L’incroyable chute de Bachar al-Assad, ses raisons, ses conséquences
Les rebelles islamistes ont renversé le régime en douze jours. Qu’adviendra-t-il de la minorité alaouite, des relations avec les Kurdes et avec Israël, de la place de la Russie? Eléments de réponse.
Réaliser en douze jours ce que la révolution puis la guerre civile n’avaient pas réussi à faire en plus de treize ans: tel est le «coup d’éclat» opéré par les insurgés islamistes du Hayat Tahrir al-Cham (HTC), l’Organisation de libération du Levant, et couronné le 8 décembre par la prise de Damas. Il ne faut pas être grand stratége pour constater que l’armée syrienne n’a pas opposé une résistance acharnée à cette avancée et pour établir que le régime de Bachar al-Assad, au pouvoir depuis près de vingt-cinq ans (2000) et trente de plus s’il on compte le «règne» de son père Hafez al-Assad (à la tête du pays depuis 1971), s’est effondré comme un jeu de cartes.
Un tel scénario ne peut s’expliquer que par l’incapacité du pouvoir de Bachar al-Assad à se perpétuer en raison de son impopularité (il est issu de la minorité alaouite chiite) et de son incurie. Il n’a survécu à la révolution que grâce à ses alliés, la Russie, l’Iran et son supplétif dans la région, le Hezbollah libanais. Ceux-ci étant affaiblis (le Hezbollah et l’Iran) ou focalisés sur des missions plus importantes (la Russie), le leader de Damas s’est retrouvé impuissant une fois l’offensive islamiste venue, surgie du réduit d’Idlib où elle a dopé pendant quelques années ses forces, avec le concours de la Turquie.
L’incroyable fin de la dynastie des Assad ouvre une période de grande incertitude pour la Syrie et la région. Dans le pays, quelle sera le sort réservé à la minorité allaouite, support de l’ancien régime, et aux communautés chrétiennes? Le leader de Hayat Tahrir al-Cham, Abou Mohammed al-Joulani, ancien dirigeant de la branche syrienne d’al-Qaeda, le Front al-Nosra, a un passé d’islamiste parmi les plus extrémistes qui suscite l’inquiétude, même si le HTC s’en est éloigné à partir de 2016 et que lui-même a assuré, depuis les premiers succès de l’offensive vers Damas, que les minorités chrétiennes seront respectées. Autre incertitude: les relations avec les forces kurdes qui occupent le nord-est de la Syrie. S’il est redevable à son «parrain» turc, Abou Mohammed al-Joulani devrait tenter de récupérer ses territoires pour asseoir son pouvoir en Syrie et pour rencontrer l’objectif principal du président turc Recep Tayyip Erdogan dans les opérations qu’il diligente en Syrie, affaiblir les forces autonomistes kurdes alliées de celles auxquelles il est lui-même confronté dans son pays.
Enfin, l’arrivée d’un régime islamiste en Syrie a de quoi inquiéter en Israël, par la convergence religieuse (ils sont tous les deux sunnites) et idéologique qu’Hayat Tahrir al-Cham nourrit nécessairement avec le Hamas palestinien. En revanche, elle devrait consacrer la fin de l’influence du Hezbollah et de l’Iran dans la conduite de la politique syrienne, ce qui est plutôt un atout pour Benjamin Netanyahou. On peut penser aussi que les «libérateurs» de la Syrie s’attacheront d’abord à pacifier le territoire qu’ils contrôlent avant de se lancer dans une confrontation ouverte avec l’Etat hébreu.
L’objectif de pacification du pays impliquera un effort de conciliation, en particulier avec la Russie de Vladimir Poutine, pour régler le sort des installations russes dans le pays. Les semaines qui viennent seront cruciales pour déterminer si Moscou arrive à nouer des liens durables avec le nouveau régime afin d’espérer continuer à compter la Syrie parmi ses partenaires. Somme toute, l’aviation russe n’a pas fait preuve d’un zèle très appuyé pour sauver le soldat Bachar al-Assad face aux rebelles… A défaut, si ce partenariat était perdu, cela signerait la fin des ambitions russes au Proche-Orient et constituerait un camouflet qui ne serait pas sans effet sur la position de Vladimir Poutine dans la guerre en Ukraine.
Abou Mohammed al-Joulani et ses lieutenants vont être très scrutés et très sollicités ces prochaines semaines. Ils détiennent depuis ce 8 décembre les clés d’une partie du sort du Proche-Orient.
«L’aviation russe n’a pas fait preuve d’un zèle très appuyé pour sauver le soldat Bachar al-Assad…»
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