Affaire PPDA : le livre accablant d’une victime, Hélène Devynck
Dans son livre Impunité, l’ancienne journaliste Hélène Devynck, une des victimes de l’ancien présentateur du 20 heures, met en cause la direction de TF1 et questionne l’inaction de la justice. Un réquisitoire accablant.
Prédateur sexuel abusant de sa notoriété, usant d’un mode opératoire similaire dans l’approche de ses victimes et dans la brutalité de ses actes, commis sans la moindre tentative de séduction, ni la moindre considération envers les femmes qui refusaient ces avances. » Ces quelques lignes résumant la personnalité de Patrick Poivre d’ Arvor au terme de l’enquête menée par les policiers à la suite des plaintes de 23 victimes du présentateur de TF1 auraient logiquement pu conduire à un procès et à une condamnation. Le 25 juin 2021, le procureur a pourtant décidé un classement sans suite (1).
Pour 21 des plaignantes, les faits étaient prescrits ; pour les deux dernières, ils ont été déclarés «insuffisamment caractérisés». Impunité (2) est le titre de l’ouvrage que publie, sur l’affaire PPDA, Hélène Devynck, qui l’accuse de viol commis au printemps 1993 dans son appartement de Neuilly alors qu’elle était son assistante au 20 heures de TF1. C’est un livre coup de poing, accablant pour l’ancien journaliste- vedette mais aussi pour des membres de la direction et du personnel de la première chaîne de télévision en Europe, qui ne pouvaient pas ignorer que «le présentateur avait un comportement délirant avec les jeunes femmes» et que celui-ci les exposait à des violences sexuelles.
Renoncer maintenant serait accepter la loi du plus fort et le sacrifice vain de nos réputations.
Rapport de pouvoir
Impunité rapporte le témoignage de toutes ces jeunes journalistes ou aspirantes écrivaines qui ont croisé la route de PPDA et n’en sont pas sorties indemnes. Les faits s’ étalent de 1981 à 2016. Ils suivent le même modus operandi. A même le plateau du 20 heures, dans le bureau ou l’appartement du journaliste, voire dans un hôtel à l’occasion d’un de ses déplacements, ses «proies» sont agressées soudainement, avec une extrême rapidité, quelques minutes, et renvoyées à leur statut «secondaire» dès l’acte commis.
Sidérées, les victimes sont détruites et, souvent, murées dans un silence «issu de la honte et du rapport de pouvoir», comme Hélène Devynck elle-même. «Quel poids a la parole d’une jeune femme inconnue, minuscule face à la vedette capricieuse, gloire nationale, qui règne sur l’audimat sans contre-pouvoir?, questionne rétrospectivement l’autrice. Parler m’aurait condamnée à d’infinies strates de violences supplémentaires.»
L’ancienne journaliste sait aussi que son silence a participé à élever le mur de la toute-puissance et de l’impunité de Patrick Poivre d’ Arvor. Une impunité qui est tout de même difficilement compréhensible trente ans plus tard alors que le mouvement MeToo, il est vrai, a fait progresser la dénonciation de ces crimes et la vigilance sur leurs signes avant-coureurs. Car c’est au vu et au su de tous ses collègues que le présentateur posait les questions «rituelles» aux jeunes journalistes ou invitées – «Vous êtes en couple? Vous êtes fidèle?» – et qu’ils les conviaient dans son bureau à l’issue du journal télévisé.
Aucune introspection
«La violence misogyne était servie par une organisation fondée sur l’abus de pouvoir, l’intimidation, et le silence imposé» et «une grande partie de la rédaction de TF1 a été aveuglée par la présomption de consentement», avance aujourd’hui comme éléments de contexte Hélène Devynck. Une analyse qu’accréditent les autres affaires ayant mis en cause des personnalités de la chaîne (le producteur Gérard Louvin, accusé de viols sur mineurs, ou l’animateur et futur ministre Nicolas Hulot, accusé de viols et d’agressions sexuelles) et le constat qu’aucun questionnement sur le comportement de PPDA n’a jamais été formulé, selon Helène Devynck, par la direction ou la rédaction et qu’aujourd’hui encore, l’introspection sur leurs failles est absente, hormis dans le chef de l’ancien patron Nonce Paolini. L’ autrice d’Impunité n’hésite dès lors pas à invoquer un «système criminel» pour expliquer les agissements de PPDA et l’impunité dont il a bénéficié. «Pour le construire […], explique-t-elle, il ne suffit pas d’un homme, de phénomènes de cour, de la lâcheté d’un groupe social ni de cette tendance profondément humaine à confondre l’autorité avec la vérité. Il faut aussi […] des superpositions de légendes sur le pouvoir, la sexualité, la séduction, les hommes et les femmes.»
Comme pour d’autres victimes, le silence qu’elle a elle-même observé, pour les raisons déjà évoquées, ronge Hélène Devynck. Tant d’agressions auraient peut-être pu être évitées. Il a fallu le dépôt de la plainte, en 2021, de l’écrivaine Florence Porcel pour qu’elle se décide à faire de même et évoque publiquement son agression dans une tribune publiée le 16 mars de cette année-là dans Le Monde. Une démarche marquée du sceau du courage et qui, répétée par une trentaine de personnes, devrait, en elle-même, persuader de la sincérité des témoignages. «Raconter une humiliation violente au monde entier, en tout cas à tout son monde, n’est ni un idéal de publicité ni une promesse de sérénité, insiste l’autrice. Parler à la justice, c’était la certitude de se faire déchiqueter, de rajouter du malheur au malheur.»
La sororité contre la haine
Même à l’époque de MeToo, la déferlante de critiques n’a pas manqué. Trois arguments alimentent les plus soft pour discréditer la victime: «Elle exagère», «Elle veut lui nuire», «Elle est animée par le dépit amoureux.» «La vertu des femmes est […] l’angle d’attaque ordinaire et toujours payant pour les disqualifier», dénonce Helène Devynck. A ce déferlement de haine et aux plaintes pour dénonciation calomnieuse déposées par PPDA, les accusatrices opposent leur solidarité forgée dans le combat commun et la conviction de faire ce qu’elles ont à faire. «Renoncer maintenant serait accepter la loi du plus fort et le sacrifice vain de nos réputations», exprime Hélène Devynck. Une détermination indispensable si elles veulent faire mentir le constat qu’«à partir d’un certain niveau de célébrité, aucun Français n’a jamais été condamné pour des faits de délinquance sexuelle. Jamais. Aucun.»
(1) Depuis, d’autres plaignantes se sont fait connaître à la justice. Le quotidien Libération a publié le témoignage de trois d’entre elles le 18 septembre. L’ enquête est relancée.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici