Jean-Jacques Wondo: qui est ce condamné à mort dont le sort dégrade les relations belgo-congolaises?
Professeur à l’Ecole royale militaire belge, Wondo a été condamné à mort pour sa participation supposée à un mystérieux coup d’Etat manqué en mai dernier. Il semble être une monnaie d’échange entre Kinshasa et Bruxelles…
Cet expert militaire belgo-congolais n’est pas seulement enseignant à l’ERM. Jean-Jacques Wondo, qui a été assistant de justice, est aussi et d’abord directeur-adjoint à l’Administration générale des Maisons de justice de Belgique. Condamné à mort en première instance puis récemment en appel avec 36 autres prévenus, il croupit depuis plus de huit mois dans la prison militaire N’Dolo de Kinshasa. Selon ses accusateurs, il aurait participé à fomenter un coup d’Etat au printemps dernier.
Rétroactes: le dimanche 19 mai, dans le quartier huppé Gombe de la capitale congolaise, plusieurs dizaines d’hommes armés avaient attaqué le domicile d’un ministre devenu depuis lors président de l’Assemblée nationale, avant d’investir le palais de la Nation, résidence officielle du président Félix Tshisekedi. Les assaillants s’y étaient filmés en brandissant le drapeau de l’ancien Zaïre et en réclamant le départ de l’actuel chef de l’Etat réélu en décembre 2023. Leur forfait avait vite été interrompu par l’intervention des forces de sécurité qui ont interpellé une quarantaine d’assaillants et en ont tué cinq autres, dont leur leader, Christian Malanga, 41 ans, un opposant congolais installé aux Etats-Unis.
Wondo ne faisait pas partie de cet escadron. La justice militaire lui reproche néanmoins d’avoir été en relation avec Malanga. En cause: une photo montrant les deux hommes se serrant la main en… 2016. Et, selon le procureur, il portait alors la même chemise à carreau que le jour de son arrestation après le coup d’Etat avorté, ce qui n’a pu être prouvé mais a quand même été interprété comme un «signal» lancé par l’accusé. On lui reproche aussi d’avoir effacé des messages WhatsApp dont on ne connaît pas les destinataires. Pour l’accusation, cela montrerait qu’il avait quelque chose à cacher.
Il aurait en outre prêté sa voiture à Christian Malanga. «Mais ses avocats ont démontré que parmi tous les véhicules saisis dans le cadre de cette affaire, celui de Jean-Jacques ne figurait pas et d’ailleurs le parquet kinois était bien en peine de préciser de quel véhicule il s’agissait, explique Marie-Nathalie D’Hoop, directrice général adjointe des Maisons de justice et collègue de Wondo. La cour d’appel a ensuite abandonné cet argument avancé en première instance.» Enfin, l’intendant de l’hôtel dans lequel il séjournait a été suspecté de servir d’intermédiaire entre lui et Malanga. Lorsque les avocats ont demandé de pouvoir recueillir son témoignage, le ministère public a affirmé que le concierge s’était enfui dans la nature. Etrange, car celui-ci avait été incarcéré par deux officiers travaillant pour le même ministère public… Lorsqu’il est sorti de prison où il a été torturé, l’intendant a réfuté les accusations à son encontre et donc à l’encontre de Wondo.
Bref, condamner un homme à mort sur la base d’un dossier aussi léger, pour ne pas dire farfelu, paraît absurde. D’où la réaction plutôt vive des autorités belges, renseignées par leurs représentants consulaires à Kinshasa qui suivent l’affaire de près. Le Premier ministre Alexander De Croo et le roi lui-même ont contacté Tshisekedi pour lui demander des comptes sur ce ressortissant belge. En vain jusqu’ici, malgré les promesse du président congolais. C’est pourtant lui qui, après sa réélection, avait mandaté Jean-Jacques Wondo, qu’il connaît de longue date, pour une mission de consultance dont l’objectif était d’humaniser l’Agence nationale de renseignement (ANR) dont les exactions font l’objet de nombreuses dénonciations. Tshisekedi lui avait personnellement donné toutes les garanties pour ce travail délicat, bien que Wondo ait soutenu le célèbre médecin Denis Mukwege lors de la campagne de 2023. Le consultant, qui s’était mis en pause carrière des Maisons de justice, y était allé en toute confiance.
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Mais un piège semble s’être refermé sur lui. Depuis sa cellule, Wondo se dit aujourd’hui «otage diplomatique» de Kinshasa. «Vraisemblablement à raison, affirme Bob Kabamba, professeur en sciences politiques à l’ULiège et fin connaisseur de la politique congolaise. On peut y voir d’abord un règlement de compte en interne de personnes de l’ANR qui ne veulent pas qu’on vienne mettre son nez dans leurs affaires.» Wondo a la réputation d’être un fouineur. Il y a plusieurs années, comme l’a raconté Le Vif, il avait patiemment reconstitué le parcours de plusieurs hauts officiers de l’armée, sur lesquels pesaient des accusations de crimes de guerre. Parmi eux l’actuel numéro 2 de l’Etat-major, le général Ishale Gonza, chargé des opérations militaires et du renseignement, et ex-chef de brigade de la milice UPC qui a commis de nombreuses exactions (viols, tueries, pillages…) au début des années 2000.
Le Pr Kabamba considère surtout que Jean-Jacques Wondo est une monnaie d’échange pour le président Tshisekedi qui est de plus en plus cerné par les dossiers judiciaires ouverts en Belgique. «Les plaintes se multiplient à Bruxelles, dit-il. Que ce soit pour la mort de l’opposant Chérubin Okende Senga qui a été assassiné selon sa famille alors que la justice congolaise parle de suicide. Idem avec l’opposant Franck Diongo, victime de torture dans les sous-sols des renseignements militaires (Ndlr: et que Me Alexis Deswaef représente en Belgique). Mais il y a aussi l’histoire de la luxueuse villa à Uccle.» Dans le quartier Fond Roy de la commune bruxelloise, une villa normande de 860m2 est louée par les époux Tshisekedi à hauteur de 20.000 euros par mois. Le Soir a révélé, en décembre 2023, que le propriétaire du bien est le président d’une des plus grandes banques de RDC. Le montant du loyer pose question dans la mesure où les Tshisekedi ne sont pas connus pour déclarer une fortune personnelle importante et que le salaire mensuel officiel du président ne dépasse pas 16.000 euros. «L’accumulation de tous ces dossiers et d’autres encore enveniment de plus en plus les relations entre le Congo et la Belgique qui est pourtant le principal soutien de Tshisekedi sur la scène internationale, conclut Kabamba. Dans ce contexte, Wondo pourrait bien faire l’objet d’un marchandage un peu désespéré.»
Les Maisons de justice ont publié une lettre ouverte qui a recueilli près de 1.100 signatures dans les milieux académiques et de la justice, dont celles de magistrats comme Frédéric Van Leuw, Françoise Tulkens ou Luc Hennart. Dans cette lettre, il est demandé aux autorités belges d’obtenir du Congo que Jean-Jacques Wondo soit convenablement pris en charge sur le plan médical. «Mi-janvier, il était très malade, fiévreux et crachait du sang, raconte Marie-Nathalie D’Hoop. On évoquait un possible empoisonnement. On a aussi parlé de la tuberculose, mais là, des tests ont été réalisés et ils sont négatifs. Il a encore perdu du poids. Ce mardi matin, son épouse l’a eu en ligne. Il se dit serein et confiant dans la mobilisation de la Belgique pour lui.» Fin janvier, avant même le prononcé de la condamnation, le Parlement européen a également réclamé la libération du Belgo-Congolais et condamné fermement la peine de mort prononcée à son égard.
Soulignons que la peine de mort, qui avait été abolie en 2003 sous forme de moratoire sur les condamnations à mort, a été rétablie, via une circulaire du ministère de la justice, en mars dernier. L’argument officiel était de «débarrasser l’armée des traîtres et d’endiguer une recrudescence d’actes de terrorisme et de banditisme urbain entraînant mort d’homme». Visiblement, cette circulaire visait à dissuader la désertion dans les forces armées congolaises mises en déroute au Nord-Kivu. «C’est aussi l’occasion d’éliminer ceux qui gênent l’un ou l’autre qui est au pouvoir», soupire Bob Kabamba. Et cela pose question sur l’état de la démocratie congolaise.
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