Le Rwanda est prêt à accueillir les réfugiés du Royaume-Uni, malgré les doutes
Le gouvernement de Kigali met tout en place pour respecter ses engagements envers les demandeurs d’asile, en vertu de l’accord avec Londres. Le projet n’en reste pas moins controversé.
De l’extérieur, le Hope Hostel semble normal. Une fois le portail franchi, un jardin bien entretenu, avec un gazon impeccablement tondu, attire le regard. Quelques mètres plus loin, on trouve un terrain de basket-ball et un grand parking. Un silence absolu règne. Pour croiser une âme, il faut entrer dans un des deux grands bâtiments au fond de la cour, où deux personnes occupent un poste de sécurité. Au-delà de la porte d’entrée, l’hôtel est à l’image de son environnement extérieur: vide. Le Hope Hostel est l’un des sites choisis parmi une dizaine, à Kigali, pour accueillir les premiers demandeurs d’asile expulsés du Royaume-Uni, faute de statut de réfugié en règle.
Dans la nuit du 22 au 23 avril, la Chambre des lords a donné son aval au projet de loi baptisé «Safety of Rwanda Bill». Ce texte vise à expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile ayant pénétré le sol britannique de manière illégale. Conçu il y a deux ans sous l’égide du gouvernement conservateur du Premier ministre Boris Johnson, il a suscité de houleux débats. Rejeté par la Cour suprême britannique le 15 novembre 2023, au motif que le Rwanda ne pouvait être qualifié de «pays tiers sûr» et en regard des préoccupations sur une éventuelle «défaillance dans la procédure d’asile», il a été adapté par la Chambre haute du Parlement britannique. Cette adaptation a été rendue possible grâce à une visite du ministre de l’Intérieur, James Cleverly, à Kigali en décembre dernier. Le projet a été remanié sous le regard attentif de la classe politique. Le Premier ministre, Rishi Sunak, successeur de Boris Johnson au 10 Downing Street, a confirmé, le 23 avril, sa détermination à faire appliquer la nouvelle loi et à transférer les demandeurs d’asile vers le Rwanda quoi qu’il arrive, entendez malgré les nombreuses critiques, notamment de l’ONU et du Conseil de l’Europe.
«Les demandeurs d’asile seront vus comme des clients ordinaires.»
De nouvelles perspectives
A Kigali, la nouvelle a été reçue, en partie du moins, avec joie. Le gouvernement rwandais se félicite de ce «succès». Il voit ce «Safety of Rwanda Bill» comme «un partenariat osé qui s’adresse aux racines de la crise migratoire en rééquilibrant les inégalités au cœur des migrations mondiales», selon la Dr. Doris Uwicyeza Picard, la responsable de l’unité de coordination du partenariat en matière de migration et de développement économique au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.
«Les demandeurs d’asile seront vus comme des clients ordinaires, précise de son côté Ismael Bakina, le manager du Hope Hostel. Nous ne craignons pas qu’ils soient tristes ou en colère. Le gouvernement fournira toute l’aide psychologique nécessaire et nous ferons tout pour leur donner un service impeccable.» Dans la capitale rwandaise, du reste, une certaine indifférence semble répondre à l’accord conclu entre le Royaume-Uni et le Rwanda. Pour Margret (1), 34 ans, qui travaille dans une organisation non gouvernementale, leur intégration totale dans la société semble assurée. Selon cette trentenaire, les réfugiés partageront les mêmes infrastructures que les Rwandais, tels que les supermarchés et les écoles, ce qui constitue à ses yeux la marque du respect des droits humains. Aimable, 25 ans, confirme cette vision en soulignant que l’accueil de personnes aux compétences et aux mentalités différentes ne fera qu’ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles pour le pays. Mais au Rwanda, les voix n’ont pas l’habitude de contester les décisions du pouvoir dictatorial de Paul Kagame.
«Le Royaume-Uni ne devrait pas se décharger de ses obligations internationales d’accueil des réfugiés sur des pays tiers.»
Forte densité de population
Le pays est pourtant l’un des plus densément peuplés d’Afrique, avec près de quatorze millions d’habitants sur une superficie de 26.338 kilomètres carrés, inférieure à celle de la Belgique. Le manque d’espace se fait sentir. Et 53% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Actuellement, quelque 130.000 réfugiés, originaires pour la plupart de la République démocratique du Congo et du Burundi, sont dispersés dans plusieurs camps et confrontés à des conditions de vie difficiles. Une réalité que Frank Habineza, membre du Parlement et opposant à Paul Kagame pour la présidentielle de juillet 2024, ne cesse de mettre en avant. Il a voté à plusieurs reprises contre cette loi, sans succès. «Au Parti vert démocratique, nous acceptons volontiers d’accueillir les demandeurs d’asile qui ont choisi de venir au Rwanda par eux-mêmes, mais pas ceux qui ont été expulsés d’un autre pays. Nous pensons que les Etats riches, comme le Royaume-Uni, ne devraient pas se décharger de leurs obligations internationales d’accueil des réfugiés vers des pays tiers, simplement parce qu’ils ont l’argent pour influencer et imposer leur volonté», assure le parlementaire.
L’inquiétude qu’exprime Frank Habineza touche également les demandeurs d’asile au Royaume-Uni. Santino, qui vient du Soudan, est arrivé sur le sol britannique en novembre 2023 après un parcours en Europe débuté en octobre 2022. Pour lui, le continent africain n’est pas synonyme de sécurité. Il confie avoir été envahi par un sentiment profond d’injustice à l’annonce de l’accord entre Londres et Kigali. «Il n’y aucune justice. J’ai lutté toute ma vie pour arriver sur ce continent. J’ai fui le Soudan à cause de la guerre, je ne sais même pas où sont les membres de ma famille. Aujourd’hui, je n’ai pas de papiers mais comment peuvent-ils vouloir me renvoyer en Afrique? Je préfère vivre dans la rue que de retourner sur ce continent.» Si Santino privilégie la précarité de la vie de SDF au Royaume-Uni au confort d’un hôtel ou d’un camp au Rwanda, d’autres réfugiés soudanais, comme Youssouf (1), arrivé lui aussi sur le territoire britannique en 2023, vont plus loin encore en disant préférer «se suicider» que d’être renvoyés sur le continent africain.
(1) Le prénom a été modifié à la demande des intéressés.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici