À Gaza, rien n’arrête l’offensive d’Israël: quand l’objectif de guerre sera-t-il considéré comme atteint?
Ni le sort des otages, ni les avertissements des Etats-Unis, ni les pertes civiles palestiniennes. Mais quand sera considéré comme atteint l’objectif de guerre?
La guerre au Proche-Orient est entrée dans une nouvelle phase depuis qu’Israël et le Hamas ont décidé, d’un commun désaccord, de rompre la trêve de sept jours qui a permis la libération de 86 otages israéliens et binationaux (et 24 étrangers) en échange de la sortie de prison de 240 détenus palestiniens et de l’acheminement d’une aide humanitaire à destination des habitants de Gaza. Des tirs de roquettes sur des villes israéliennes et des bombardements sur des bâtiments et infrastructures palestiniens ont précédé la reprise de l’offensive terrestre de Tsahal vers le sud du territoire palestinien dirigé par le Hamas. Le 5 décembre, elle a pénétré dans la ville de Khan Younès après l’avoir encerclée depuis le nord de la bande de Gaza. Engagés directement depuis le sol israélien, d’autres blindés ont aussi progressé vers la première cible de cette deuxième étape de la guerre.
Le sort des terroristes des bataillons du Hamas sera le même dans le sud que dans le nord, voire pire.
«Nous continuerons jusqu’à la victoire et jusqu’à ce que tous les objectifs soient atteints: l’élimination du Hamas et le retour des otages en Israël, a promis le ministre de la Défense, Yoav Gallant, en commentant la percée de ses troupes vers le sud de la bande de Gaza. Le sort des terroristes des bataillons du Hamas y sera le même que dans le nord, voire pire.» Cette attitude qui ne semble souffrir aucune retenue résonne comme un pied de nez à la politique mesurée réclamée par les Etats-Unis. Les Américains formulaient au moins trois recommandations à son allié israélien à l’aube de cette nouvelle phase. Aucune ne semble devoir être respectée.
Des zones de sécurité
Présent à Tel-Aviv le 30 novembre, le secrétaire d’Etat Antony Blinken disait encore espérer que la trêve pourrait être prolongée après une première rallonge de deux jours obtenue grâce à une médiation américano-égypto-qatarie. Quelques heures plus tard, après une nouvelle libération de captifs, les opérations armées reprenaient dans les deux camps. Comme si le sort des 138 derniers otages avait été passé par pertes et profits.
Prévoyant la reprise des combats, le chef de la diplomatie américaine avait aussi exhorté Israël à mettre en place «des plans de protection humanitaire des civils […] afin de minimiser les morts de Palestiniens innocents». «Cela implique de prendre des mesures plus efficaces pour protéger la vie des civils, notamment en désignant clairement et précisément des zones et des lieux dans le sud et le centre de Gaza où ils peuvent être en sécurité et à l’abri de la ligne de feu», précisait Antony Blinken. L’armée israélienne a bien lancé par avion des avis à la population lui enjoignant d’évacuer la ville de Khan Younès par la route côtière ou de rester dans les abris et a annoncé la sanctuarisation de certains quartiers de la ville. Mais ce dispositif de zones de sécurité a été jugé impossible à mettre en œuvre par James Elder, le porte-parole du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). «Ces zones ne peuvent être ni sûres ni humanitaires lorsqu’elles sont déclarées unilatéralement.»
Défi humanitaire
Enfin, le secrétaire d’Etat américain avait demandé à Israël «que les pertes massives de vies de civils et les déplacements de l’ampleur que nous avons vus dans le nord de Gaza ne se répètent pas dans le sud». Des transferts importants de population, il semble inévitable qu’il y en ait. Les bombardements israéliens intensifs de la nuit précédente et l’imminence de l’assaut des troupes au sol avaient déjà conduit à la fuite d’une partie de la population de Khan Younès le 5 décembre. Or, le sud de la bande de Gaza est déjà en état de surpopulation depuis l’arrivée des déplacés du nord après le siège des villes de Beit Hanoun, Gaza City et le camp de réfugiés de Jabaliya dans les premières semaines de la guerre. Ces nouveaux déplacements de population risquent de compliquer plus encore l’assistance humanitaire. Dans son réquisitoire sur l’inanité des zones de sécurité envisagées par Israël, le porte-parole de l’Unicef a excipé de l’absence de toilettes et de systèmes d’assainissement dans ces supposés sanctuaires pour expliquer qu’ils pourraient se transformer en foyers de propagation de maladies.
Bref, que ce soit sur la prolongation de la trêve, la mise en place de plans de protection humanitaire de civils ou sur la réduction des pertes humaines et des déplacements de populations, aucun des appels de l’allié américain ne semble avoir été entendu par Israël. Dès lors, de deux choses l’une, soit l’administration Biden affiche une fermeté de façade pour tempérer les critiques de ses partenaires arabes et soutient en coulisse l’intransigeance israélienne, soit elle est vraiment attachée au respect par le gouvernement Netanyahou de certains garde-fous et elle sera contrainte d’envisager des moyens de coercition plus persuasifs.
Doute sur l’objectif de guerre
Faut-il y voir un indice d’une possible montée de la pression exercée sur Israël? Les Etats-Unis ont adopté, le 5 décembre, des sanctions, notamment des interdictions de visa d’entrée contre les colons de Cisjordanie qui se seraient rendus ou se rendraient coupables de violences contre les Palestiniens. Depuis le massacre de 1 200 Israéliens par le Hamas le 7 octobre, elles se sont multipliées dans le territoire palestinien occupé sans que l’armée ne les réprime, faisant craindre l’ouverture d’un deuxième front contre Israël. La France partage la même inquiétude. Elle s’est dite favorable à l’adoption, par l’Union européenne, de mesures de rétorsion similaires à celles envisagées à Washington.
La destruction totale du Hamas, qu’est-ce que c’est? Quelqu’un pense-t-il que c’est possible?
Présent à la COP 28 à Dubaï, Emmanuel Macron est allé plus loin dans la critique de l’attitude d’Israël en questionnant ses objectifs. «Je pense qu’on est à un moment où les autorités israéliennes vont devoir définir plus précisément leur objectif, et l’état final recherché. La destruction totale du Hamas, qu’est-ce que c’est? Quelqu’un pense-t-il que c’est possible? Si c’est ça, la guerre durera dix ans», a-t-il asséné. Après deux mois de guerre intensive – Tsahal assure que plus de cent mille obus ont été tirés sur la bande de Gaza depuis le déclenchement de son offensive –, le Hamas conserve en tout cas un pouvoir de nuisance. Militaire comme le prouvent les roquettes qui continuent de frapper Israël jusqu’à Tel-Aviv. Politique avec l’arme des otages. Géopolitique à travers la menace d’ouverture de nouveaux fronts depuis le Liban, la Syrie, le Yémen par les supplétifs de son allié, l’Iran.
La cible Yahya Sinouar
Le concept d’éradication du Hamas étant assez flou, la destruction de ses principales capacités militaires ne signifiant pas la fin de la propagation de ses idées au sein de la population palestinienne, qu’est-ce qui pourrait convaincre Benjamin Netanyahou que l’objectif de guerre est atteint et une grande partie des Israéliens que le Premier ministre-chef de guerre a rempli sa «mission»? «Netanyahou pense que l’assassinat de Yahya Sinouar, le cerveau présumé de l’attaque du 7 octobre, suffirait pour persuader l’opinion publique israélienne qu’une victoire majeure a été remportée et que la guerre peut prendre fin», écrivait le New York Times.
Khan Younès est réputé être le fief de Yahya Sinouar, le chef politique du Hamas à Gaza. Il y est né tout comme Mohammed Deif, auquel on attribue l’exécution de l’attaque contre Israël. La bataille qui va s’y dérouler pourrait donc s’avérer déterminante pour la suite du conflit.
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