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Conflit dans l’est du Congo: «Paul Kagame n’est pas intouchable, il doit rendre des comptes»
Les rebelles aidés par le Rwanda, qui occupent Goma, visent toujours un changement de régime au Congo. Eclairage avec l’ancien ambassadeur belge Johan Swinnen.
La pression sur le Rwanda aurait-elle joué? L’alliance Fleuve Congo, bras politique des rebelles du M23 sponsorisés par Kigali, a décrété un cessez-le-feu «pour des raisons humanitaires». Dans le même communiqué, le mouvement affirme n’avoir «aucune intention de prendre Bukavu et d’autres localités». Mais il occupe toujours Goma, qui panse ses plaies après des jours d’âpres combats. Près de 1.000 cadavres ont déjà été dénombrés, et des milliers de blessés submergent des hôpitaux à court de médicaments après avoir été pillés. L’histoire est-elle condamnée à se répéter? Pour Johan Swinnen, qui fut ambassadeur de Belgique à Kigali au moment du génocide des Tutsis en 1994, ensuite à Kinshasa (2004-2008), il est temps d’en finir avec la complaisance à l’égard du président Kagame.
Une rébellion sponsorisée par le Rwanda, la défense de la minorité tutsie comme prétexte et une volonté d’aller jusqu’à Kinshasa: assiste-t-on à une réédition de la première guerre de 1998, qui a mené à la fuite de Mobutu?
Trop tôt pour le dire… Mais on peut encore stopper le processus, comme lors de la précédente prise de Goma en 2012 par le M23, qui n’a duré qu’une semaine, quand les Américains, les Belges, les Français, les Britanniques ont demandé aux Rwandais de retirer leurs troupes. La communauté internationale semblait alors plus soudée et aussi plus sensible aux dégâts que cette occupation pouvait engendrer dans un Congo où on dépensait des fortunes pour la mission de l’ONU.
Cette fois, on entend beaucoup de déclarations, mais elles ne sont assorties d’aucune sanction contre les envahisseurs…
Mais on en parle! Bernard Quintin, jusqu’il y a peu notre ministre des Affaires étrangères, a parlé ouvertement de reconsidérer le deal avec Kigali sur les matières premières critiques (NDLR: pillées au Congo, accuse Kinshasa). Les pro-Kagame au sein de l’UE accepteront-ils? Leur raisonnement est que, dans une phase de transition énergétique, nous avons tout intérêt, nous, Européens, à nous assurer un accès garanti aux minerais rares. D’autant plus que faire du commerce avec les Congolais sur ce sujet, c’est très pénible.
Quels seraient les autres leviers?
Un tiers du budget rwandais vient de l’aide extérieure. Donc là, il y a un gros morceau sur lequel on peut travailler. En 2012, nous avons gelé certaines aides. Autre piste, faut-il vraiment maintenir au Rwanda les championnats du monde de cyclisme, en septembre prochain (NDLR: l’Union cycliste internationale n’envisage pas, à ce stade, de relocaliser l’événement, arguant que le pays reste sûr)? On a été trop complaisant avec Kagame, car il a bien reconstruit son pays, et il collabore militairement avec l’UE, notamment au Mozambique. Mais Kagame n’est pas intouchable. Il doit rendre des comptes. Qu’il soit le héros du nouveau Rwanda ne justifie pas qu’il ne soit pas questionné pour son rôle avant et pendant le génocide, pour l’absence de démocratie dans son pays, pour les violations des droits de l’homme, pour la déstabilisation de l’est du Congo (avec des massacres à la clé), pour le pillage des ressources…
Face à ce nouveau drame, avec des centaines de milliers de déplacés, l’indignation est généralisée. Mais le Rwanda n’est pas seul en cause.
Kagame n’est pas le seul coupable. Du côté congolais aussi, il y a des situations inacceptables. Il n’y a pas que l’affaire Jean-Jacques Wondo (NDLR: un Belgo-Congolais condamné en appel à la peine de mort pour une tentative de coup d’Etat et libéré le 4 février). C’est un pays où beaucoup de choses ne fonctionnent pas, où le sens de l’intérêt général fait gravement défaut, où l’armée est impuissante à cause de l’indiscipline, de la corruption…
Quand les Rwandais pointent la haine raciste à l’égard des Tutsis congolais et prétendent que cette même haine menace le Rwanda, ont-ils raison?
S’ils invoquent la menace sur les Tutsis congolais, il existe des tribunaux internationaux, y compris africains, pour aborder cette question. Quand c’est nécessaire, les Occidentaux ne manquent pas de faire pression sur le régime congolais. Cela dit, des Tutsis congolais refusent que Kagame les instrumentalise, car c’est la meilleure façon de réveiller les réflexes anti-Tutsis. Quant aux FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), composées au départ de Hutus génocidaires, elles ont pu constituer une menace il y a 30 ans. Mais il ne faut pas surestimer leur importance. Sont-ils des centaines ou des milliers? Sont-ils de mèche avec l’armée congolaise? Occupent-ils des mines? Je n’ai jamais vu d’études sérieuses à ce sujet.
«On peut éviter le pire en prenant radicalement une autre voie.»
Une guerre régionale est-elle possible?
Je n’ose pas spéculer. Mais on peut éviter le pire en prenant radicalement une autre voie. Pourquoi ne pas miser sur l’intégration, en réanimant la moribonde CEPGL (Communauté économique des pays des Grands Lacs)? Et en finir avec ces frontières régionales qui se ferment à la moindre crispation. Il y a aussi une deuxième dynamique possible, celle de la conférence d’Helsinki (1975) sur la sécurité et la coopération en Europe, avec ses trois corbeilles: sécurité, économie, droits humains. En 2013, le Congo et les pays voisins ont signé un accord similaire à Addis-Abeba. Mais, par manque de leadership, il n’a pas débouché sur une dynamique durable.
Quels conseils donneriez-vous à Maxime Prévot, le nouveau chef de la diplomatie belge?
Il faut surtout mettre l’accent sur les droits humains. Ce sont des valeurs que nous partageons avec les Africains, que nous avons codifiées ensemble. Lorsque je rencontrais Paul Kagame dans son fief rebelle de Mulindi dans les mois qui ont précédé le génocide, il me lançait souvent «bravo les Belges, vous au moins vous critiquez le dictateur Habyarimana qui foule aux pieds les droits de l’homme». Peut-être le nouveau ministre pourra-t-il rappeler cette histoire lorsqu’il se rendra au Rwanda…
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