En 2023, le Mexique a expédié l’équivalent de 490 milliards de dollars de marchandise vers les Etats-Unis. Une frontière qui rapporte… © GETTY IMAGES

Au Mexique, les relocalisations font miroiter un boom économique

Après la pandémie de Covid qui a bouleversé les schémas de production, le Mexique attire de nombreuses entreprises étrangères, soucieuses de se rapprocher du marché américain.

«En ce moment a lieu une invasion massive à notre frontière sud, affirmait Donald Trump en juillet dernier devant des dizaines de milliers de convaincus. Elle répand la misère, le crime, la pauvreté, les maladies…» Dans ses propos anti-immigration, il charge volontiers le Mexique comme responsable de tous les maux. Mais au-delà des discours, il est bon de rappeler l’importance de ce pays dans l’économie de la région, voire du monde. La frontière génère près de deux milliards de dollars chaque jour. A lui seul, le Mexique a expédié l’équivalent de 130 milliards de dollars de marchandises vers les Etats-Unis rien qu’au second trimestre 2024. L’Institut mexicain de statistique et de géographie (Inegi) précise que pour l’ensemble de l’année 2023, ce chiffre s’élève à 490 milliards.

L’avantage de la proximité

Ces montants record témoignent d’une réalité parfois peu mise en avant: le Mexique est désormais le premier partenaire commercial des Etats-Unis, devant la Chine. L’unique pays latino d’Amérique du Nord profite de sa situation stratégique et de certains changements dans les dynamiques commerciales globales pour capitaliser sur le phénomène du «nearshoring»: les relocalisations d’entreprises au plus proche de leurs marchés finaux. «Le Mexique est face à une des plus grandes opportunités de développement économique de ces 20 à 30 dernières années», confirme Mario López Roldán, directeur de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour l’Amérique latine. L’institution intergouvernementale observe que depuis 2020, le Mexique profite d’un contexte économique inédit, suscitant de nouvelles préoccupations: «La difficulté est de ne pas interrompre les chaînes internationales d’approvisionnements pendant une pandémie, comme cela fut le cas avec le Covid-19, analyse le représentant de l’OCDE depuis son bureau de Mexico. Le « nearshoring » aide à avoir ses fournisseurs proches de ses installations productives et de ses marchés.»

En plus de la zone frontalière, la région du Bajío, au centre du pays et un de ses plus importants corridors industriels, se positionne pour capter un maximum de relocalisations. Partie intégrante de ce territoire, le très dynamique Etat de Guanajuato a réussi à attirer près de 200 entreprises ces six dernières années. C’est là que Streit, un constructeur de turbocompresseurs pour voitures d’origine française (au capital désormais majoritairement taïwanais, détenu par le groupe de fonderie Mei Ta) a choisi de s’implanter en 2019. Au-delà de simples relocalisations d’entreprises isolées, c’est l’ensemble des chaînes de production, approvisionnement, fabrication, logistique, qui tendent à se rapprocher des produits finaux et des consommateurs.

«On est sur une accélération du marché, une relocalisation des activités, analyse Xavier Augonnet, directeur de Streit au Mexique. Aujourd’hui, il n’y a pas un client qui ne nous appelle pas pour nous demander du contenu local et à être certifié USMCA. Cela signifie qu’il faut des pièces fabriquées localement.» L’acronyme anglais USMCA revient souvent dans le monde des affaires au Mexique. Il s’agit des accords de libre-échange commercial Canada-Etats-Unis-Mexique (Aceum, en français). Mis en place en 1994 avec l’Aléna, un traité rompu en 2020 pour laisser place à la nouvelle réglementation, les termes de ces accords changent souvent, mais ils prévoient, dans les grandes lignes, une suppression des taxes douanières pour les échanges commerciaux entre les trois pays nord-américains. Concernant l’industrie automobile, il faut néanmoins justifier d’au moins 75% de valeur ajoutée locale. C’est-à-dire que les trois quarts des composants doivent être usinés au sein de l’espace de libre-échange pour être exemptés des frais de douane.

«Le “nearshoring” ne devrait pas reposer sur le maintien des salaires faibles, il devrait au contraire contribuer à les augmenter.»

Un impact sur l’emploi

Dans le vacarme des machines industrielles, les 270 personnes qu’emploie actuellement Streit s’activent pour rentrer dans leurs impératifs de production. L’unique site mexicain de l’entreprise produit près de deux millions de pièces à l’année, pour une demande nord-américaine que Xavier Augonnet estime à dix millions de turbos annuels. «On emmène les pièces au fond, où elles seront lavées, montre-t-il. Là-bas, on a les opérations d’assemblage et les contrôles d’étanchéité.»

La demande augmente considérablement et le groupe mise sur une future diversification dans la fabrication des pièces pour étendre son savoir-faire à des marchés autres que celui de l’automobile. «Derrière les bâches noires, ce sont les 5.000 mètres carrés d’espace supplémentaires», lâche le directeur de Streit en pointant le fond de l’usine. Cette expansion devrait être effective en ce mois de novembre. L’entreprise augmentera ainsi de 70% son espace de production. «Dans les trois ans à venir, on doublera quasiment les effectifs.»

Certaines entreprises ont donc opté pour une relocalisation de leurs activités afin de produire et d’exporter au sein du bloc commercial nord-américain. Pour des raisons évidentes d’importance de marchés, l’Aceum est l’entité qui prédomine en matière de «nearshoring». Mais ce n’est pas le seul avantage du Mexique. Mario López Roldán rappelle que Mexico bénéficie d’accords de libre-échange avec plus de 40 pays, dont l’Union européenne. Le pays jouit d’une position favorable grâce aux plus de 3.000 kilomètres de frontière qu’il partage avec les Etats-Unis, ainsi que d’une ouverture sur l’Europe et l’Asie avec un accès direct aux océans Atlantique et Pacifique.

Avery Dennison, géant américain spécialisé dans les produits adhésifs, confirme ce constat. Le groupe a même anticipé certaines évolutions car il s’est implanté au Mexique dès 1987. L’entreprise vient tout juste d’inaugurer une nouvelle usine d’étiquettes intelligentes aux alentours de Querétaro, une autre place industrielle de première importance. L’investissement de près de 100 millions de dollars est amplement justifié, selon Federico Partida, responsable du développement d’Avery Dennison au Mexique: «La confiance qu’on observe envers les investissements réalisés dans tout le pays représente pour nous une consolidation du statut du Mexique comme un pilier important dans les opérations.»

Les entreprises louent le «talent mexicain», l’implication des travailleurs, dans le processus de production. © GETTY IMAGES

Salaires plus bas

Le marché du travail est une autre raison qui explique le dynamisme du Mexique. Federico Partida insiste sur l’importance du «talent mexicain» dans le processus de production avec des «travailleurs qui démontrent beaucoup de capacités, d’implication, de créativité et d’adaptabilité.» Le représentant d’Avery Dennison reconnaît que la compétitivité du travail au Mexique est une caractéristique du pays. La différence de salaire entre un ouvrier mexicain et étasunien avoisine parfois le «fois dix», selon les modes de calcul. «Le gros avantage du Mexique reste le coût de la main-d’œuvre de production, analyse Xavier Augonnet. Ce qu’est payé un opérateur ici est extrêmement compétitif sur le marché nord-américain.»

Du côté de l’OCDE, les logiques de relocalisations conduisent à des interrogations. Le Mexique affiche les salaires les plus bas parmi les pays membres de l’organisation. «Les bas salaires continuent d’être vus comme un avantage, mais à l’OCDE, nous croyons que c’est une erreur. Le « nearshoring » ne devrait pas reposer sur le maintien des salaires faibles, il devrait au contraire contribuer à augmenter les salaires des travailleurs mexicains», affirme Mario López Roldán. Même si avec la précédente administration du président Andrés Manuel López Obrador, le salaire minimum est passé de 148 à 415 euros mensuels en six ans, le Mexique connaît encore un phénomène de travailleurs pauvres. Selon l’OCDE, ils seraient aussi les moins productifs des pays membres alors que, paradoxalement, ils justifient de plus longues semaines travail, celles-ci étant fixées à 48 heures.

Dans certaines entreprises pratiquant le travail à la chaîne, de plus en plus d’employés se plaignent des conditions de travail difficiles. En poste depuis plus de 30 ans dans une usine d’assemblage de General Motors, l’un des leaders américains du marché automobile, ce salarié, qui a préféré rester anonyme par peur d’éventuelles sanctions, est en première ligne pour observer les stratégies des dirigeants. Avec l’augmentation des demandes après la pandémie de Covid, il existerait une volonté d’imposer les mêmes objectifs de production avec une main-d’œuvre réduite. «On perçoit plus de pression, on se sent observé, confie l’employé syndiqué. Sans prévenir, les gérants augmentent la cadence de travail de quelques secondes sur la ligne de production pour contraindre à travailler plus vite sans que l’on s’en rende compte.»

«Le type de croissance encouragé ces dernières décennies comporte une très grande dimension d’inégalité.»

Les accords commerciaux avec plus de 40 pays ont favorisé les relocalisations d’entreprises au Mexique, dont VW et General Motors. © GETTY IMAGES

Protection contre la Chine

Les grands constructeurs comme General Motors ou Ford représentent des acteurs historiques de l’économie mexicaine. Les mauvais traitements y sont souvent dénoncés. «Le type de croissance encouragé ces dernières décennies comporte une très grande dimension d’inégalité, alerte Mario López Roldán. On constate une concentration des richesses entre très peu de mains.» Les nouvelles dynamiques créées par l’arrivée constante d’entreprises étrangères pourraient contribuer à améliorer cette situation. La forte demande de main-d’œuvre et une situation de quasi-pénurie sur le marché du travail poussent certains employeurs à améliorer leurs salaires et leur offre.

Avantage pour certains, la condition des travailleurs peut aussi être perçue comme un handicap pour le Mexique. Mais ce n’est pas le seul frein au développement et au miracle économique annoncé. Le phénomène de relocalisation des chaînes de production est avant tout le résultat d’un contexte économique qui favorise momentanément le Mexique. Les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis depuis 2016 ont complètement redistribué les cartes en matière de commerce international. «L’Amérique du Nord est en train de se protéger de l’impact chinois, de la concurrence déloyale ou pas, observe Xavier Augonnet. Elle se protège avec des lois, avec des conditions d’importation et des barrières douanières très importantes.»

En plus d’être dépendant d’un contexte international, le «nearshoring» mexicain est aussi tributaire des décisions du gouvernement qui ont tendance à inquiéter les investisseurs. Entre autres, une récente réforme judiciaire, qui prévoit l’élection des juges et magistrats directement par les citoyens, a créé un fort sentiment de méfiance généralisé autour des institutions et a généré une perte de confiance des marchés envers le Mexique. L’insécurité croissante et la corruption généralisée sont aussi des freins pour attirer certains investisseurs.

De nombreux enjeux autour des relocalisations seront décidés en novembre de l’autre côté de la frontière, avec l’élection présidentielle aux Etats-Unis. Accentuation de la guerre commerciale avec Pékin ou évolution vers un semblant de stabilité? «Il est difficile de se projeter et d’imaginer les conséquences», admet le directeur de Streit au Mexique. Une chose demeure certaine: le pays a encore d’importants progrès à faire en matière de droit du travail, d’environnement, de sécurité et d’éducation pour construire un modèle économique durable.

Par Julien Delacourt

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