Pourquoi l’Afrique du Sud rationne son électricité
L’Afrique du Sud vit, depuis plusieurs semaines, une importante crise de l’électricité. Le principal fournisseur, incapable d’en produire suffisamment, procède à des coupures régulières, durant parfois onze heures. Des manifestations ont lieu dans le pays et la crise pourrait ne pas être réglée avant 18 mois.
Des pompes funèbres aux éleveurs de poulets, l’Afrique du Sud tout entière est durement touchée par des coupures de courant drastiques, qui ont poussé cette semaine plusieurs milliers de personnes à descendre dans la rue. Voici ce qu’il faut savoir sur la crise de l’électricité dans la première puissance industrielle africaine.
Recours en justice
L’entreprise publique Eskom produit 90% de l’électricité du pays. Incapable d’alimenter suffisamment la puissance africaine, elle impose depuis une quinzaine d’années des coupures programmées, appelées dans le pays « loadshedding » ou délestages. Selon l’importance du gouffre entre l’offre et la demande, les coupures oscillent entre huit niveaux de fréquence et de durée, privant les Sud-Africains d’électricité de trois à plus de treize heures par jour. Ces derniers sont tenus informés via une application sur smartphone.
Les niveaux sept et huit, les plus critiques, n’ont encore jamais été atteints mais le pays a connu ces derniers mois un nombre record de journées au niveau six entraînant plus de 11 heures de coupure. Ceux qui en ont les moyens équipent leur maison ou leur entreprise de générateurs au diesel ou de panneaux solaires. L’aggravation des délestages a récemment poussé une part du pays à manifester, certains allant jusqu’à déposer un recours en justice contre Eskom et le gouvernement.
Selon le premier parti d’opposition (DA, Alliance démocratique), la crise de l’électricité coûte chaque jour des centaines de millions de dollars à l’économie.
Pannes régulières
La demande d’électricité a considérablement augmenté depuis la fin de l’apartheid et l’avènement de la démocratie en 1994, avec une campagne visant à connecter la plus grande partie du pays et notamment des zones rurales jamais encore reliées. L’économie s’est par ailleurs développée et la population aussi, passant aujourd’hui à 60 millions contre moins de 45 millions à l’époque.
En 2007, Eskom a lancé la construction de deux nouvelles centrales à charbon. L’Afrique du Sud tire encore 80% de son électricité du fossile. Le parc actuel a une moyenne d’âge de 35 ans avec des unités en proie à des pannes régulières. Or les projets de construction ont accumulé du retard et souffert de problèmes de conception, entraînant d’importants surcoûts mêlés à des soupçons de corruption.
Eskom, qui a accumulé une dette de 23 milliards de dollars, dénonce aussi régulièrement des sabotages ainsi que des vols de charbon, le gouvernement annonçant récemment le déploiement de l’armée pour protéger les centrales. L’année dernière, Eskom a déclaré ne plus avoir les moyens d’acheter du diesel, solution de secours pour faire tourner des turbines d’urgence.
Solution verte ?
L’Afrique du Sud tente de sortir du tout charbon et le gouvernement a présenté l’an dernier un plan pour une « transition juste ». Maintenance, importation d’électricité et déploiement vers les énergies renouvelables sont les principaux axes, après des années de protectionnisme envers une industrie du charbon pesant environ 100.000 emplois.
Certains ministres ont avancé que la crise de l’électricité pourrait être résolue en l’espace de 6 à 18 mois. Mais le président Cyril Ramaphosa a répété que la situation ne se résoudrait pas « en une nuit ». Et Eskom a souligné que résoudre les problèmes dans les centrales « prendra plus de temps que l’Afrique du Sud ne le souhaite et n’en a besoin ». M. Ramaphosa a annoncé cette semaine que les seuils limitant la production d’électricité par le secteur privé notamment via le solaire ont été supprimés et qu’une grille tarifaire serait mise au point pour la commercialisation.
Les avancées vers les énergies propres s’accélèrent, selon Bertha Dlamini, à la tête de l’ONG African Women in Energy and Power, mais « pas assez rapidement pour protéger le pays » des coupures. Et « il est peu probable que les délestages s’arrêtent au cours des trois prochaines années ».