La qualité de l’air a été jugée comme «exécrable», mardi, en Flandre et à Bruxelles. © Getty Images

Pourquoi la qualité de l’air est «exécrable» en Belgique actuellement: «L’impact sur la santé est colossal»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Ces dernières trente-six heures, la qualité de l’air a atteint des seuils inquiétants en Belgique, surtout à Bruxelles et en Flandre. Les conditions météorologiques actuelles, couplées aux activités humaines polluantes, favorisent la concentration de particules fines. Avec des risques non-négligeables sur la santé.

«Horrible», «malsain», ou encore «nocif». Les termes varient d’une application météo à l’autre, mais toutes confirment le même verdict: la qualité de l’air actuelle laisse franchement à désirer. Avec un indice de neuf (sur une échelle de 10), la journée de mardi a en effet été classée comme «très mauvaise» par la Cellule interrégionale de l’environnement (Celine). Bruxelles et la Flandre ont même atteint des niveaux «exécrables» (indice de 10), alors que la Wallonie se contentait d’un label «médiocre» (indice de 6).

Cette pollution significative résulte d’une concentration élevée en particules fines dans l’air. Le seuil des 50 µg/m³ pour les PM10 (particules au diamètre inférieur à 10 micromètres) a ainsi été dépassé mardi à 5 heures du matin en Flandre, et mardi à 15 heures dans la capitale. Un constat qui se confirmait encore mercredi, avec des taux excédant localement les 60 voire les 75 µg/m³. «Alors qu’en été, c’est surtout l’ozone qui pose problème en raison de la chaleur et du rayonnement solaire, les mois d’hiver sont davantage sujets aux hautes concentrations en dioxydes d’azote ou, comme ici, en particules fines», précise Christophe Degrave, collaborateur scientifique pour Celine.

La tendance actuelle s’explique notamment par les conditions météorologiques, peu favorables à la dispersion des polluants. Sous l’effet de l’anticyclone centré sur la Belgique, le vent est très faible, alors que les inversions thermiques (différentiel entre les températures de la journée et de la nuit) sont marquées. «Les polluants ont donc tendance à stagner là où ils sont produits, note Céline Bertrand, membre de la cellule environnement de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG). Heureusement, le retour du vent annoncé pour les prochains jours devrait favoriser leur dispersion.»

Un bol d’air à la Côte?

Concrètement, deux types de particules (primaires et secondaires) coexistent actuellement. «Les particules primaires sont les émissions directes provenant de l’activité humaine, indique Christophe Degrave. Le trafic routier joue un rôle important, tout comme les activités industrielles ou le chauffage au bois.» Or, en termes de particules primaires, la Belgique «cumule les facteurs de risques», rappelle Céline Bertrand. Avec l’un des réseaux autoroutiers les plus denses d’Europe, une densité de population très élevée et la présence de nombreux aéroports sur un petit territoire, l’addition ne peut être que salée sur la qualité de l’air.

Outre ces particules primaires, la Belgique est également confrontée à la formation de particules secondaires, liée au début de la période d’épandage agricole. «Les oxydes d’azote présents dans l’atmosphère vont réagir avec l’ammoniac émanant de cet épandage, pour créer des particules fines», explique Christophe Degrave.

Cette combinaison de facteurs entraîne ainsi des dépassements de seuil, notamment en Flandre, où l’épandage agricole est déjà généralisé. Les industries lourdes aux abords de certaines villes (Gand, Anvers) et la densité de la population justifient également ces taux inquiétants au nord du pays. La Flandre occidentale (notamment la région côtière) est particulièrement touchée, probablement en raison des activités portuaires (Zeebrugge) et aéroportuaires (Ostende) qui s’y trament. Pour prendre «un bon bol d’air» à la Mer du Nord, il faudra repasser.

Mercredi 5 mars, à 10 heures, la qualité de l’air était particulièrement inquiétante en Flandre occidentale. © Cellule interrégionale de l’environnement (Celine).

Gare à l’effet de vallée

L’importante pollution de l’air à Bruxelles est, par contre, moins surprenante. La congestion automobile dans la capitale, combinée à la densité de la population et à des espaces verts limités en font une zone propice aux dépassements de seuil. Rien que sur ces quatre dernières semaines, trois pics ont été recensés (du 10 au 11 février, du 14 au 15 février, et du 4 au 5 mars), selon les données de Bruxelles Environnement. Si la Wallonie reste habituellement épargnée grâce à sa plus faible population et sa plus grande verdurisation, les dépassements y restent possibles. «C’est surtout le long de la Meuse que ça peut poser problème, dans les bassins industriels de Charleroi ou Liège, note Christophe Degrave. Il y a également un effet de vallée, avec des polluants qui restent bloqués et peinent à se disperser.»

Logiquement, ces fortes concentrations en particules fines présentent des risques pour la santé. A Bruxelles et en Flandre, le «seuil d’information» a été déclenché mardi pour sensibiliser la population. Un degré inférieur au «seuil d’action», qui entraîne la prise de mesures immédiates, parmi lesquelles la réduction de la vitesse sur les axes routiers, l’interdiction des chauffages au bois d’appoint ou la gratuité des transports en commun.

Pour les enfants, la double peine

La situation actuelle mérite toutefois une grande prudence, insiste Céline Bertrand. «On sous-estime souvent les risques de ce genre de pics, or l’impact sur la santé est colossal», avertit l’experte de la SSMG. D’une part, la toxicité locale engendrée par les particules ne doit pas être sous-estimée. «Au dessus d’une certaine concentration, on peut avoir les yeux qui piquent, la gorge qui gratte, le nez qui coule, voire une sensation d’étouffement ou d’oppression quand on s’aventure dehors.» D’autre part, les particules fines (et surtout ultrafines) peuvent engendrer une toxicité dite «insidieuse» ou «systémique». «Ces polluants peuvent très vite gagner la circulation sanguine et donc affecter d’autres organes comme le cerveau et les poumons. Les conséquences peuvent être multiples: problèmes neurologiques, immunodépression, voire, à long terme, pathologies cardiovasculaires ou risques de cancer.»

Les enfants sont particulièrement vulnérables. «En raison de leur petite taille, ils sont plus proches du sol, or c’est là que les polluants s’accumulent, notamment via les émissions des pots d’échappement, met en garde Céline Bertrand. Alors que les poumons des enfants sont immatures (NDLR: pas encore totalement développés) jusqu’à l’âge d’environ six ans, les risques sont dédoublés.» Les femmes enceintes doivent, elles aussi, faire preuve d’une extrême prudence. «Plus elles sont exposées à des niveaux de pollution de l’air importants durant leur grossesse, plus le risque est grand qu’elles donnent naissance à des enfants prématurés, à poids réduit ou sujets à développer des pathologies respiratoires (pneumonie infantile, bronchiolite ou asthme) plus tard», insiste l’experte en santé publique.

Mieux vaut prévenir que guérir

Face à tous ces risques, Céline Bertrand recommande, dans les zones les plus exposées actuellement, de limiter les balades (surtout aux abords des axes routiers), d’éviter d’aérer les pièces et de réduire un maximum les activités physiques. «Ce n’est pas le moment d’aller faire un footing rue Belliard», illustre l’experte, qui précise: «L’objectif est d’éviter au maximum l’inhalation de cet air nocif. Mais malheureusement, contrairement à l’alimentation où le citoyen peut garder un certain contrôle sur sa consommation, dans le cas de la qualité de l’air, il est impuissant. On ne peut pas dire aux gens d’arrêter de respirer

«Malheureusement, contrairement à l’alimentation où le citoyen peut garder un certain contrôle sur sa consommation, dans le cas de la qualité de l’air, il est impuissant. On ne peut pas dire aux gens d’arrêter de respirer.»

Céline Bertrand

Membre de la cellule environnement de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG)

Plusieurs solutions permettent toutefois d’améliorer la situation, rappelle Pierre Dornier, directeur de l’asbl Les Chercheurs d’Air. «Alors que le trafic routier représente plus d’un quart des émissions de particules fines, c’est le premier levier sur lequel il faut agir», plaide le responsable. L’instauration de zones de basse émission, la mise en place de quartiers apaisés (limitant la circulation de transit) ou le développement des rues scolaires avec des périmètres piétons sont autant de pistes à explorer, insiste Pierre Dornier. «Il ne faut pas attendre qu’il y ait un pic de pollution pour décréter des mesures court-termistes qui, certes, ont un effet, mais trop limité dans le temps. Il faut impérativement développer une vision à long terme, car mieux vaut prévenir que guérir.»

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