Burundi
Des personnes déplacées en raison des inondations d’avril 2024 sont accueillies dans la commune de Mubimbi, à l’est de Bujumbura. © GETTY IMAGES

Au Burundi, la lente asphyxie d’un pays oublié

François Janne d'Othée

Les indicateurs du Burundi sont au rouge, alors que se profilent, en 2025, des élections jouées d’avance. Le régime continue de fouler aux pieds les droits humains.

De mystérieux feux de brousse sur les collines, alors qu’aucun impératif agricole ne les justifie: qui se cache derrière? «Si on interroge les habitants, ils rapportent que ce sont des signes discrets de résistance à chaque fois que se profile une élection», déclare Véronique Paternostre, de retour d’une mission avec le CNCD-11.11.11, la coupole belge des ONG de développement. Le prochain scrutin présidentiel aura lieu en 2025, et les électeurs n’en attendent rien. Tout le processus devrait à nouveau être cadenassé afin que le Hutu Evariste Ndayishimiye reste au pouvoir, tout comme son parti tout-puissant, le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie–Forces de défense de la démocratie).

«La répression, les gens ont appris à vivre avec, poursuit la chargée de mission, qui a passé dix jours à rencontrer les partenaires locaux du CNCD. Ce qui les accable, c’est le coût de la vie, l’inflation des produits de base –même le sel a triplé de prix–, les promesses non tenues, les lois instables, la corruption… et là, la grogne monte en puissance. La pénurie de carburant exerce un effet désastreux sur la vente des produits agricoles. Le transport des blessés et des malades est également affecté.» Le manque de devises est criant et entrave l’importation de médicaments. Près du quart des professionnels de la santé seraient partis dans le secteur privé ou à l’étranger.

Pour le régime, les chiffres alarmants ne reflètent pas la réalité.

76% sous le seuil de pauvreté

Tous les indicateurs sont au rouge. Ainsi, le Burundi vient d’être à nouveau classé parmi les pays les plus affamés du monde par le Global Hunger Index 2024, à cause d’une production vivrière insuffisante à nourrir la population. En cause, un sous-investissement dans l’agriculture (22% du budget en 1985 contre 8% en 2024), la croissance démographique (de 4,9 millions d’habitants en 1985 à 13,2 millions en 2024), l’impact des conflits et de l’insécurité depuis 30 ans et les effets du changement climatique, comme l’érosion des sols et les glissements de terrain. Des quartiers restent inondés à Bujumbura. Selon la Banque mondiale, 76% de la population vivent sous le seuil de pauvreté. On est loin du «pays de lait et de miel» invoqué dans les prêches du président.

Le régime burundais, lui, continue d’affirmer que les chiffres ne reflètent pas la réalité, qu’au contraire, ils ne cessent de s’améliorer. Les 5 et 6 décembre prochains, Bujumbura accueillera une table ronde destinée à mobiliser les investisseurs, y compris belges, en vue de faire du Burundi un «pays émergent en 2040 et un pays développé en 2060»… Vaste programme, alors que le pays est loin d’être apaisé. «Une prison à ciel ouvert, où règne un silence de mort», fustige même Maggy Barankitse, la célèbre militante humanitaire au service des orphelins, forcée de fuir son pays en 2015 lorsque le pouvoir a violemment réprimé les manifestations contre la candidature à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, décédé en 2020.

De fait, les rapports sont accablants. Comme celui, rendu public fin septembre, du rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme au Burundi, le Burkinabé Fortuné Gaetan Zongo, qui évoque «l’impunité généralisée des auteurs de violations des droits de l’homme, la situation sécuritaire qui se détériore, ainsi que l’augmentation des cas de disparitions forcées et des arrestations arbitraires». Pour la période de juillet 2023 à avril 2024, la Ligue burundaise des droits de l’homme Iteka a comptabilisé 591 arrestations arbitraires, 43 cas de torture, 415 exécutions extrajudiciaires, 25 disparitions forcées et 129 cas de violences basées sur le genre. A la fin de l’année dernière, le président Ndayishimiye a déclaré qu’il fallait «lapider» les personnes LGBTI.

Les auteurs de violences bénéficieraient d’une «impunité généralisée.»

«Le Burundi ne coopère pas»

Ce désolant palmarès risque de s’allonger encore. Ainsi, le redoutable Service national de renseignement et les milices Imbonerakure continuent d’intimider voire de terroriser la population, encore davantage dans la perspective des élections. Les critiques internationales? Le pouvoir n’en a cure. «Le Burundi ne coopère pas avec le rapporteur spécial», assène celui-ci, qui mentionne un épisode interpellant: en 2023, lors d’une réunion en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, le représentant permanent du Burundi a déclaré que le rédacteur du rapport 2023 du rapporteur spécial «devrait garder à l’esprit que ces mensonges, ces calomnies, ces accusations fallacieuses ne resteraient pas éternellement impunis

Le contraste entre le Burundi et le Rwanda voisin, ce «faux jumeau» présenté comme un champion de développement en Afrique, est flagrant. Mais point de coopération avec lui. Le 11 janvier dernier, la frontière a été fermée par le pouvoir burundais qui accuse Kigali de soutenir les rebelles du mouvement Red-Tabara et d’abriter d’anciens putschistes et beaucoup d’opposants, dont de nombreux journalistes. Cette fermeture asphyxie encore un peu plus le pays. «Elle affecte surtout les producteurs du nord, nuance Véronique Paternostre. La frontière congolaise, elle, reste ouverte et les commerçants peuvent ainsi contourner le problème. En retour, beaucoup de Congolais profitent de la dégringolade du franc burundais pour s’approvisionner en boissons, avocats, légumes, etc.»

Pendant que le pouvoir se fâche avec son voisin, et avec ses citoyens, ceux-ci choisissent de bâtir la paix sur les collines. Ainsi, de courageuses ONG locales comme Adisco (Appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines) organisent des arbitrages dans le cadre foncier. «Les conflits sont nombreux car les parcelles sont divisées et redivisées en surfaces de plus en plus petites, d’autant que le pouvoir rachète des terres arables pour construire de grands hôtels», constate Véronique Paternostre. Ces règlements à l’amiable sont les bienvenus: «Les gens en ont assez de la violence, ils en souffrent depuis si longtemps.»

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire