Conflit dans l’est du Congo: Goma à l’épicentre des maux congolais
Prise d’assaut par les rebelles du M23, la ville frontière du Rwanda semble condamnée à revivre des problèmes non résolus depuis 30 ans.
Douze ans après son contrôle éphémère par les rebelles du M23 (Mouvement du 23 mars), voilà que Goma, sur les bords du lac Kivu et face au Rwanda, est à nouveau sous le contrôle du même groupe, soutenu par Kigali. L’armée gouvernementale congolaise a bien tenté d’arrêter les rebelles, avec le soutien de la force de maintien de la paix de l’ONU (Monusco). Mais rien n’y a fait. Les rebelles, dotés d’armes modernes y compris d’une artillerie lourde, sont finalement entrés dans la capitale du Nord-Kivu.
«Le tabou des frontières est devenu très relatif. On le voit entre la Russie et l’Ukraine, […] et dans les velléités annexionnistes de Trump.»
Au cours des combats, le Congo a perdu le major-général Peter Cirimwami, gouverneur militaire de la province, abattu sur la ligne de front par un tireur embusqué. Selon l’ONU, 500.000 personnes ont été déplacées depuis le début du mois de janvier à cause des violences, et une grave crise humanitaire menace. En outre, treize soldats étrangers, dont trois de la Monusco, ont été tués. Le choc est rude pour l’Afrique du Sud, qui a perdu neuf hommes. Des témoins racontent qu’ils se sont battus pendant deux jours, sans aucun appui aérien ni munitions en suffisance.
«Désinhibition», tel est le constat amer dressé par un diplomate européen face à ce nouvel épisode qui humilie le pouvoir congolais. «Le tabou des frontières est devenu très relatif, poursuit-il. On le voit entre la Russie et l’Ukraine, entre la Turquie et la Syrie, entre Israël et la Palestine… et dans les velléités annexionnistes de Donald Trump.» Le nouveau secrétaire d’Etat américain Marco Rubio n’a toutefois pas tardé à mettre les points sur les i en condamnant l’assaut sur Goma du M23 «soutenu par le Rwanda». Mais aucune sanction n’a été édictée par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Goman, la ville intranquille
Depuis plus de 30 ans, Goma, porte d’entrée vers une région riche en minerais, n’a jamais connu de paix durable. A la fin du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, près de deux millions de Hutus ont traversé la frontière pour s’installer dans des camps de fortune. Dès les premières semaines, une épidémie de choléra emporta des milliers de vies. Ces camps étaient en outre devenus une menace directe pour le nouveau pouvoir à Kigali car dirigés par les extrémistes hutus. «S’ils nous attaquent depuis leur sanctuaire, nous aurons le droit de les poursuivre jusqu’au-delà de nos frontières», avait annoncé Paul Kagame fin 1994 à l’ULB lors d’un de ses premiers voyages en tant que vice-président et ministre de la Défense.
L’enjeu principal reste le même depuis trente ans: la mainmise sur les ressources naturelles, comme le coltan.
A la même époque, le nouvel homme fort de Kigali remet en cause les frontières coloniales, ce qui éveille des suspicions sur ses véritables intentions. Le Rwanda n’a jamais fait mystère qu’il se sentait à l’étroit dans ses 26.000 kilomètres carrés, 90 fois moins que le Congo voisin. En 1996, c’est le début de la première guerre lancée au Kivu par la rébellion de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre), sponsorisée par Kigali au nom de la défense des Tutsis congolais. Les rebelles progresseront jusqu’à Kinshasa, avec Laurent-Désiré Kabila comme porte-parole, devenu ensuite président du Congo. Jusqu’à ce que celui-ci décide de renvoyer chez eux ces Rwandais trop intrusifs. Le conflit ne se terminera que cinq ans plus tard, provoquant au passage la mort directe ou indirecte de 3,5 millions de personnes.
L’enjeu des ressources
Début 2025, l’est du Congo reste une zone d’instabilité et de souffrances indicibles, les déplacés sont innombrables et Kagame est toujours au pouvoir. Prise en tenaille, la ville de Goma est tombée comme un fruit mûr. D’autant que les belligérants ne négociaient plus. En décembre 2024, une rencontre entre les présidents congolais et rwandais, dans le cadre du processus de paix chapeauté par l’Angola, a été annulée vu l’absence de Kagame. Cet échec a permis au M23 et à 3.000 à 4.000 soldats rwandais, selon l’ONU, de rapidement gagner du terrain.
La prochaine cible pourrait être Bukavu, à l’autre bout du lac.
L’enjeu principal reste le même depuis 30 ans: la mainmise sur les ressources naturelles, comme le coltan. D’après le dernier rapport de l’ONU, les rebelles en ont exporté frauduleusement vers le Rwanda au moins 150 tonnes en 2024. Mais le pouvoir rwandais préfère agiter l’épouvantail des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), descendants des auteurs du génocide de 1994, et opposés au président Kagame. «Si l’UE prenait la paix au sérieux, elle exigerait le démantèlement immédiat des FDLR et l’arrestation de leurs dirigeants», s’énerve l’influent éditorialiste Tom Ndahiro dans le quotidien gouvernemental rwandais The New Times. Il accuse même la Monusco d’une «collaboration directe» avec ces forces génocidaires.
Si les FDLR restent pour Kigali comme un chiffon rouge, leurs capacités se sont toutefois émoussées avec les années. «Ils ne seraient plus que 300, relève Erik Kennes, chercheur à l’Institut Egmont. Leur présence est un prétexte utilisé par Kigali, c’est évident. Mais l’argument sécuritaire n’est pas pour autant vide de sens. La distance entre la frontière et Kigali n’est que de 150 kilomètres. D’un point de vue militaire, les Rwandais sont très vulnérables. Mais c’est davantage l’influence idéologique des FDLR qui est redoutée, car elles pourraient mobiliser la population rwandaise en vue de contester le régime.»
Très remonté contre l’Union européenne, Tom Ndahiro relève la résurgence de la rhétorique antitutsi, devenue une réalité sur le terrain comme sur les réseaux sociaux. «Au lieu de cela, l’UE se concentre sur le « retrait des forces rwandaises », en dépit du fait que les principaux acteurs étrangers dans le conflit en RDC sont les troupes de la SADC (NDLR: la Communauté de développement de l’Afrique australe), les troupes burundaises et les mercenaires, qui se battent tous pour le compte de Kinshasa», écrit-il. Si ce n’est que ces troupes-là y ont été invitées…
Conflit au Congo: Bukavu en ligne de mire
Coincée entre son accord de 2024 avec le Rwanda pour renforcer la coopération dans le secteur des mines et sa volonté de faire respecter le droit international, l’UE est en position déforcée pour exercer une réelle pression sur les différents acteurs. La Belgique encore plus, en froid avec les deux pays. En juin 2024, le Rwanda a réussi à bloquer la nomination de Bernard Quintin, aujourd’hui promu ministre des Affaires étrangères, comme représentant spécial de l’UE pour la région des Grands Lacs. Ce blocage s’inscrivait dans la foulée des critiques belges sur la présence rwandaise au Congo. Mais, depuis peu, les relations se crispent également avec Kinshasa, sur un tout autre sujet: la confirmation en appel de la peine de mort pour l’expert belgo-congolais Jean-Jacques Wondo. Le 28 janvier, des manifestants qui fustigeaient l’inaction des Occidentaux dans le conflit s’en sont pris à Kinshasa à certaines ambassades, dont celles de la Belgique et de la France.
Pour éviter que la prise de Goma ne débouche sur une catastrophe généralisée, l’Union africaine s’agite, le président kényan convoque, le Conseil de sécurité se réunit… Même la Turquie a proposé sa médiation. Une chose est sûre: le temps presse. Car il n’y a pas que le M23, mais aussi une centaine de groupes armés pour qui les alliances se font et se défont en fonction des intérêts du moment. Nombre d’entre eux, qui combattaient au côté de l’armée congolaise, pourraient être tentés de rejoindre le M23, qui occupe déjà près d’un quart du Nord-Kivu. La prochaine cible pourrait être Bukavu, à l’autre bout du lac. Très inquiets, des milliers d’habitants sont descendus dans la rue.
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