Burkina: le chef de la junte appelle les putschistes à « revenir à la raison »
Le chef de la junte au Burkina Faso, Paul-Henri Sandaogo Damiba, démis de ses fonctions par un groupe de militaires lors d’une annonce télévisée vendredi soir, n’a pas abdiqué, appelant les putschistes à « revenir à la raison » samedi, après une nouvelle journée de tensions à Ouagadougou.
Dans ce texte publié sur la page Facebook officielle de la présidence, le lieutenant-colonel a appelé les putschistes « à revenir à la raison pour éviter une guerre fratricide dont le Burkina Faso n’a pas besoin dans ce contexte ».
« Je démens formellement m’être réfugié dans la base française de Kamboinsin. Ce n’est qu’une intoxication pour manipuler l’opinion », a-t-il ajouté, sans toutefois préciser où il se trouve.
Plus tôt dans la journée, les putschistes s’étaient exprimés à la télévision nationale, affirmant que M. Damiba « planifiait une contre-offensive » depuis une « base française » près de Ouagadougou. Paris avait rapidement démenti.
C’est la première communication officielle signée de M. Damiba depuis vendredi. Il n’est pas apparu en public depuis le putsch.
Un peu plus tôt dans la journée, l’armée avait publié un communiqué ne reconnaissant pas le coup d’Etat, indiquant traverser « une crise interne » et que les « concertations » se poursuivaient.
« Quelques unités ont pris le contrôle de certaines artères de la ville de Ouagadougou, demandant une déclaration de départ du lieutenant-colonel Damiba », ajoute le communiqué, qui précise que cette tension « ne représente pas la position de l’institution ».
En fin d’après-midi, deux institutions françaises ont été prises pour cible par des manifestants: un incendie s’est déclaré devant l’ambassade de France à Ouagadougou, a constaté un journaliste de l’AFP, et un autre devant l’Institut français à Bobo-Dioulasso, selon des témoins dans cette ville de l’ouest du pays.
A Paris, le Quai d’Orsay a immédiatement réagi, « condamnant les violences contre notre ambassade avec la plus grande fermeté » et ajoutant que « la sécurité de (ses) compatriotes » était sa « priorité ».
Ces attaques « sont le fait de manifestants hostiles, manipulés par une campagne de désinformation à notre encontre », a déclaré sa porte-parole Anne-Claire Legendre, en « appelant les parties prenantes à assurer la sécurité » des bâtiments diplomatiques.
Le calme était revenu en début de soirée dans les rues de Ouagadougou mais tard samedi soir, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés près de la base militaire de Ouagadougou, pour soutenir les putschistes, selon un correspondant de l’AFP.
Dans leur déclaration de samedi après-midi, signée du capitaine Ibrahim Traoré, autoproclamé nouveau chef de la junte vendredi soir, les putschistes ont mentionné leur « ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires prêts à aider dans la lutte contre le terrorisme ».
Vendredi, quelques heures avant le coup d’Etat, plusieurs centaines de personnes avaient manifesté dans la capitale pour réclamer le départ de M. Damiba, mais aussi la fin de la présence militaire française au Sahel, et une coopération militaire avec la Russie.
L’influence de Moscou ne cesse de croître dans plusieurs pays d’Afrique francophone ces dernières années et il n’est pas rare de voir des drapeaux russes dans de telles manifestations.
Crise au sein de l’armée
Après une nuit et une matinée calmes, la situation s’était de nouveau tendue dans Ouagadougou à la mi-journée à la suite de tirs et de déploiements de militaires dans les rues.
Vendredi soir, après une journée émaillée de tirs dans le quartier de la présidence, des soldats étaient intervenus à la télévision nationale pour annoncer qu’ils démettaient de ses fonctions M. Damiba.
Ils avaient annoncé la fermeture des frontières, la suspension de la Constitution et la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée législative de transition. Un couvre-feu a également été mis en place de 21h00 à 05h00 (heure locale et GMT).
Le nouveau chef autoproclamé de la junte, le capitaine Traoré, était jusqu’à présent le chef de corps du Régiment d’artillerie de Kaya, dans le nord du pays, particulièrement touché par les attaques jihadistes.
Selon plusieurs sources sécuritaires, ce coup de force révèle de profonds désaccords au sein de l’armée, l’unité d’élite des « Cobras » déployée dans la lutte antijihadiste ayant reproché notamment à M. Damiba de ne pas mobiliser toutes les forces sur le terrain.
Condamnations internationales
La communauté internationale a condamné ce nouveau coup de force.
Samedi, le secrétaire général des Nations unies Antonio Gutteres a « fermement » condamné « toute tentative de prise de pouvoir par la force des armes ».
L’Union africaine (UA) a dénoncé un « changement anticonstitutionnel de gouvernement » et l’Union européenne (UE) a estimé que le coup de force mettait « en danger les efforts engagés depuis plusieurs mois » pour la transition.
La diplomatie américaine a elle « exhorté les responsables à désamorcer la situation », disant « suivre la situation de près ».
Dès vendredi soir, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait « condamné avec la plus grande fermeté » un coup de force « inopportun au moment où des progrès ont été réalisés pour un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024 ».
Pour l’heure, les nouveaux putschistes n’ont pas indiqué s’ils comptaient respecter ce calendrier de transition.
M. Damiba était arrivé au pouvoir en janvier par un coup d’Etat qui avait renversé le président Roch Marc Christian Kaboré, discrédité par la hausse des violences jihadistes.
Mais ces derniers mois, des attaques frappant des dizaines de civils et de soldats se sont multipliées dans le Nord et l’Est, où des villes sont désormais soumises à un blocus des jihadistes.
Depuis 2015, les attaques récurrentes de mouvements armés affiliés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique (EI) ont fait des milliers de morts et provoqué le déplacement de quelque deux millions de personnes.
Avec les deux putschs au Mali en août 2020 et mai 2021 et celui en Guinée en septembre 2021, c’est le cinquième coup d’Etat en Afrique de l’Ouest depuis 2020.
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