Le futur chancelier Friedrich Merz et le chef des sociaux-démocrates Lars Klingbeil: une complicité à confirmer dans l’action. © GETTY

Pourquoi le gouvernement de coalition en Allemagne a des bases fragiles

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Les chrétiens-démocrates soutiennent du bout des lèvres le futur chancelier Friedrich Merz, accusé d’avoir trop concédé aux sociaux-démocrates dans le programme de l’exécutif.

Il aura suffi de 50 jours à la CDU et au SPD pour trouver un accord de coalition à l’issue des élections législatives du 23 février. Le score élevé du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD, 20,8% et 152 députés) ne laissait d’autre choix aux partis traditionnels que de se rapprocher. Malgré leur méfiance initiale, la confiance s’est rapidement instaurée entre Friedrich Merz et le nouvel homme fort du Parti social-démocrate, Lars Klingbeil. Sous la pression des attentes de leurs militants et des droits de douane en cascade de l’administration Trump, les quelque 190 négociateurs des deux partis ont dû «rapidement parvenir à un résultat», a résumé Friedrich Merz lors de la présentation de l’accord «Responsabilité pour l’Allemagne».

«L’Allemagne est de retour, a souligné le patron de la CDU. Vous ne trouverez pas une grande partie de ce que vous attendiez dans ce texte, et vous trouverez une grande partie de ce que vous n’attendiez pas.» Une formule énigmatique, destinée à rassurer la base des conservateurs, convaincus que les négociations se seraient soldées par une «victoire» du camp social-démocrate. Le contrat de coalition est une tentative de rapprocher des positions initiales radicalement opposées. Comme sur l’immigration: l’accord prévoit de réduire l’immigration clandestine, l’une des promesses de la CDU, sans renoncer au droit d’asile, point fort du programme des sociaux-démocrates. Sur le volet économique, les futurs alliés promettent des baisses d’impôts pour les sociétés et les classes moyennes, voulues par la CDU, mais seulement en deuxième partie de mandat. En échange, le SPD renonce à la hausse des taxes sur les plus hauts revenus. Sur le plan social, la réforme des minima sociaux doit être contrebalancée par une possible hausse du salaire minimal.

«Le SPD a obtenu sept ministères, autant que la CDU.»

Compromis sans vision

L’accord de coalition est avant tout pragmatique. Pas de grandes visions à l’ordre du jour. Quatre-vingt-huit mesures doivent faire l’objet d’un examen circonstancié, selon l’état des finances. «Nous voulons» revient 300 fois dans le texte, ce qui laisse là aussi une marge de manœuvre au futur gouvernement. Friedrich Merz et Lars Klingbeil ont tiré les leçons des échecs de la coalition d’Olaf Scholz, dont le programme avait volé en éclats au bout de deux mois, avec l’invasion de l’Ukraine. Treize lois adoptées par le gouvernement sortant seront réexaminées par la nouvelle majorité, notamment celle sur la légalisation du cannabis. La nouvelle majorité s’apprête aussi à un retour en arrière sur les minima sociaux, l’une des grandes réformes du gouvernement Scholz. Les bénéficiaires de «l’argent citoyen» seront incités à rejoindre le marché du travail, avec le retour prévu de sanctions pour ceux qui refuseraient un emploi.

Friedrich Merz devrait être élu chancelier par le Bundestag le 6 mai prochain, avec les voix de la CDU et du SPD. Le texte de coalition doit encore être approuvé en interne par les deux partis d’ici à la fin avril. La CDU convoquera pour cela un minicongrès tandis que le SPD doit se soumettre au vote de sa base. Dans les deux cas, il s’agit d’une procédure de forme, dont l’issue fait peu de doutes. Même si, du côté de la CDU surtout, une partie des militants rue dans les brancards, alors que six importantes élections régionales se tiendront en 2026. «Que la coalition ait réussi à échapper aux hausses d’impôts voulues par le SPD et qu’elle porte clairement la marque de la CDU sur la question migratoire va un peu rassurer la base», espère le député Jürgen Hardt, de Wuppertal (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). «Friedrich Merz a dû céder davantage de terrain aux sociaux-démocrates que ce qu’il avait imaginé, affirme le politologue Werner Patzelt. Le SPD s’est avéré être un partenaire de négociations beaucoup moins confortable que ce qu’il avait pensé.»

Majorité étroite

L’abandon du frein à la dette, pourtant inscrit dans la Constitution, est vécu par une partie du camp conservateur comme une trahison. Début avril, un sondage a placé pour la première fois l’AfD en tête des intentions de vote, à 25%, devant la CDU-CSU créditée de 24%. L’extrême droite profite notamment du mécontentement de la base conservatrice envers le programme de coalition. D’après une autre enquête d’opinion, 28% des électeurs de la CDU ne croient plus en Friedrich Merz. Une série de députés chrétiens-démocrates ont pris leurs distances avec le futur chancelier. «Le SPD a obtenu sept ministères, autant que la CDU, et le contrat de coalition porte clairement la marque de la sociale-démocratie sur de nombreux points, dénonce ainsi le militant Simon Sopp, du Bade-Wurtemberg, au sud-ouest de l’Allemagne. Il manque une vraie réforme structurelle, un vrai virage économique.» Or, la CDU, avec 28,6% des voix aux législatives de février, pèse presque le double du poids électoral du SPD (16% des suffrages). Lars Klingbeil est notamment pressenti pour le très puissant ministère des Finances et le poste de vice-chancelier. Les chrétiens-sociaux bavarois de la CSU, alliés à la CDU, obtiendront cependant trois ministères supplémentaires pour le camp conservateur. Mais leur patron, Markus Söder, réputé vouloir défendre les intérêts de la Bavière avant ceux de l’Allemagne, est perçu à Berlin comme un allié inconfortable, que Merz devra tenter de contrôler.

D’autant que le futur chancelier dispose d’une majorité très étroite au Parlement: au Bundestag, où l’AfD dispose d’une minorité de blocage pour tous les textes qui nécessiteraient une révision de la Constitution; mais aussi au Bundesrat, la seconde chambre du Parlement qui représente les Länder. La situation y est complexe. La future coalition n’y disposera que de seize voix sur un total de 69, loin de la majorité de 35 voix. Or, 60% des lois votées par le Bundestag sont soumises à l’approbation du Bundesrat. Friedrich Merz sera donc contraint à d’âpres négociations avec les dirigeants des Länder. Un écueil de plus.

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