Al-Zarqaoui, le délinquant à l’origine de Daech
Abou Moussab al-Zarqaoui fut l’une des figures emblématiques du terrorisme islamiste. Il est celui qui a fait frémir toute la planète en propageant sur le net la première décapitation filmée et qui lança les prémisses de l’État islamique. Entre mythe et réalité, voici le portrait de ce Jordanien issu du petit peuple devenu l’un des terroristes les plus recherchés de la planète, au même titre qu’Oussama Ben Laden.
Abou Moussab al-Zarqaoui, de son vrai nom Ahmad Fadhil Al-Khaylayla Nazzal, est né en octobre 1966 dans la cité industrielle de Zarqa, en Jordanie. Les quelque 800 000 habitants qu’elle compte sont principalement des paysans, des réfugiés palestiniens et des Bédouins. Véritable bastion du salafisme – branche radicale de l’Islam – Zarqa est une ville pauvre.
Zarquaoui est issu de la tribu des Banni Hassan, des Bédouins disséminés à travers tout le Moyen-Orient. « Le niveau de vie dans sa famille était très bas. Il a vécu une vie des plus modestes « , affirme Fa’eq Shawish, un ancien codétenu de Zarqaoui devant la caméra du journaliste jordanien Fouad Hussein, qui a enquêté sur la vie de l’homme (1). « Il m’a même dit que parfois, pendant toute une période de sa vie, il ne trouvait pas de quoi calmer sa faim. D’après ce que j’ai pu voir, Abou Moussad Zarqaoui n’était pas quelqu’un de très instruit, ni de très intellectuel. Il ne maîtrisait pas non plus vraiment l’arabe classique. C’était quelqu’un de très simple, qui s’exprimait principalement en dialecte « , ajoute-t-il.
Pendant son adolescence, Zarqaoui traîne avec des jeunes de son quartier. Caïd de la rue, il verse dans la petite délinquance, consomme de l’alcool, de la drogue et aurait même commis plusieurs agressions sexuelles. « Ses maîtres d’école l’ont décrit comme un élève pas spécialement idiot, mais dissipé et peu porté sur les études, religieuses ou autres « , rapporte le journal Le Monde. Le jeune homme se fait d’ailleurs tatouer les bras, une pratique bien peu religieuse qui lui vaudra le surnom d' »homme vert » auprès de ses amis. Sa mère, inquiète pour lui, décide de l’envoyer dans une école coranique du quartier pour le remettre dans le droit chemin. Zarqaoui a alors dix-huit ans.
En peu de temps, le jeune homme se métamorphose en un pieux musulman. À la fin des années quatre-vingt, à l’âge de 23 ans, conquis par l’Islam, il décide de partir pour l’Afghanistan. Le schéma qu’il suit n’est pas inhabituel, la mosquée qu’il a fréquentée est une véritable passerelle pour les jeunes moudjahidines qui désirent prendre part au djihad. C’est à cette époque qu’il prend son nom de combattant : Abou Moussab al-Zarqaoui, en référence à Zarqa, sa ville d’origine. Il atterrit alors dans les rangs d’Oussama Ben Laden qui combat les troupes soviétiques en Afghanistan.
Après le retrait de l’URSS du territoire afghan, en février 1989, Zarqaoui décide de rester dans la communauté islamiste. Au cours de cette période, il ne retournera pas en Jordanie. Sa mère et ses soeurs viennent lui rendre visite. À l’époque, les djihadistes recevaient des billets d’avion et disposaient de grandes maisons pour recevoir leurs proches en Afghanistan. À l’occasion de l’une de ces visites familiales, Zarqaoui offre l’une de ces sept soeurs en mariage à l’un de ses frères d’armes pour consoler « l’heureux élu » d’avoir perdu un pied au combat.
Au début des années nonante, les djihadistes se replient à Peshawar au Pakistan. Zarqaoui n’est alors qu’un fantassin ordinaire. Au cours de cette période de latence, le jeune homme rencontre Abou Mohammed al-Maqdisi, un homme charismatique qui a fait des études de droit musulman. Maqdisi prêche contre les gouvernements arabes. Selon lui, il est nécessaire de les renverser afin de changer la réalité arabe. Pour ce faire, l’usage de la force est autorisé. Il persuade alors Zarqaoui de retourner en Jordanie avec lui dans le but d’y créer une cellule djihadiste locale pour renverser le régime.
Un an après leur retour, les deux hommes se font repérer par les services jordaniens. Ils sont arrêtés, jugés et condamnés à quinze ans de prison pour détention d’armes. Ils ne prennent pas d’avocats pour leur défense et répondent en portant des accusations contre le roi Hussein et le procureur qui, selon eux, ne suivent pas le bon chemin puisqu’ils n’appliquent pas les préceptes divins et ne respectent pas la foi musulmane.
En prison, Zarqaoui et Maqdisi sont placés en isolement. Dans un premier temps, Zarqaoui absorbe les théories salafistes de Maqdisi. Après huit mois et demi, l’isolement du jeune homme prend fin. Zarqaoui fédère alors un groupe de prisonniers autour de lui. Selon le journaliste Fouad Hussein qui l’a rencontré en prison, « c’était quelqu’un de très tranquille, il était impossible de l’imaginer en tant que dirigeant d’Al-Qaida. » Fa’eq Sawish, l’ancien codétenu se souvient que « ce qui lui importait, c’était d’apprendre le coran par coeur. Je l’ai aidé dans cette entreprise. Tous les jours je lui faisais réciter une dizaine de versets du Coran. Connaître par coeur le livre de dieu dans son intégralité était sa seule préoccupation. Je l’accompagnais dans cet apprentissage. »
Samy Majally, l’ancien directeur de l’administration pénitentiaire livre un tout autre souvenir : « C’était quelqu’un de rude, les relations avec lui étaient difficiles. On était très prudents quand on le voyait. D’autant plus qu’il était le chef d’un groupe parmi les prisonniers. Ils le considéraient comme leur Émir. Toute affaire qui concernait l’un de ces prisonniers devait se régler avec lui. » Zarqaoui profite également de son passage en prison pour tenter d’effacer ses tatouages avec de l’acide. Il en gardera les cicatrices.
En 1999, le roi Abdallah II monte sur le trône. Pour son investiture, le nouveau monarque offre une grâce royale aux détenus : ils peuvent sortir de prison à condition de quitter la Jordanie pour ne jamais y revenir. Maqdisi refuse le marché contrairement à Zarqaoui qui accepte l’exil et reprend la route de l’Afghanistan. Après sept ans d’emprisonnement, la personnalité de Zarqaoui a changé : il est devenu un leader.
Arrivé en Afghanistan, Ben Laden propose à Zarqaoui de rejoindre ses rangs en lui prêtant allégeance. Le jeune djihadiste accepte à la condition que Ben Laden condamne le gouvernement saoudien jugé impie. Ben Laden n’est pas prêt à franchir ce cap et refuse. Un des lieutenants de Ben Laden lui aurait alors proposé de fonder son propre mouvement en gardant un contact avec Al-Qaida. Zarqaoui fonde donc son camp d’entrainement près de la ville d’Herat avec deux de ses anciens codétenus. S’il n’a pas prêté allégeance à Ben Laden, Zarqaoui reste néanmoins un atout pour Al-Qaida, car il recrute ses hommes autrement et dans des régions différentes. Oussama Ben Laden attirait principalement les Égyptiens et les Saoudiens. Zarqaoui, lui, recrute en Palestine, en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Irak.
Iyad Al Toubassi, un membre présumé du réseau Zarqaoui se remémore le camp devant les caméras de Fouad Hussein : « Le camp d’Herat était dans les montagnes, c’était un camp modeste. Ce n’était pas une vie joyeuse, ni confortable. Il insistait pour que notre vie soit extrêmement modeste. Ce n’était pas un grand camp. Il n’y avait que trois ou quatre chambres. Il se divisait en deux parties : une pour les étudiants et une autre pour les hommes de Zarqaoui, les Arabes.«
Quand les Américains entrent en Afghanistan après le 11 septembre 2001, Zarqaoui et ses compagnons sont forcés de partir dans un premier temps pour Kandahar, une ville plus sûre en raison de la présence des troupes de Ben Laden, avant de quitter le pays. « Il nous a surpris quand il nous a dit qu’il fallait quitter l’Afghanistan. Il nous a dit ça en pleurant et les frères se sont mis à pleurer aussi parce que nous devions quitter la terre du Jihad« , se souvient Iyad Al Toubassi.
Début 2002 Zarqaoui arrive en Iran. Les États-Unis font pression sur Téhéran, qui chasse Zarqaoui de son territoire. Zarqaoui part alors avec ses fidèles pour le Kurdistan irakien. Une zone au nord de l’Irak qui échappe au contrôle de Saddam Hussein depuis 1991. Il s’allie avec le groupe salafiste locale » Ansar-al-islam ». C’est depuis cette région que Zarqaoui commandite l’assassinat du diplomate américain Laurence Foley, en Jordanie. Un assassinat qui lui vaudra de se faire condamner à mort par contumace dans son pays d’origine.
L’un des arguments de Colin Powell, le secrétaire d’État américain de l’époque, pour envahir l’Irak était la présence de Zarqaoui dans le pays. Selon lui, l’homme est le trait d’union entre Saddam Hussein et Al-Qaida. Un argument irrecevable étant donné les orientations politiques radicalement opposées des deux hommes. Un autre argument était qu’il aurait en sa possession des armes chimiques. Les Américains auraient déjoué un attentat en Jordanie planifié par Zarqaoui. L’explosion aurait pu provoquer un nuage chimique qui aurait pu faire entre 80 000 et 60 000 victimes, selon les Américains.
Ce dernier argument consacre Zarqaoui au rang d’ennemi public numéro un et sa tête est mise à prix à hauteur de vingt-cinq millions de dollars, une somme équivalente à celle de Ben Laden.
Dans la foulée, la guerre contre l’Irak est lancée en septembre 2003. Objectif : renverser Saddam Hussein et retrouver Zarqaoui. Jusqu’alors, les Irakiens ne croient pas en l’existence du personnage de Zarqaoui : la population pense qu’il s’agit d’un mythe pour légitimer l’invasion américaine. Le 9 avril 2003, le régime tombe. Les Américains parviennent à affaiblir les positions de Zarqaoui sans lui mettre la main dessus.
Zarqaoui orchestrera de nombreux autres attentats dans la région dont celui contre l’ambassade de l’ONU à Bagdad, qui a tué 22 personnes, dont le représentant du Secrétaire général de l’ONU, Sergio Vieira de Mello. Il réussira également un attentat spectaculaire en frappant simultanément trois hôtels d’Amman en Jordanie. Son organisation sera même soupçonnée d’avoir orchestré les attentats de Madrid de mars 2004.
Vient ensuite le premier assassinat d’un otage étranger : le jeune entrepreneur américain Nicholas Berg sera égorgé face caméra. L’exécution est scénarisée avant d’être mise en ligne sur le net. Cette vidéo provoque l’effroi de l’Occident. Elle ne sera pourtant que la première d’une longue série de décapitations d’otages étrangers relayées sur internet.
Comprenant l’importance des médias, Zarqaoui s’attaque non seulement aux Occidentaux et aux juifs, mais surtout aux musulmans chiites. Un acharnement qui lui sera reproché par de nombreuses figures de la mouvance salafiste, dont Ben Laden et son ancien codétenu, et mentor, Maqdisi, qui le désavouera sur son site web. Sa propre tribu, le clan des Banni Hassan, le reniera pour ses actes de barbarie.
En 2004, les États-Unis ont la preuve d’un lien entre Zarqaoui et Ben Laden via une lettre qui atteste d’un rapprochement entre les deux hommes. Zarqaoui devient dès lors le chef du mouvement dit « Al-Qaida en Mésopotamie ». Les prémisses de Daech et de l’État islamique sont jetées.
Zarqaoui et sa mouvance ne se revendiqueront jamais vraiment d’Al-Qaida. En 2006, après une longue traque, Zarquaoui est tué par des frappes aériennes américaines. Cependant, son projet d’État islamiste lui survivra. La tête du mouvement sera reprise par l’islamiste Al-Baghdadi qui se désolidarisera complètement d’Al-Qaida et deviendra, par la suite, le chef de l’organisation terroriste État islamique.
Clara Veszely
(1). Son travail a été relayé par le documentaire : « Zarqaoui – La question terroriste », diffusé sur Arte.
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