Allemagne : les éoliennes font leur révolution en Bavière
Le gouvernement d’Olaf Scholz veut consacrer 2% du territoire aux éoliennes d’ici à 2032. Une révolution pour certaines régions jusqu’alors réticentes aux aérogénérateurs. Mais la guerre en Ukraine a changé la donne.
Une petite brise se lève lorsque Roland Ahne pointe du doigt une colline couverte de sapins surplombant le vert pâle des champs de maïs. C’est là, dans la forêt, au cœur de la Bavière et des premiers contreforts des Alpes, que la commune de Mindelheim, 15 500 habitants, souhaite voir un jour tourner quatre éoliennes. Le conseil municipal s’est prononcé en faveur du projet à la quasi-unanimité au printemps dernier. Seul l’élu du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a voté contre. Mais dans la région, plus encore qu’ailleurs dans le pays, les obstacles à la réalisation sont considérables.
Roland Ahne siège depuis trente-deux ans au conseil municipal de Mindelheim, en charge depuis deux législatures des questions énergétiques. «Oui, la politique me plaît toujours autant, assure l’élu. Mais parfois, c’est compliqué, comme on le voit avec ce projet…» L’éolien à Mindelheim? L’affaire n’allait pas de soi. Le social-démocrate militait de longue date pour le développement des énergies renouvelables dans la commune. Mais sa position était loin de faire l’unanimité. Il a fallu attendre la crise énergétique et la guerre en Ukraine pour achever de convaincre le maire, Stephan Winter, en poste depuis 2002 et membre du Parti conservateur bavarois CSU.
De la résistance à la conversion
La CSU bavaroise, formation catholique ultraconservatrice au pouvoir dans la région depuis la guerre, a longtemps fait figure d’opposante aux énergies renouvelables en général, aux éoliennes en particulier, accusées de dénaturer le paysage idyllique de la région. Un consensus tacite voulait que dans la région, il était impensable d’édifier des éoliennes sur les contreforts des Alpes, dans ces paysages verdoyants de lacs et de pâturages, prisés des randonneurs et des peintres. «Pendant des années, on a fait ce qu’il ne fallait pas faire, estime Sören Schöbel, de l’université technique de Munich. On a élaboré des plans antiéoliennes, en définissant des zones où il ne faudrait pas en construire, au lieu d’élaborer des concepts pour leur développement. On a donné l’impression qu’il existe deux catégories de paysages, ceux qui sont beaux, qu’il faudrait “épargner”, et ceux qui le seraient moins, où on pourrait édifier des éoliennes. Ce fut une erreur fatale.»
On a donné l’impression qu’il y a deux catégories de paysages, ceux qui sont beaux, qu’il faudrait “épargner”, et ceux qui le seraient moins, où on pourrait édifier des éoliennes.
Plus vaste Land d’Allemagne par sa surface, la Bavière ne compte aujourd’hui qu’un millier d’éoliennes sur son territoire, presque toutes dans le nord du territoire, contre trois fois plus pour la petite Saxe-Anhalt voisine, en tête du classement national. La Bavière est tout simplement, et de loin, le plus mauvais élève du pays en la matière. Pourtant, une lente conversion s’opère dans les esprits, chez les élus comme chez les administrés.
Pour les producteurs d’électricité de la région, il y a urgence. Ils réclament deux mille aéromoteurs supplémentaires d’ici à 2040 pour stabiliser la production. A Munich, le gouvernement régional autour de l’ultraconservateur ministre-président Markus Söder, CSU, a lui aussi entamé sa mue, sous la double pression des réalités économiques et du changement de majorité à Berlin. Le gouvernement d’Olaf Scholz, le successeur social-démocrate d’Angela Merkel associé aux Verts et aux libéraux, veut accélérer le développement des énergies renouvelables, qui doivent représenter 80% de la production d’électricité en 2030. Mi-juin, il adoptait un projet de loi prévoyant qu’à l’horizon 2032, 2% de la surface du pays devront être consacrés aux éoliennes. Le pourcentage devra atteindre 2,2% dans le nord, plus exposé aux vents, 1,8% dans le sud, où les conditions climatiques sont moins favorables à l’éolien.
Règle d’éloignement
En Bavière, cela passera d’abord par un changement de législation. «Nous n’attendons plus qu’une chose pour lancer le projet, c’est que notre cher ministre-président concrétise sa promesse et adopte enfin la loi qui fera tomber la règle des 10H», résume Roland Ahne. La règle des 10H, c’est cette exception bavaroise, adoptée en 2014 par Munich, à l’heure où la très conservatrice CSU craignait de perdre la majorité absolue au parlement régional sous la poussée de l’extrême droite. «La règle des 10H dit qu’il faut respecter une distance de dix fois la hauteur d’une éolienne entre celle-ci et la plus proche habitation, résume Michael Egger, responsable du département de l’urbanisme de Mindelheim, sous le crucifix baroque qui orne les boiseries du bureau du maire, comme dans presque tous les bâtiments publics de la région. En clair, une éolienne doit pouvoir s’allonger dix fois de suite avant de toucher la première habitation! Bien sûr, ici comme dans bien d’autres communes, c’est la raison pour laquelle on ne construit plus d’éoliennes en Bavière. Il est trop compliqué de concilier conditions climatiques et respect de l’éloignement géographique.»
A Mindelheim, le projet de quatre éoliennes ne pourra être réalisé que le jour où sautera la règle des 10H: les infrastructures de la dernière génération atteignent jusqu’à 270 mètres de hauteur. Mais le couloir de vents favorables, au sommet de la colline boisée, se trouve à moins de 2 500 mètres du bourg. Une fois la règle abrogée dans la région, il suffirait de respecter une distance de 1 000 mètres avec les habitations, comme dans la plupart des autres régions d’ A llemagne.
La pression des entreprises
A une centaine de kilomètres à l’est de Mindelheim, à Munich, la capitale régionale, la fédération bavaroise de l’énergie et de l’eau (VBEW) dénonce, elle aussi, les obstacles politiques au développement de l’éolien dans la région. «Ce qu’on peut reprocher à notre gouvernement régional, c’est que, d’une façon générale, il a éveillé chez les gens le sentiment que les éoliennes, c’est mauvais, qu’il faut les construire le plus loin possible des maisons, le plus loin possible des habitants, soupire Detlef Fischer, président de la VBEW. Alors, bien sûr, plus personne ne voulait d’une éolienne près de chez lui! Mais avec la guerre en Ukraine, on voit bien que la question n’est plus de savoir si une éolienne est belle ou pas. La question que se posent les gens est de savoir s’ils auront du courant demain!»
En Bavière aussi, l’explosion du coût de l’énergie due au conflit a fait bouger les choses. Selon les derniers sondages, 85% des habitants sont aujourd’hui favorables aux énergies renouvelables. Du moins tant que les éoliennes ne poussent pas sous leurs fenêtres. Révolue l’époque où les dirigeants du Land parlaient «d’asperges géantes plantées dans le paysage». Place de la gare à Mindelheim, l’engouement pour le projet du maire semble surtout dicté par la raison. Gisela, une mère de famille de 65 ans, espère qu’elle «parviendra à s’y habituer» ; son mari, retraité, estime qu’«avec Poutine, on n’a plus le choix. Le gaz est trop cher. Et le prix de l’électricité va suivre.»
Quant aux entreprises, leurs attentes sont colossales. «Les entrepreneurs bavarois ont vraiment peur, résume Sören Schöbel. Peur d’être laissés sur le bas-côté, de se faire dépasser, aussi technologiquement, c’est pourquoi je pense que le développement des renouvelables montera en puissance en Bavière.» A Mindelheim, les entrepreneurs ont, de fait, joué un rôle non négligeable dans le projet d’éoliennes en bordure de la cité. «De nombreux investisseurs sont intéressés, précise Roland Ahne. Il y a d’abord l’entreprise Tricor, dans la ville voisine. Et puis, notre propre société locale d’approvisionnement en électricité et nos entreprises avec leurs 11 000 salariés. Dans tous les cas, on pourrait imaginer une structure financière avec participation de la municipalité et des habitants. Dans les communes voisines, on a vu des modèles qui ont suscité un très fort engouement de la population.»
Maintenant, les industriels veulent de l’énergie verte et la demande semble insatiable.
L’impact de la guerre
Chez Tricor, un fabricant de cartons industriels capables de porter une charge de trois tonnes et servant notamment à emballer les moteurs pour l’industrie automobile, le patron a vite fait ses calculs. Au rythme actuel, le budget énergie pourrait passer rapidement de 2,5% à 7,5% des coûts de production. Soit douze millions d’euros pour le gaz et l’électricité, au lieu de 3,8 millions l’an passé. De quoi menacer la rentabilité et la stabilité du site de production. «Tricor veut se transformer en usine verte, souligne Roland Ahne. L’entreprise a une grosse flotte de camions et souhaite produire de l’ électricité pour la transformer en hydrogène.» «Si le gouvernement régional s’intéresse vraiment à son industrie, il doit soutenir à fond le développement des énergies renouvelables», tranche le patron de Tricor, Robert Wiblishauser.
«Longtemps, les milieux d’affaires ont été sceptiques à l’égard des énergies renouvelables, considérées comme chères et peu rentables, rappelle Detlef Fischer. Maintenant, les industriels veulent de l’énergie verte et la demande semble insatiable. On peut dire que les choses ont commencé à bouger voici deux ans environ. Mais le coup décisif a été donné par la guerre en Ukraine. Depuis le 24 février, la donne a complètement changé. On voit des entreprises qui veulent tapisser leur toit de panneaux photovoltaïques pour s’alimenter elles-mêmes en courant. Mais pour l’éolien, le contexte n’est pas vraiment favorable en Bavière où nous importons 50% du courant consommé. La production varie énormément en fonction de la saison. Le soutien pour l’ éolien baisse si les aérogénérateurs ne tournent que mille heures par an.»
Protection des espèces
Dans ce contexte, la Bavière parviendra-t-elle à respecter la règle des 2% de territoire réservés aux éoliennes que le gouvernement veut prochainement faire adopter par le Bundestag? «Si ça continue au rythme actuel, je dirais que ce n’est pas réaliste, relativise Franz Mühle, de l’université technique de Munich. Il faut simplifier les processus d’autorisation des projets de champs d’éoliennes. Surtout, il faut une plus grande sécurité dans la planification de ces projets. Les processus d’homologation durent en moyenne quatre à cinq ans par éolienne, ce qui est énorme. Aujourd’hui, la plupart des projets passent par la case des tribunaux. Il faut instaurer une certaine sécurité juridique. Si toutes ces conditions sont remplies, alors ça pourra fonctionner ici aussi.»
A un an des prochaines élections régionales, le conservateur bavarois Markus Söder semble encore avancer à petits pas sur l’épineux dossier des éoliennes. Fin août, il promettait mille nouveaux aérogénérateurs dans les années à venir. Mais dans son allocution télévisée, le chef de la région se refusait toujours à annoncer la levée de la règle des 10H, qui bloque encore la plupart des projets sur le terrain, comme à Mindelheim. Ce n’est que lorsque la règle sera levée que la municipalité pourra passer à l’étape suivante, avec l’étude du contexte écologique, le décompte du nombre de chauves-souris et de milans royaux, une espèce dont la moitié de la population vit en Allemagne et est, à ce titre, des plus protégées… Autant d’obstacles potentiels à la construction des éoliennes. Un petit groupe d’opposants, concentré aux environs de la forêt, est bien décidé à évoquer la protection des espèces pour éviter la construction des quatre éoliennes de Mindelheim.
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