Abdel Latif Rachid, nouveau président d’un Irak polarisé
L’ancien ministre Abdel Latif Rachid, élu jeudi président d’Irak à 78 ans, est un familier des dédales du pouvoir à Bagdad, un ingénieur hydraulique sensible aux questions environnementales, appelé à naviguer en eaux troubles à la tête d’un pays polarisé.
Diplômé de Grande-Bretagne, ce militant kurde de la première heure peut se targuer d’une longue carrière au sein du pouvoir à Bagdad. Dès 2003, il fera partie du premier gouvernement de l’après-Saddam Hussein, dont le régime a été renversé dans la foulée de l’invasion américaine.
Au poste largement honorifique de président de la République, Latif Rachid, comme l’appellent familièrement les Irakiens, succède à Barham Saleh pour un mandat de quatre ans. Tous deux sont issus de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), parti historique de la minorité kurde que M. Rachid a représenté dans les années 1990 à Londres. Proche de Jalal Talabani, fondateur de l’UPK, M. Rachid occupe depuis 2010 un poste de conseiller présidentiel –loin des projecteurs.
Tandis que les factions pro-Iran du Cadre de coordination cherchait coûte que coûte à former un gouvernement, sa candidature a refait surface à la dernière minute, les deux partis kurdes l’UPK et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) n’arrivant pas à s’accorder sur un président.
« L’atout de Latif Rachid est qu’il n’est pas étranger » à la scène politique, indique à l’AFP le politologue Hamzeh Hadad. « Il a été ministre pendant de longues années. Rien ne sera nouveau pour lui, même s’il sera un nouveau visage pour les jeunes Irakiens. »
Expérience
Né le 10 août 1944 à Souleimaniyeh, grande ville de la région autonome du Kurdistan (nord), M. Rachid poursuivra ses études à l’université de Liverpool puis de Manchester, obtenant en 1976 un doctorat en ingénierie hydraulique. Moustache en brosse, lunettes classiques et costumes aux couleurs sobres, le septuagénaire qui parle kurde, arabe et anglais diverge rarement de son style de technocrate.
Sur son site Internet, son CV rappelle qu’il a été consultant pour des institutions internationales, engagé sur plusieurs projets d’irrigation et de développement agricole. Entre 2003 et 2010, il conservera le portefeuille des Ressources hydriques, notamment dans le gouvernement de l’ex-Premier ministre Nouri al-Maliki.
Dans un Irak fortement touché par la sécheresse et considéré comme l’un des cinq pays les plus exposés à certaines conséquences du changement climatique selon l’ONU, il apporte une expérience précieuse. M. Rachid renouera avec d’anciennes batailles menées quand il était ministre: le différend diplomatique avec la Turquie voisine sur le partage des eaux fluviales, mais aussi la sauvegarde des Marais mésopotamiens, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, qu’il avait aidé à régénérer en 2004.
« Bons rapports »
Reste à savoir s’il perpétuera la lancée interventionniste initiée par son prédécesseur à la fonction présidentielle, au moment où la scène politique reste polarisée entre un camp pro-Iran et l’influent leader religieux Moqtada Sadr.
Dans un pays multiconfessionnel et multiethnique, « il a de bons rapports avec les politiciens chiites et sunnites, il est respecté par le Courant sadriste », assure un responsable gouvernemental qui l’a côtoyé. Il dispose d’avantages certains, notamment sa proximité avec M. Maliki, un pilier du Cadre de coordination, alliance dominant aujourd’hui le Parlement. Autre dossier houleux qui l’attend: pacifier les relations en dents de scie entre Bagdad et le Kurdistan.
« Barham Saleh aura laissé sa marque en tant que président charismatique, mais cela n’a guère amélioré les relations entre Bagdad et le Kurdistan », ajoute Hamzeh Hadad. « Si Latif Rachid est capable d’améliorer cela, il éclipsera tout ce que son prédécesseur a accompli. » Marié et père de deux garçons et d’une fille, M. Rachid est un amateur de peinture. En 2014, il a ouvert à Souleimaniyeh une galerie d’art qui expose les artistes locaux.