11 septembre: « Mon esprit était incapable de donner du sens à ce que mes yeux voyaient » (témoignages)
Richard Alles, pompier dépêché au World Trade Center, et Leokadia Glogowski, employée dans la tour Nord, racontent leurs souvenirs du 11-Septembre. Des moments d’épouvante, des instants de grâce, et la perte de tant de connaissances…
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Leokadia Glogowski est ingénieure. Née en Pologne, elle a émigré aux Etats-Unis à la fin des années 1980. « Le matin du 11 septembre, se souvient-elle, je me suis rendue au travail en compagnie de mon mari, comme d’habitude. Je me trouvais au 82e étage de la tour Nord du World Trade Center lorsque le premier avion s’est écrasé sur l’immeuble. Instantanément, bien que l’impact était situé quelques étages plus haut, un énorme nuage de poussière a envahi toute la surface de bureau. La tour a chancelé d’un côté puis de l’autre avant de revenir dans sa position initiale. Un de mes collègues a crié: « Tout le monde descend, et pas par les ascenseurs! ». »
Initialement, les rapports faisaient état du crash d’un petit avion […] ; donc rien d’extraordinaire à proprement parler.
L’employée de la ville de New York, 48 ans en 2001, descendit donc, comme des milliers d’autres, plus de quatre-vingts volées d’escaliers pour s’extraire du bâtiment. « Le tout s’est déroulé dans un certain calme. Nous n’étions pas en mesure de connaître la cause de cette explosion. Pas un seul instant l’hypothèse terroriste ne m’a traversé l’esprit. Ce n’est qu’en sortant de la tour que nous avons découvert ce qui était en train de se produire. » Lorsqu’elle quitte le building, la tour Sud est percutée. Leokadia Glogowski décide alors de fuir aussi vite que possible en direction de son domicile, en passant par le pont de Brooklyn, situé à proximité de là.
Ce jour-là
Mark, c’est ta mère… Ton avion a été détourné par des terroristes (…) Si vous pouvez, essayez de maîtriser ces types, parce qu’ils vont sans doute utiliser l’avion comme une cible. »
La plus grande opération de sauvetage
Au même moment, Richard Alles, commandant des forces de pompiers d’une caserne située dans l’arrondissement de Brooklyn, se met en route vers les lieux de l’attentat. « Je terminais une garde de vingt-quatre heures dans ma caserne à Brooklyn et je réglais de la paperasse d’usage lorsque nous avons été mis au courant que quelque chose s’était passé au World Trade Center, se rappelle-t-il. Initialement, les rapports faisaient état du crash d’un petit avion sur une des tours, chose qui était arrivée auparavant en ville, donc rien d’extraordinaire à proprement parler. Lorsque nous avons appris qu’il s’agissait d’un vol commercial, toutes les unités disponibles de la ville, ainsi que les collègues qui n’étaient pas en service, ont fait route vers le site. » Alors que les membres de son unité se préparent à partir, la nouvelle tombe: un second avion s’est encastré, cette fois, dans la tour Sud. Quelques kilomètres plus à l’ouest, sur le pont de Brooklyn, Leokadia Glogowski tente coûte que coûte de regagner son domicile. « Je me rappelle parfaitement bien que je fuyais la zone lorsque les deux tours se sont effondrées, créant un nuage de poussière d’une taille incommensurable », détaille-t-elle.
« Mes premières impressions lorsque nous sommes arrivés sur place, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, n’étaient pas que nous étions en guerre, ou que sais-je, mais que nous allions « juste » participer à la plus grande opération de sauvetage de l’histoire du pays. Nous étions plusieurs milliers sur place, sans véritable équipement lourd, du moins dans les douze premières heures », explique Richard Alles. Ce n’est en effet que vers la fin de l’après-midi que des engins professionnels de déblayage parvinrent à se frayer un chemin sur les lieux. « La seule chose que je peux dire en ce qui concerne le périmètre des attentats, c’est qu’il me donnait le sentiment de vivre des images que mon père, en tant que vétéran de la Seconde Guerre mondiale, nous avait souvent rapportées – celles du bombardement de Londres par les Allemands. Toute la zone où les tours s’étaient effondrées était marquée par un chaos indescriptible. D’une manière générale, mon esprit était incapable de donner du sens à ce que mes yeux voyaient. Je ne me rappelle pas de sons en particulier, même si la scène était sans doute très bruyante, mais plutôt des débris et des innombrables feuilles de papier qui volaient au vent, un peu comme une tempête de neige. »
Ce jour-là
« La situation au 106e (étage) empire rapidement… Nous… nous avons… de moins en moins d’air frais et ça empire… je n’exagère pas… Qu’est-ce qu’on doit faire pour avoir de l’air? »
La vaine quête de survivants
Cinq heures après avoir quitté ses bureaux de la tour Nord, alors que l’attention du monde entier est focalisée sur le site du World Trade Center, et que la nature terroriste des événements ne fait désormais aucun doute, Leokadia Glogowski parvient enfin à joindre son mari. « Le réseau de téléphonie mobile était coupé dans les heures qui ont suivi l’effondrement des tours. Après une longue recherche, je suis enfin parvenue à trouver une ligne fixe depuis laquelle appeler mon mari. J’ai téléphoné à son bureau, et la personne qui a décroché a crié « elle est vivante, elle est vivante! » pour ensuite me passer mon époux. C’est l‘une des rares fois où je l’ai entendu pleurer. »
C’est l’une des rares fois où j’ai entendu mon mari pleurer.
Pour Richard et ses équipes, la recherche de survivants potentiels constitue l’unique priorité. « La partie la plus délicate de notre travail, en tant que personnel de première ligne, a consisté à percer des voies d’accès vers d’éventuels rescapés. Il fallait être très prudent et avancer lentement. La pile de débris résultant de l’écroulement des tours atteignait presque cinquante mètres de haut en son centre. On devait être certains que les lieux soient sécurisés en termes de stabilité, ce qui n’est pas évident lorsque l’urgence de trouver des survivants domine, indique l’ancien pompier. Différentes équipes doivent se coordonner pour s’assurer que le travail de certains, notamment avec des outils pneumatiques lourds, n’impacte pas la recherche des autres. Le danger est là à chaque instant. »
Il s’avère rapidement que la quête de survivants relève de la cause perdue. La dernière personne à avoir pu être dégagée des décombres fumants l’a été à peine un peu plus d’un jour après les attentats. « Il est difficile de communiquer sur ce genre de sujets, mais il est apparu assez vite que tout espoir était vain », se rappelle Richard Alles. Après un peu plus de deux semaines de recherches, les autorités annoncent que les opérations de sauvetage prennent fin. Place au déblayage. Il durera huit mois.
Un mail envoyé de Pologne
« Il a longtemps été difficile pour moi de retourner dans la zone du World Trade Center, même si aujourd’hui je travaille à nouveau à proximité, indique Leokadia Glogowski. Moi qui suis très croyante, je ne peux pas ne pas me rappeler ce que je considère comme des « instants de grâce » vécus ce jour-là, en particulier un e-mail familial reçu de Pologne alors que je commençais ma journée. Quelques semaines avant le 11-Septembre, un des ascenseurs de la tour dans lequel je me trouvais avait fait une chute incontrôlée de vingt étages avant d’être stabilisé. Ma mère insistait pour que je trouve un autre endroit où travailler. »
Le décompte des victimes du 11-Septembre ne s’est pas arrêté au soir des attentats. « Les autorités se sont fourvoyées en annonçant dans les jours qui ont suivi les attaques que respirer l’air ambiant dans la zone des recherches ne présentait aucun risque. Nous-mêmes, en tant que pompiers, pendant les premiers jours au moins, nous ne disposions pas de matériel professionnel d’assistance à la respiration. Nous avons travaillé initialement avec de vulgaires masques en papier similaires à ceux utilisés lors de l’actuelle pandémie de coronavirus. Au vu de leur inutilité, la plupart d’entre nous a décidé de faire sans », indique Richard Alles. Après quelques années, de très nombreuses personnes, et pas seulement des pompiers, ont commencé à souffrir de maladies chroniques dues à leur exposition aux fumées toxiques dégagées lors de l’effondrement des deux tours. « Nous étions conscients de la toxicité potentielle du site. Mais dans ce métier, nous savons pertinemment que nous risquons notre vie sur le terrain. Il n’empêche, j’ai perdu 343 collègues lors de ces événements. La communauté des pompiers new-yorkais est comme une grande famille, tout le monde ou presque se connaît, car nous effectuons des stages successifs dans différentes casernes. J’ai perdu de nombreux amis. Je connaissais certainement les deux tiers de ceux qui sont décédés. »
Aujourd’hui, Richard Alles pense avoir fait son deuil des événements, « d’autant que cette journée, son souvenir et ses conséquences constituent désormais mon travail quotidien« . L’ancien pompier est en effet actif dans la gestion du Fonds d’indemnisation des victimes du 11-Septembre. « Il n’empêche, je garde un souvenir pénible du travail après l’effondrement des tours. Surtout quand j’ai commencé à prendre conscience que nos tentatives pour trouver des survivants étaient vaines. C’est un sentiment tout à fait détestable, qui m’a marqué au plus profond de mon être. »
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