Election présidentielle au Rwanda: tapis rouge pour l’autocrate Paul Kagame
Quatrième mandat en vue pour celui qui règne sur le Rwanda depuis 30 ans. Qui pour lui succéder un jour? On ne lui connaît aucun dauphin déclaré.
Homme fort du Rwanda depuis la fin du génocide des Tutsis en 1994, Paul Kagame, 66 ans, s’apprête à rempiler pour un quatrième mandat à l’issue de l’élection du 15 juillet. Le résultat, comme pour les trois scrutins précédents, ne fait aucun doute: l’homme sera réélu avec un score stalinien vu que ses concurrents ne seront que des faire-valoir. Ceux-ci seront d’ailleurs les deux mêmes qu’en 2017: Frank Habineza, leader du Parti vert démocratique, le seul parti d’opposition autorisé, et Philippe Mpayimana, ancien journaliste et candidat indépendant. A l’époque, ils avaient recueilli moins de 1% des votes.
Ce sera du même acabit pour les législatives, au même moment. Le parti au pouvoir depuis 1994, à savoir le FPR (Front patriotique rwandais) –dont le président n’est autre que Paul Kagame– et ses partis satellites rafleront tous les suffrages, comme du temps du prédécesseur Juvénal Habyarimana et de son parti unique. «Le multipartisme existe, mais comment concurrencer tout l’appareil du FPR? Alors, certains préfèrent s’allier», justifie Reginas Ndayiragije, chercheur associé à l’UAntwerpen, d’origine burundaise. Cet appareil tentaculaire inclut Crystal Ventures, un holding à la structure opaque qui investit dans tous les secteurs, depuis les routes jusqu’aux jus de fruits, et qu’il est bien hasardeux de vouloir concurrencer.
Un pays ressurgi du néant
Exilé en Ouganda comme des milliers de Tutsis, Paul Kagame n’avait que 36 ans lorsque son mouvement rebelle a pris le pouvoir par la force et chassé le régime hutu responsable du génocide des Tutsis, quelque 800.000 morts entre avril et juillet 1994, y inclus un nombre non précisé d’opposants hutu. Ce fut le début de la résurrection pour ce pays réduit à l’état de cendres. Le Rwanda est aujourd’hui connu pour sa stabilité, sa sécurité et ses indéniables progrès en matière de développement, d’écologie, d’accès à la santé ou encore de lutte contre la pauvreté et la corruption.
«L’important, c’est ce qu’on met sur la table, poursuit Reginas Ndayiragije, et la sécurité retrouvée est un élément clé. Dans mes enquêtes de terrain, je remarque que les Hutus se sentent davantage en phase avec le régime que les Tutsis. L’adhésion à Kagame n’est pas forcément liée à la peur. Les gens ont appris à le connaître, et même à l’aimer. L’abolition de la mention ethnique joue certainement.» S’il est vrai que le ministre de la Défense est un Hutu, tout comme le chef de la diplomatie ou le président du Sénat, le vrai pouvoir est détenu en coulisse par ces Tutsis autrefois réfugiés en Ouganda.
Le rayonnement international du Rwanda est tout aussi marquant, notamment dans le secteur sportif, avec l’organisation en 2025 des championnats du monde de cyclisme, une première en Afrique. Paul Kagame jouit d’une aura certaine parmi ses pairs africains, mais aussi en Occident, malgré les troubles fomentés à l’est du Congo depuis des décennies. Entre-temps, Kigali a envoyé plus de 2.000 Casques bleus en Centrafrique et, avec l’appui financier de l’UE, 3.000 autres soldats au Mozambique, ce qui lui octroie de solides rentrées financières, et de nouveaux marchés.
Mais la médaille a son revers: ces progrès à marche forcée se font à la baguette, sans consultation des habitants, dans un contexte qui étouffe toute dissidence et liberté d’expression. Ainsi, le Rwanda végète à la 144e place (sur 180) dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. De nombreux opposants ont été emprisonnés, tués ou ont fui en exil. Certains sont morts en prison, tel le chanteur de gospel autrefois adulé par le régime, Kizito Mihigo. Tout ce qui ne chante pas les louanges est accusé de faire l’apologie du génocide.
En 2021, le Belgo-Rwandais Paul Rusesabagina, héros du film Hôtel Rwanda et critique virulent de Kagame, a été condamné à 25 ans de prison pour terrorisme, après qu’il a été piégé à Dubaï et mis dans un avion à destination de Kigali alors qu’il pensait se rendre au Burundi à l’invitation d’un étrange pasteur. Libéré en mars 2023 grâce aux pressions américaines, «Monsieur Paul» a repris ses propos virulents à l’égard du régime, affirmant que les Rwandais sont «prisonniers dans leur propre pays».
L’ombre de Seth Sendashonga
Depuis sa prise de pouvoir, Kagame a fait le vide autour de lui. Le sort de nombreux membres de la première équipe mise en place après le génocide témoigne que Kagame n’a eu aucune pitié pour ceux qui ne marchaient pas dans ses pas (lire l’encadré). Ces oppositions transcendent le clivage entre Hutus et Tutsis, et c’est même avec sa garde rapprochée que les conflits ont été les plus forts.
Ainsi, Theogène Rudasingwa, qui fut le secrétaire général du FPR, a fui aux Etats-Unis et le général Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état-major, a subi cinq tentatives d’attentat dans son exil sud-africain. En 2014, Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements de Kagame, était retrouvé pendu dans sa chambre d’hôtel à Johannesburg (Afrique du Sud). L’élimination des gêneurs a commencé avec l’assassinat du colonel du FPR Théoneste Lizinde, tué par balles à Nairobi (Kenya) en 1996. Mais c’est surtout celui de Seth Sendashonga, en 1998, également à Nairobi, qui ouvrira les yeux sur la nature dictatoriale du régime.
«Le multipartisme existe, mais comment concurrencer tout l’appareil du FPR?»
Très sensible aux injustices dont il fut le témoin sous le règne de Habyarimana, Seth Sendashonga avait adhéré au FPR en 1991, avant d’être nommé ministre de l’Intérieur au lendemain du génocide. Mais un désaccord profond s’est creusé avec Paul Kagame, nouveau ministre de la Défense, parce que la nouvelle armée perpétrait des massacres contre des civils. «Mon mari recevait quantité de rapports accablants de la part de bourgmestres, témoigne sa veuve Cyrie, aujourd’hui installée au Québec. Pendant treize mois, Seth a écrit 760 lettres à Kagame sur des incidents qu’on lui rapportait. Il n’a jamais reçu de réponse. Il s’est dit que c’était une politique délibérée de tuer, vu qu’aucun militaire n’était puni.»
Le pire était à venir. Le 22 avril 1995, un an après la prise du pouvoir par le FPR, c’est le massacre de Kibeho, cette petite cité mariale du sud-ouest du pays. Des milliers de réfugiés espéraient la protection de l’ONU. Mais c’est un carnage qui les attendait: près de 5.000 hommes, femmes, enfants, vieillards auraient péri sous les tirs et les grenades lancés par les militaires de l’APR, la nouvelle armée «libératrice».
«Pour mon mari, Kibeho fut la goutte de trop, témoigne Cyrie Sendashonga. Des milliers de gens ont été massacrés sans raison. Kagame a justifié cette opération, il a parlé d’Interahamwe cachés (NDLR: miliciens génocidaires), de légitime défense, il a minimisé le nombre de morts… Quand Seth l’a entendu, il a été dégoûté, et il a démissionné quelques mois plus tard.» C’était le début de la fin de l’éphémère gouvernement d’union nationale. «Kagame avait peur de Seth car il pouvait être un rassembleur entre Hutu et Tutsi, il jouissait d’une certaine audience, c’était donc l’homme à abattre. Il a été placé en résidence surveillée, jusqu’à l’intervention des Pays-Bas, qui étaient un gros bailleur de fonds.»
Seth Sendashonga partira en exil au Kenya en 1995. En février 1996, il échappe à un premier attentat en vue de l’éliminer. Un employé de l’ambassade rwandaise est interpellé mais Kigali refuse de lever son immunité. Le 16 mai 1998, nouvelle tentative. Cette fois, les tueurs ne le ratent pas, ni son chauffeur. La signature de Paul Kagame ne fait guère de doute. Dans un discours à ses ministres en 2019, le président déclarera: «Sendashonga est mort car il a franchi la ligne rouge. Je n’ai pas grand-chose à dire à ce sujet mais je ne m’excuse pas non plus.»
Cyrie, l’épouse, ne peut plus retourner au Rwanda. Et pour cause: sur foi de témoignages, elle a décidé en 2001 de déposer plainte à Nairobi contre Paul Kagame pour la mort de son mari. «L’immunité protège le président, regrette-t-elle. Mais dans la loi kenyane, les assassinats n’ont pas de prescription, et Paul Kagame ne sera pas chef d’Etat toute sa vie.»
Peu de successeurs potentiels pour prendre la tête du Rwanda
Elle devra toutefois se montrer patiente. Après avoir fait modifier la Constitution à son avantage, Paul Kagame pourrait rempiler en 2029 pour un dernier mandat dans cinq ans, soit 34 ans de présidence, et 40 ans en tant qu’homme fort. On ne lui connaît aucun successeur déclaré. «C’est la question que je pose souvent, au Rwanda, déclare le chercheur Reginas Ndayiragije. Qui est le numéro 2 dans ce pays? A chaque fois, on me rit au nez, en me disant « toi, tu viens du Burundi! Au Rwanda, il n’y a qu’un seul boss, et c’est le président ». Pas comme au Burundi, où je n’aurais aucun recours contre un général qui voudrait me spolier. Au Rwanda, cela remontera d’office jusqu’au président et il y aura des conséquences…»
«Des milliers de gens ont été massacrés sans raison. Kagame a justifié cette opération.»
Pour prendre un jour la relève de Kagame, certains noms circulent, comme ceux de Louise Mushikiwabo, 63 ans, actuelle secrétaire générale de la Francophonie, ou de Patrick Karuretwa, 49 ans, directeur de la Coopération militaire internationale, ancien conseiller défense et sécurité de Kagame, qui a étudié le droit international aux Etats-Unis. Comme le «boss» ne fait vraiment confiance qu’à sa famille, on évoque aussi son troisième fils, Ian, intégré à la garde présidentielle. Son épouse Jeannette Nyiramongi, 62 ans, et sa fille Ange, 30 ans, née à Bruxelles, sont également citées. Titulaire d’un master en relations internationales obtenu aux Etats-Unis, celle-ci a été récemment nommée directrice adjointe exécutive chargée du conseil de stratégie et de politique au sein de la présidence rwandaise.
Préparer un successeur, c’est courir le risque d’être dépassé par l’élève avant terme. Pourtant, en mars 2024, dans son discours aux membres du FPR, Kagame les a incités à réfléchir collectivement à sa succession, sans que lui-même ait forcément le dernier mot. Reste à voir qui osera saisir cette opportunité de présenter un nouveau visage pour le Rwanda, tant le pays s’est confondu depuis trois décennies avec un seul homme.
Faustin Twagiramungu.
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Purge, exil, mort: le destin funeste des premiers camarades
Le 19 juillet 1994, le premier gouvernement post-génocide est institué. Paul Kagame en est aujourd’hui un des ultimes survivants politiques. Il était alors vice-président et ministre de la Défense, et déjà le numéro 1 du Rwanda. Sur la vingtaine de membres, la moitié a connu la disgrâce.
Pasteur Bizimungu, président, arrêté en 2002, libéré en 2007, a disparu de la scène publique.
Faustin Twagiramungu, Premier ministre, exilé en Belgique, décédé en 2023.
Alexis Kanyarengwe, vice-Premier ministre, président du FPR, poussé à la démission en 1998, remplacé par Kagame à la tête du FPR, décédé en 2006.
Seth Sendashonga, Intérieur, en exil au Kenya, assassiné en 1998.
Jacques Bihozagara, Développement communal, décédé en prison au Burundi en 2016.
Jean-Marie Vianney Ndagijimana, Affaires étrangères, exilé en France.
Alphonse-Marie Nkubito, Justice, décès suspect en 1997, à 42 ans.
Pierre-Célestin Rwigema, Education, part en exil en 2000, revient en 2011.
Charles Ntakirutinka, Energie, Travaux publics, condamné à dix ans de prison en 2002.
Jean Baptiste Nkuliyingoma, Information, porte-parole du gouvernement, exilé en Belgique.
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