L’insécurité qui persiste à Bukavu met la population civile en danger, par violence délibérée ou par accident. © Paloma Laudet / Collectif Ite

Conflit dans l’est du Congo: pourquoi les civils sont les principales victimes

Enfants revêtus d’uniformes militaires abattus à Bukavu, habitants tués lors d’un pillage à Kavumu… Les violences émanent des deux camps. Les victimes sont toujours les mêmes.

«Comment vais-je obtenir justice?», se demande Emma (1). Elle regarde sa montre, pianote ses ongles sur la table, et commande une Smirnoff. Dans un café de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, elle cherche un moyen de se faire rembourser les 350 dollars qui lui ont été volés dans sa maison le soir du 7 février. Ce jour-là, cette femme de 39 ans a tout perdu: sa maison, sa moto, ses vêtements et l’argent de l’association qu’elle gère et dont elle refuse de mentionner le nom pour sa sécurité. A ses pertes financières s’ajoutent la douleur, la peur, et le traumatisme subis quelques jours avant la prise de la deuxième plus grande ville de l’est de la République démocratique du Congo, par le groupe armé M23, le 16 février.

A deux doigts de la mort

Trois hommes des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) sont entrés chez elle à Kavumu, à une trentaine de kilomètres au nord de Bukavu. Une fois dans l’enceinte de sa maison, ils ont tout pillé. Ils sont d’abord tombés sur ses six enfants. «J’étais cachée dans la chambre, à l’arrière, raconte Emma. Mes enfants leur ont dit que j’étais sortie mais un des militaires m’avait vue dans la rue quelques minutes avant. Alors il a fouillé toutes les pièces…» Il l’a ensuite attrapée à la gorge, et lui a demandé de se déshabiller, la menaçant de son arme. Au moment de passer à l’acte, le fils d’Emma lui assène un coup de pilon en bois sur le dos. «Le militaire s’est enfui vers la porte d’entrée, et une fois dehors, il a ouvert le feu sur la maison.» Anticipant une réaction furieuse à cause du coup porté par son fils, Emma avait demandé à ses enfants de se mettre à l’abri. Personne chez elle n’a été blessé. Seuls ses carreaux et sa porte d’entrée ont été criblés de balles. «Mais ils ont tiré sur cinq maisons proches, et un de nos voisins est mort alors qu’il rentrait du bar.»

Emma a fui le soir même, quand les militaires sont partis. Elle a passé la nuit chez une vieille dame, loin du centre-ville. Le lendemain matin, elle a appris la mort de onze personnes dans son quartier. Depuis, elle est réfugiée à Bukavu, en attendant de pouvoir réunir l’argent nécessaire à son association et de quoi reconstruire sa maison.

Procès avorté

Quelques jours plus tard, Emma a eu un regain d’espoir. Certains membres des FARDC étaient accusés d’exactions, viols et pillages sur l’axe Mudaka-Miti-Kavumu-Kalehe, situé au nord de Bukavu. Selon Radio France internationale (RFI), 260 militaires de l’armée congolaise et quelques wazalendo (miliciens armés) devaient comparaître devant le tribunal militaire de Bukavu la semaine du 10 au 16 février. Emma a été présente tous les jours. Elle a aussi recensé les femmes victimes de viols et de violences dans son quartier; elles étaient au nombre de quatorze. «Certains espéraient être remboursés, d’aucuns voir leurs agresseurs punis, et d’autres les meurtriers de leur famille envoyés derrière les barreaux», relate-t-elle. Mais le vendredi, à l’annonce de l’approche du M23 aux portes de Bukavu, tous les militaires ont fui, et avec eux, le gouverneur provincial et les agents de l’administration, parmi lesquels les juges au procès…

Le même jour, le camp militaire Saïo, sur les hauteurs de Bukavu, s’est vidé de tous ses habitants. Les familles de militaires ont trouvé refuge dans divers endroits de la ville. «Le vendredi, beaucoup de petits ont volé les armes des dépôts, d’autres ont pillé les stocks de nourriture», commente Fabio (1). Fils de militaire des FARDC, il se terre dans une maison abandonnée. Il partage l’unique pièce avec treize enfants et leurs mères. Ils n’ont plus d’effets personnels, ni de biens. Et ils ne sortent que très peu de leurs cachettes «de peur d’être reconnus et abattus», selon Linda (1), une femme dont le mari membre des FARDC a fui à Uvira. Pour elle, le plus tragique n’est pas la fuite de son conjoint, mais la mort d’enfants qu’elle connaissait bien.

«La prolifération d’armes abandonnées accentue l’insécurité et expose les civils à de nombreux dangers.»

Enfants tués

Un rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU fait mention de «cas d’exécutions sommaires d’enfants par le M23 après son entrée dans la ville de Bukavu». L’instance onusienne indique que «trois garçons» auraient été tués lors d’une altercation avec des membres du M23. Dans un tweet sur le réseau social X, Lawrence Kanyuka, porte-parole du M23, dément l’implication du groupe armé dans ces événements, tout en reconnaissant la présence de corps d’enfants. Il affirme que les enfants des FARDC ont mal manipulé les armes abandonnées par leurs parents, entraînant ainsi leur mort avant l’arrivée du M23.

«J’ai vu les corps d’enfants en tenue militaire, quand j’ai osé sortir le dimanche matin», confie Fabio. Le jeune homme affirme ne pas savoir s’ils se sont pris «pour les défenseurs de la nation» ou «s’ils voulaient juste jouer». Il précise que le mardi, il a dû aider les mères à enterrer leurs cadavres, car «les insectes commençaient déjà à ronger la chair». Il continue, le visage fermé: «Nous les avons enterrés, dans des sacs que nous venions de trouver, en creusant la terre nous-mêmes, sur un bord de route.» Fabio n’est pas certain des auteurs de leur mort, mais une chose est sûre, «ils ont été abattus par balle». Modeste (1), lui, a retrouvé le corps de son frère le dimanche matin, non loin du camp Saïo: «Je lui avais pourtant dit « petit, il faut redéposer les armes dans la réserve, c’est dangereux », et il m’avait promis qu’il le ferait.» D’après ses déclarations, le corps de son frère aurait été découvert aux alentours de 11 heures, tandis que, selon plusieurs témoins oculaires, le M23 a fait son entrée dans la ville dès 9 heures.

Selon plusieurs sources recueillies par Le Vif à Bukavu, le M23 serait bien responsable des exactions. Un commerçant du marché du quartier latin témoigne: «J’ai vu plusieurs gamins armés à proximité de ma boutique. Ils étaient vêtus en tenue militaire. Puis le M23 a débarqué. Les tirs ont fusé, et j’ai pris mes jambes à mon cou. Je ne suis revenu que quelques heures plus tard. Il y avait trois corps d’enfants armés dans la rue.» Ces témoignages illustrent une réalité plus large et alarmante: la prolifération d’armes abandonnées dans l’est de la RDC, conjuguée à la quasi-absence d’institutions face à ce conflit complexe, accentue l’insécurité et expose les civils à de nombreux dangers, de la part des deux camps de belligérants.

(1) Les prénoms ont été modifiés pour la sécurité des personnes interviewées.

 

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