Les vacances d’été dans le Sud, bientôt une pratique du passé? « On est au début d’un changement majeur »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les records de température et les incendies qui font rage dans le bassin méditerranéen questionnent nos habitudes de voyage. Partir en vacances dans le sud de l’Europe en été, une histoire qui appartiendra bientôt au passé ? Analyse avec les spécialistes des questions climatiques François Gemenne et François Massonnet.

Rhodes, Corfou, Sicile, Croatie… Autant de régions touristiques très prisées du sud de l’Europe qui sont actuellement ravagées par les flammes. Avec des températures qui affolent le mercure de jour en jour. Dès lors, une question : les habitudes touristiques vont (doivent)-t-elles drastiquement changer ? Décryptage des enjeux en cinq questions avec le chercheur François Gemenne (Giec, ULiège, FNRS), spécialiste des politiques d’adaptation au réchauffement climatique, et le climatologue François Massonnet (UCLouvain, FNRS).

1. Les records de température dans le Sud deviennent-ils la norme?

François Massonnet : « Effectivement, le danger est que ces records instaurent une nouvelle norme. On a tendance à oublier ce qu’est un été normal. Notre référentiel est en train de changer. En principe, il n’est pas anormal qu’un été soit pluvieux, comme actuellement en Belgique. Or, on sort de cinq étés consécutifs -hormis 2021- avec des événements de chaleur extrême. »

François Gemenne : « Les records sont des manifestations du changement climatique, mais il ne faut plus les considérer comme des anomalies. Car ils obéissent à une logique physique implacable. Le niveau de la température est déterminé par la concentration de gaz à effet de serre. Ces derniers ont une durée de vie très longue dans l’atmosphère. Il s’agit d’un problème d’accumulation. Tant qu’on n’atteint pas la neutralité carbone, le niveau de concentration et les températures continueront à monter. C’est un peu comme si vous laissiez le robinet de votre baignoire ouvert, et que vous vous alarmiez chaque matin que le niveau de l’eau dans votre salle de bain est plus haut que le jour précédent. »

2. Quelles sont les causes principales?

François Massonnet : « Le départ des feux est favorisé par des conditions très sèches et chaudes. Ces éléments sont réunis dans le sud de l’Europe. Quand la température mondiale est à +1.1°C, des hausses locales peuvent atteindre de +4° à +8°C. Lorsque le sol est soumis à des stress thermiques, il s’assèche, et les conditions sont alors réunies pour les incendies. Il faut aussi des événements non climatiques, et donc un départ de feu, et du vent. Mais le changement climatique fait clairement pencher la balance en faveur d’une augmentation de ce genre d’événements. »  

3. Pourquoi les incendies se déclenchent-ils de façon coordonnée dans différents pays?

François Gemenne : « Si certains feux sont accidentels, beaucoup d’autres sont d’origine criminelle. Le fait de voir un incendie en Grèce ou en Italie incite probablement d’autres pyromanes à faire de même. Ensuite, les conditions climatiques extrêmes permettent que les incendies se propagent rapidement. »

Ce qu’on observe actuellement est peut-être le début d’un changement majeur, d’une migration d’un climat beaucoup chaud et sec vers la Méditerranée. Et il n’y a pas de raison de penser que cette tendance s’arrête. 

François Massonnet

François Massonnet : « L’ensemble du bassin méditerranéen est touché par ce fameux dôme de chaleur. Un système météorologique –une masse d’air très peu mobile- est donc commun à tous ces événements. Au sein de cette zone, l’air tombe et se comprime, ce qui cause des températures élevées ainsi qu’une absence de nuages. La cellule de Hadley prend de plus en plus de place, et repousse les zones désertiques vers le Nord. Ce qu’on observe actuellement est peut-être le début d’un changement majeur, d’une migration d’un climat beaucoup chaud et sec vers la Méditerranée. Et il n’y a pas de raison de penser que cette tendance s’arrête. »

4. Si rien ne change, le sud de l’Europe va-t-il finir par être déserté par les touristes durant l’été ?

François Massonnet : « Cela ne fait aucun doute, même si les prix attractifs joueront toujours leur rôle dans le choix des destinations de vacances. Il est toutefois certain que les incendies à répétition changeront les mentalités. D’autres endroits apparaîtront comme un peu plus sûrs -la montagne, par exemple. Ce qui ne veut pas dire que des destinations plus nordiques seront totalement sans risque. »

Le sud de l’Europe va connaître le climat du nord de l’Afrique dans les prochaines années. Les destinations touristiques vont évoluer, mais la saison touristique aussi. 

François Gemenne

François Gemenne : « Il est certain que le sud de l’Europe va connaître le climat du nord de l’Afrique dans les prochaines années. Certains s’adapteront, d’autres trouveront la zone invivable. Quoi qu’il en soit, le bassin méditerranéen n’accueillera plus le même type de population. Les conditions de vies vont changer. Pas jusqu’au point d’en devenir inhabitables. Mais, par exemple, il est fort à parier que la Grèce, l’Italie ou l’Espagne soient moins prisées par celles et ceux qui veulent y passer leur retraite. »

5. Passer ses vacances d’été dans le sud de l’Europe pourrait-il devenir une habitude du passé ?

François Gemenne : « Les destinations touristiques vont évoluer, mais la saison touristique aussi. Il y a cinquante ans, le tourisme de la côte d’Azur connaissait son pic en hiver. A l’époque, il paraissait stupéfiant de s’y rendre en été. Cela montre que le tourisme reste une question très culturelle. On peut s’attendre à une redistribution de la carte du tourisme de masse. Des destinations peu prisées jusqu’ici risquent de le devenir davantage à l’avenir. »

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