au pouvoir après sa défaite à l’élection de 2020. « La droite chrétienne va l’aimer encore plus qu’avant, car il tranche avec l’image des politiques qui ne tiennent pas leurs promesses », estime Mary Frances Berry. Pour Mark Bayer toutefois, ce succès est à double tranchant car il va « motiver » la gauche à aller massivement aux urnes « aux législatives de novembre puis à nouveau à la présidentielle de 2024 pour renverser la tendance droitière ».
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