«On est à la croisée des chemins»: ce qu’il manque aux trains de nuit pour être rentables et nombreux
Alors que les voyageurs veulent plus de trains de nuit, des problèmes structurels paralysent toujours le développement du réseau ferroviaire.
Le dilemme se pose pour un nombre croissant de vacanciers soucieux du climat: abandonner l’avion au profit du train de nuit? Mais les faibles tarifs proposés par les compagnies aériennes finissent souvent par l’emporter sur les considérations écologiques. D’autant que le nombre de destinations par voie ferroviaire reste faible. Si depuis ce lundi, Dresde et Prague peuvent être rejoints depuis Bruxelles, ces destinations s’ajoutent à une courte liste: Amsterdam, Berlin et Vienne.
Officiellement, l’Europe tente de remédier au problème. Mais les freins, notamment économiques, restent nombreux pour passer de la théorie à la pratique.
Beaucoup trop de coûts
Petit rappel d’économie: si la demande en matière de trains de nuit augmente, l’offre devrait suivre. Selon Renaud Foucart, maître de conférences spécialisé en économie des transports à l’ULB et à Lancaster, en Europe, cette hausse s’est surtout produite en Europe du Nord, notamment en Allemagne. Ce n’est donc pas un hasard si la renaissance des trains de nuit s’est produite dans cette région. «En Autriche, ÖBB (NDLR: qui gère la ligne Bruxelles-Vienne) voulait y répondre en étendant son réseau. La firme avait même présenté de grandes cartes d’expansion en Europe. Mais ce qui a bloqué, c’était la capacité en matériel roulant», explique l’universitaire.
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C’est le nerf de la guerre: rétablir des liaisons ferroviaires, c’est une chose, mais encore faut-il qu’il y ait des trains en suffisance. Ceux qui circulaient au siècle dernier ont souvent été détruits, l’avion low cost ayant fini par avoir leur peau. Si ÖBB assure gagner de l’argent sur ses lignes les plus rentables, cela n’inclut pas ses coûts pour renouveler son stock de trains. Des dépenses qui pèsent très lourd dans son budget. European Sleeper, qui exploite la ligne Bruxelles-Berlin-Prague, est pour l’instant obligée de recycler de vieux modèles.
Si on ajoute à cela les taxations, les péages ferroviaires aux frontières, etc., il est difficile de proposer des tickets à bas prix. Dans ces conditions, comment tenir la concurrence avec un secteur aéronautique qui reste massivement soutenu par les États et qui ne doit pas payer de taxe sur le kérosène? Clairement, le compte n’y est pas.
La difficulté de changer de paradigme
Pour Renaud Foucart, si les trains de nuit veulent être rentables et concurrentiels, il doivent atteindre une masse critique, un point de bascule où des lignes ferroviaires deviendraient plus intéressantes que l’avion pour les consommateurs: «Les compagnies demandent surtout du matériel roulant. Mais pour que l’on puisse demander aux constructeurs de fabriquer 100 trains de nuit, il faut faire un grand saut en avant d’un coup, avec un financement massif. C’est la même chose que pour l’essor de l’avion low cost, qui grâce aux aides européennes a pu connecter de nombreuses villes à bas prix. À partir du moment où on a cette masse critique, les gens savent qu’ils peuvent aller sur Ryanair pour voyager partout pour pas cher».
Aujourd’hui, il faudrait donc faire pareil, mais dans l’autre sens. Défavoriser l’avion et au contraire favoriser le train, et ce au niveau européen. Une solution qui crispe une partie de la classe politique. «Le problème, c’est que si l’UE explique aux électeurs qu’il faut taxer les avions, ça ne passera pas tant qu’il n’y a pas d’alternative correcte. Sauf qu’il n’y aura pas cette alternative sans que cette politique-là soit appliquée.»
«Puisque bon nombre de lignes passent par chez nous, notre pays deviendrait le centre du monde.»
Renaud Foucart
Pour des pays comme l’Allemagne, ce changement de paradigme semble plus acceptable. Mais en Europe du Sud, c’est compliqué. Pendant des années, les aides européennes ont soutenu la création d’aéroports dans ces pays touristiques. Où le modèle aérien est aujourd’hui bien établi. Le remettre en cause pour soutenir un hypothétique rêve ferroviaire passerait mal. Or pour fonctionner, le projet devrait être harmonisé au niveau européen. Comment imaginer que les trains de nuit puissent prendre leur essor si le Sud refuse de collaborer?
«La Belgique pourrait devenir le centre du monde»
Renaud Foucart l’affirme: «on est aujourd’hui à la croisée des chemins» et l’Europe doit choisir. «Soit on fait très grand, soit on s’arrête là, ou on ne fait pas beaucoup plus. Si je dois prendre un pari sur l’avenir, je dirais que d’ici cinq à dix ans, il y aura un bon réseau vers l’Est. Mais j’ai du mal à voir un développement rapide vers le Sud», constate-t-il.
Dans ce contexte, la Belgique tend à être favorable aux trains de nuit. Mais si elle assure actuellement la présidence de l’UE, elle n’a pas inscrit le sujet en grandes lettres dans l’agenda européen, constate l’expert. «Soit elle n’a pas réussi à trouver des partenaires pour avancer ensemble, soit il y a d’autres priorités vu ce qui se passe dans le monde», suppose-t-il.
Pourtant, la Belgique a beaucoup à gagner, selon lui: «Puisque bon nombre de lignes passent par chez nous, notre pays deviendrait le centre du monde. Imaginez que l’on remplace le débat sur la pollution sonore de Zaventem par la trop grande profusion de touristes à Bruxelles! Il n’est pas du tout impossible que cela se produise d’ici dix, quinze ans.»
Mais pour cela, il faudra développer le réseau. «Sauf que le prochain Parlement européen devrait être moins vert et plus de droite après les élections de juin. Je ne suis donc pas certain que la dynamique aille aujourd’hui en ce sens», déplore Renaud Foucart.
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