Toufah Jallow, la femme qui inspira un #MeToo africain
La jeune fille a été abusée sexuellement par le président gambien. Elle veut que son témoignage aide à briser le silence mortifère.
«Je veux qu’on voie une femme qui a été violée et qui se tient debout, fière et forte. […] Je veux que des filles semblables à celle que j’étais sachent qu’il est possible de survivre à l’odyssée dans l’inconnu. Qu’elles aient l’exemple d’une survivante visible. Qu’elles voient que j’ai survécu. Et qu’elles y puisent de la force.» Cette «odyssée dans l’inconnu» est racontée dans Toufah. La femme qui inspira un #MeToo africain (1). C’est celle de Toufah Jallow, lauréate d’un concours de beauté dans son pays, la Gambie, en 2014, et violée en juin 2015 par son président, Yahya Jammeh.
Je veux qu’on voie une femme qui a été violée et qui se tient debout, fière et forte.
Au lieu de profiter de la bourse d’études qui devait récompenser sa victoire au concours, Toufah Jallow doit subir les assiduités du chef d’Etat gambien. «Je veux t’épouser», lui assène-t-il un jour. La jeune fille, sans doute moins vulnérable que celles dont il a l’habitude d’abuser, lui dit «non». Sauf que dans l’entendement de Yahya Jammeh, il s’agissait d’une affirmation, pas d’une demande. Invitée une nouvelle fois au palais présidentiel en vertu de ses obligations de lauréate du concours, Toufah Jallow tombe dans un guet-apens et se fait violer. S’ensuivent une période de mutisme, une évasion vers le Sénégal, alors qu’elle n’a pas encore révélé à sa famille ce qu’elle a subi de peur de l’exposer à des représailles, la réception de son témoignage par des militants des droits de l’homme à l’écoute (issus de Human Rights Watch et de l’association Trial International) et un exil au Canada où sa sécurité peut être mieux assurée.
Après avoir suivi une thérapie et s’être reconstruite dans des conditions difficiles, la jeune Gambienne décide de révéler son viol en juin 2019: interviews dans les médias, conférences de presse au Sénégal et en Gambie (que Yahya Jammeh a quittée après avoir perdu le pouvoir au terme de l’élection de 2016), conférences aux sièges de l’ONU et de la Cour pénale internationale. C’est une épreuve pour Toufah Jallow (une partie des réactions à sa prise de parole est «un masterclass en culture du viol», dit-elle) mais qu’elle a décidé d’assumer pour rendre visibles dans son pays les victimes d’un crime – le viol – qui est à ce point négligé qu’il n’a pas de nom dans la langue peul. «Partout, des femmes sont encore forcées de choisir d’accepter la violence, si c’est le prix à payer pour que leurs enfants soient nourris», rappelle Toufah. Son récit, remarquable, devrait tout de même contribuer à changer cet état d’esprit.
(1) Toufah. La femme qui inspira un #MeToo africain, par Toufah Jallow, avec Kim Pittaway, éd. des femmes-Antoinette Fouque, 224 p.
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