Thierry Bellefroid
« À Pyongyang, les Kim règnent en mâles depuis trois générations »
Alors que se referment les JO d’hiver sud-coréens de Pyeongchang, permettez que je me tourne vers vous avec espoir, vous qui fûtes, de 632 à 647, la première reine de l’un des trois royaumes de la péninsule coréenne.
Votre père, le roi Chinpyong, n’ayant pas eu de fils, il vous désigna pour lui succéder. Bien lui en prit. A cette époque, Koguryo, Paekche et Silla étaient les noms des trois royaumes coréens. Le vôtre, Silla, était le plus petit et le plus au sud. Sous votre autorité, il allait prospérer de manière déterminante.
Certes, on ne fait pas d’omelette sans marcher sur les coquilles d’oeufs et vous n’avez pas échappé plus que les autres à quelques démonstrations d’autorité sanguinolentes. Mais votre grande force fut de vous appuyer sur les arts, l’éducation et la culture pour unifier votre royaume et détourner ses sujets de la sempiternelle envie d’aller botter le cul des voisins. Très pragmatique, vous trouvâtes un terrain d’entente avec la dynastie Tang de vos voisins chinois, rééquilibrant ainsi les forces en présence dans la péninsule. A votre mort, tout était prêt pour une réunification des trois royaumes. Votre nièce, Jindeok, allait en poser les bases durant son court règne de sept ans. Elle se ferait finalement avec l’aide des Chinois un rien plus tard. Puis, on renverrait les Chinois chez eux pour rester entre Coréens.
Je connais un peu votre pays, chère Seondeok. Avec quelques amis, je me suis promené sur la DMZ, la zone démilitarisée entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. A ce moment-là, Kim Jong-un suçait encore son pouce, ou presque. Son père, qui n’était pas un tendre, n’avait pas pour autant le culte de la provocation permanente. On allait à Panmunjeom comme à Blankenberge, on remplaçait juste le frigobox par un casque bleu. L’un des souvenirs que je garde du bâtiment où fut signé l’armistice de 1953, c’est la manière dont étaient disposés les soldats sud-coréens affectés à la surveillance des lieux. Permettez que je vous éclaire, chère Seondeok, car vous n’avez pas connu le site tel qu’il est aujourd’hui. Perpendiculaire au 38e parallèle qui symbolise l’ancienne ligne de front entre les deux Corées, ce baraquement préfabriqué où l’ONU et la Corée du Nord ont signé l’armistice est à cheval sur les deux pays. Au nord, pas de militaire en faction, mais une fortification imposante un peu plus loin. Au sud, deux militaires à chaque angle du bâtiment, en position repos, immobiles comme des statues. M’interrogeant sur l’utilité de ne consacrer qu’un oeil et une moitié de corps à la surveillance de l’ennemi – l’autre restant cachée derrière le baraquement -, je reçus la réponse suivante : » Comme ça, ils offrent une cible plus réduite à ceux d’en face. » Ce jour-là, je me demandai où commençait la guerre et où se terminait le folklore.
Sans doute sont-ce les femmes qui font la différence. Seondeok, Jindeok, deux reines pour changer la face d’une péninsule. En regardant la soeur de Kim Jong-un débarquer tout sourire aux JO, ou bien cette équipe de hockeyeuses symboliquement réunifiée, j’ai eu la faiblesse de penser que le temps était peut-être venu. Mais tout ça, c’était de la poudreuse aux yeux. Au fond, rien n’a vraiment changé à Pyongyang : les Kim y règnent en mâles depuis trois générations.
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