Pangolin, tigre de Tasmanie, moineau: comment l’homme les éradique de la surface de la Terre
Aujourd’hui, lorsque des animaux disparaissent, l’homme en est généralement responsable. Après avoir souvent construit, au cours de l’histoire, des récits pour les blâmer de ses propres échecs.
Le tigre de Tasmanie est omniprésent sur l’île australienne: il orne les bouteilles de bière, les plaques d’immatriculation et toutes sortes de produits dérivés bien qu’il ne soit pas particulièrement beau –il ressemble à un chien avec des rayures de tigre et une queue de kangourou. Cette popularité est nourrie par la crainte, voici quasi un siècle, de la disparition de l’animal. Le dernier spécimen connu est mort en 1936, dans un zoo. Quelques mois plus tard, l’espèce fut officiellement protégée, mais il était trop tard. Depuis lors, des centaines de personnes affirment malgré tout avoir aperçu un tigre de Tasmanie, sans que ces observations soient confirmées. Même l’utilisation de caméras dans le biotope originel de l’animal n’a rien donné. Le tigre de Tasmanie est devenu un animal fantôme.
L’histoire du tigre de Tasmanie est celle de nombreux prédateurs. Le véritable tigre est aujourd’hui, en raison du braconnage, l’un des animaux les plus menacés au monde. Une autre appellation du tigre de Tasmanie est le «loup marsupial» –il s’agit en effet d’un marsupial. Le loup aussi fut, pendant des siècles, considéré comme une menace pour l’homme et ses intérêts.
Les animaux ont lourdement souffert des mythes créés par les humains.
La fin du tigre de Tasmanie débuta avec l’arrivée, au XIXe siècle, de Britanniques en Tasmanie –souvent des criminels condamnés ayant purgé leur peine. Ils devaient surmonter de grandes difficultés pour rendre vivable leur rude existence d’éleveurs de moutons. Les terres étaient trop sauvages pour un élevage efficient. Dans des récits dramatiques, ils décrivaient le tigre de Tasmanie comme un tueur de moutons, pour décharger une grande partie de leur échec sur lui. Des primes furent instaurées pour chaque spécimen abattu, entraînant finalement l’extinction de l’espèce.
Depuis, des études ont montré que le tigre de Tasmanie n’avait même pas la capacité physique de tuer un mouton. Il disparut parce qu’il était le bouc émissaire idéal de l’échec humain.
De la pure invention
Autre espèce victime de l’homme: le pangolin. Son déclin est avant tout lié à ses soi-disant vertus médicinales, conférées par son statut de seul mammifère doté d’écailles. Officiellement, ses écailles sont presque exclusivement constituées de kératine, la substance qui compose aussi nos cheveux et nos ongles. Mais dans la médecine traditionnelle chinoise, on leur prête de grands pouvoirs. Par ailleurs, le pangolin est devenu prisé auprès des nouvelles élites asiatiques désireuses d’afficher leur extravagance en consommant l’animal.
Cela a conduit, au cours des dix dernières années, au braconnage de plus d’un million de pangolins. Les populations de toutes les espèces –quatre en Afrique et quatre en Asie– sont en chute libre. En Asie, leur nombre a diminué de 80% ces 30 dernières années, ce qui a intensifié la chasse en Afrique. L’élevage de pangolins s’avère extrêmement difficile, rendant le marché dépendant de la capture en milieu sauvage. Récemment, près de dix tonnes d’écailles de pangolin ont été saisies au Nigeria, provenant de plus de 30.000 animaux braconnés. La valeur commerciale de cette saisie en Afrique s’élevait à environ 150.000 euros, tandis que sa valeur sur le marché asiatique, à la fin de la chaîne, atteignait 1,5 million d’euros!
Animaux confisqués
Les braconniers locaux, souvent pauvres, peuvent gagner plusieurs mois de salaire en capturant un seul pangolin. Animal en grande partie inoffensif, il se roule en boule lorsqu’il se sent menacé, de sorte qu’il suffit de le ramasser. Encore faut-il savoir où les chercher. L’autrice néerlandaise Anne Broeksma a passé des mois dans les habitats de pangolins sans en apercevoir un seul, sauf dans un centre de réhabilitation au Vietnam, où des bénévoles prennent soin de ces animaux souvent malades et affaiblis, confisqués aux trafiquants. Partout, le même constat s’impose: certains visent ces animaux pour les exploiter, tandis que d’autres s’efforcent de les sauver.
Dans son ouvrage Een verhaal met schubben (Atlas Contact, 2024), Anne Broeksma décrit les tentatives visant à promouvoir l’écotourisme pour faciliter la protection des pangolins et de leurs habitats, mais la réalité est implacable: les revenus de telles initiatives pour les populations locales sont souvent dérisoires en comparaison avec ce que peut rapporter le braconnage. La clé pour sauver l’espèce réside dans l’élimination du marché. Le braconnage est de plus en plus réprimé, et des campagnes tentent de convaincre les gens qu’ils n’ont rien à espérer sur le plan médical des poudres de pangolin.
Mais les marchés lucratifs sont tenaces. En Asie, la corne de rhinocéros a longtemps été vantée pour ses prétendues vertus aphrodisiaques, bien que celle-ci ne soit faite que de kératine, comme nos cheveux et nos ongles. Puis est venu le Viagra, qui a véritablement révolutionné le traitement des dysfonctions érectiles. Pourtant, le marché s’est adapté et a rapidement attribué à la corne de rhinocéros d’autres propriétés, comme celle de combattre le cancer. Les dynamiques économiques obéissent, elles aussi, aux principes de l’évolution: elles doivent s’adapter aux circonstances changeantes pour survivre.
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Loups enragés
Même dans nos contrées, les animaux ont lourdement souffert des mythes créés par les humains. Le Petit Chaperon rouge et d’autres contes ont chargé le loup d’une réputation négative, dont il a bien du mal à se défaire. La plupart des loups ayant attaqué des humains étaient atteints de rage, une maladie éradiquée chez nous qui rend les animaux agressifs. Le loup a également disparu de nos régions mais est revenu grâce aux populations relictuelles subsistant dans des régions reculées, principalement en Europe de l’Est, permettant aux mesures de protection d’avoir un effet avec un demi-siècle de retard.
De manière surprenante, même le moineau domestique, autrefois inoffensif, a un jour attiré la colère des humains. L’historien Thijs Lambrecht (UGent) décrit dans un de ses ouvrages comment, aux XVIIIe et XIXe siècles, dans les petites communautés agricoles de Flandre-Occidentale, le moineau fut accusé de causer de mauvaises récoltes. Le moineau, qui se nourrit de graines, fut considéré comme un concurrent alimentaire de l’homme. Les autorités offraient des primes pour chaque moineau tué, et les fermiers devaient fournir chaque année un nombre défini de moineaux morts.
La situation prit une tournure étrange entre 1816 et 1818 avec l’organisation de «fêtes du moineau», des foires instaurées par des guildes de chasseurs dont l’objectif était l’éradication de l’espèce. Thijs Lambrecht lie ces événements à la forte éruption du volcan Tambora en Indonésie en 1815, qui projeta tant de soufre et de cendres dans l’atmosphère que les récoltes échouèrent dans de vastes régions du monde par manque d’ensoleillement. A l’époque, il n’existait pas de médias mondiaux pour informer les populations des éruptions volcaniques lointaines, et d’autres causes étaient recherchées pour expliquer les mauvaises récoltes. Le moineau en fut la victime facile.
Des scientifiques tentent de ramener le tigre de Tasmanie à la vie par des techniques génétiques.
Dé-extinction en vue
L’historien affirme sans détour que les élites bourgeoises ont organisé les guildes de chasse aux moineaux pour détourner l’attention des véritables causes des mauvaises récoltes et des conditions de vie précaires, comme l’accès inégal à la terre et les loyers élevés des fermages.
Les moineaux ont survécu à cette période, bien qu’ils soient aujourd’hui de nouveau en grande difficulté. Le moineau friquet, espèce liée aux zones agricoles de petite échelle, a pratiquement disparu de nos contrées, et même le moineau domestique subit des déclins significatifs. Heureusement, une prise de conscience et des mesures de protection et des initiatives d’aide, comme l’installation de nichoirs, gagnent en visibilité. Des actions sont également menées pour protéger le pangolin de l’extinction.
Quant au tigre de Tasmanie, il est là malheureusement trop tard, mais des tentatives sont entreprises pour le ramener à la vie grâce aux techniques de génie génétique. Des millions d’euros sont investis dans la reconstruction de son génome, qui pourrait ensuite être implanté dans un petit marsupial vivant, proche parent, à la dénomination poétique: le dunnart à queue blanche. En jargon scientifique, cela s’appelle la «dé-extinction»: faire revenir des espèces disparues.
Impossible de savoir avec certitude si l’animal «reconstruit» sera exactement identique à celui disparu. On ignore également si l’on créera simplement une curiosité ou quelque chose capable de repeupler les régions sauvages de Tasmanie. On ne peut qu’espérer, dans ce dernier cas, qu’il pourra reprendre son rôle de superprédateur. Les biologistes estiment que son successeur dans l’écosystème tasmanien, le diable de Tasmanie, nettement plus petit, pourrait tirer profit du retour du tigre. L’espèce souffre grandement d’une maladie cancéreuse transmissible, peut-être due à l’absence de prédateurs pour éliminer les individus malades.
Surtout, il faut espérer que la population restera fascinée par le tigre de Tasmanie si celui-ci venait à ressusciter. Le retour du loup, chez nous, fut célébré, mais il s’est rapidement transformé en campagnes de haine lorsque quelques moutons ou poneys en furent victimes. Les gens peuvent se montrer intransigeants face aux animaux, surtout quand ceux-ci viennent entraver les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir.
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