Les canicules marines, ou quand nager dans une mer à 30 degrés sera bientôt la norme (infographies)
Moins visibles que les canicules terrestres, les coups de chauds marins sont pourtant dévastateurs pour les écosystèmes. Et, par effet de domino, rendent étouffante la vie de certaines populations du globe. Le point avec Aida Alvera Azcarate, océanographe à l’Université de Liège.
Cinquante degrés aux Etats-Unis, au Canada ou en Chine, des incendies ravageant la Grèce, des températures record partout en Europe… Le réchauffement climatique est devenu encore plus visible, cet été. Mais si les flammes sont bien visibles de tous, sous la surface, ça brûle aussi: les canicules marines sont un phénomène moins connu, mais tout aussi important. « On parle de périodes de chaleur accrue dans les océans et mers sur une période donnée, explique Aida Alvera Azcarate, océanographe à l’Université de Liège. Elles dépendent de deux choses : les masses d’eau des régions plus chaudes qui arrivent dans des régions plus froides, et les conditions atmosphériques qui réchauffent l’eau ».
Comme pour les variantes terrestres (en Belgique : au moins 5 jours consécutifs à 25°C ou plus, dont au moins 3 jours avec 30°C ou plus), des critères chiffrés circonscrivent les vagues de chaleur marines. Concrètement, elles se produisent si, pendant plus de 5 jours, la température de surface en mer est plus élevée que 90% du temps. Il y a néanmoins une différence notable entre les deux phénomènes. « Les vagues de chaleur marines peuvent se produire en hiver, rappelle Aida Alvera Azcarate. La température de l’eau peut alors atteindre 14 degrés. Cela parait peu comparé à l’été. Mais 3 à 4 degrés en plus par rapport à la moyenne climatologique, c’est beaucoup ».
Les canicules marines battent des records de 2003
Les données de température de l’eau sont mesurées via des satellites, aux quatre coins du globe. Et elles montrent une évolution claire sur les 20 dernières années : le réchauffement climatique a amplifié le phénomène de vague de chaleur marine (voir vidéo ci-dessus). Le 24 juillet, la température à la surface de la mer Méditerranée a atteint 28,71°, battant le record de 28,25° établi il y a 20 ans. Le bassin méditerranéen est particulièrement touché par les vagues de chaleur, qu’elles soient terrestres ou marines. « La mer Méditerranée se chauffe à plus grande vitesse que les autres, indique Aida Alvera Azcarate. On y ressent plus les effets du réchauffement car elle est enfermée (par les territoires, NDLR) et au vu de la latitude à laquelle elle se trouve ».
« Avec les températures extrêmes observées (froides ou chaudes), certaines espèces sont obligées de fuir leur milieu naturel »
Aida Alvera Azcarate, océanographe à l’Université de Liège
Deux vagues de chaleur marines en mer du Nord en 2023
Qu’en est-il de la mer du Nord ? La chercheuse à l’ULiège essaie de le déterminer avec le projet North-Heat, financé par Belspo, le service public chargé de la programmation scientifique. « À l’été 2022, nous avons observé une vague de chaleur marine de mai à septembre. On s’alarmait moins avant pour la mer du Nord. Quand on a 3 degrés de plus, ça ne fait jamais que 21° au lieu de 18°. Les gens se disent que c’est chouette d’avoir une eau plus chaude ». En juin dernier (voir infographie ci-dessous), une vague de chaleur sans précédent a traversé l’océan Atlantique (et donc touché la mer du Nord), avec des températures 5 degrés plus élevées que la normale saisonnière sur les côtes britanniques.
Depuis 1982, les chercheurs du projet North-Heat ont comptabilisés 76 vagues de chaleur marines rien que pour la mer du Nord. Et celles-ci se produiraient surtout depuis l’entrée dans le 2e millénaire. Le coupable: le réchauffement climatique. Sur l’année 2023, les chercheurs ont observé 2 vagues de chaleur (en rouge dans le graphique ci-dessous) : une cet hiver (entre le 1er et le 22 janvier), l’autre cet été (entre le 13 juin et le 3 juillet). Cette dernière est « l’une des vagues de chaleur marine les plus importantes jamais enregistrées » selon les chercheurs, avec des températures jusqu’à 4° au-delà de la moyenne saisonnière au Royaume-Uni et en Irlande du Nord, et une augmentation moyenne de 2° pour l’ensemble de la mer du Nord.
Au sein de la sphère scientifique, l’origine des vagues de chaleur marines fait débat. Mais à peu près tous sont d’accord pour dire que le dérèglement climatique amplifie dangereusement le phénomène. Les conditions atmosphériques (soit la réduction de la quantité de poussière du Sahara, qui en se déposant sur l’eau réfléchit la chaleur du soleil et empêche l’océan de l’absorber et de se réchauffer) ainsi que les déchets et rejets des bateaux (comme le soufre, par exemple) sont deux autres causes souvent évoquées.
Des effets désastreux sur la faune et la flore marine
Les canicules marines entrainent des effets en cascade. D’abord pour les écosystèmes. « Les organismes vivants s’adaptent à la température de l’eau dans une certaine mesure, développe Aida Alvera Azcarate. Mais vu les pics de température extrême observés (froids ou chauds), certaines espèces sont obligées de fuir leur milieu naturel. Les poissons peuvent nager, mais pour les crabes, par exemple, c’est plus compliqué ». Par ailleurs, comme le signalent nos confrères de Franceinfo, certains oiseaux marins qui se nourrissent de poisson deviennent des espèces menacées par ces migrations forcées. De même, des bactéries peuvent se développer avec la chaleur et contaminer les coquillages… ou les huîtres, et ainsi entrainer des pertes économiques pour les ostréiculteurs. Il en va de même pour la pêche, activité forcément difficile si les poissons viennent à manquer.
« Une vague de chaleur marine peut provoquer de fortes pluies »
Aida Alvera Azcarate, océanographe à l’Université de Liège
Enfin, quel avenir pour les coraux et algues, attachés au fond marin et dans l’impossibilité de fuir ? Certaines de ces espèces, comme les herbiers marins, abritent des poissons mais sont aussi des puits à carbone, qui captent ainsi le Co2 et limitent le réchauffement climatique. Aida Alvera Azcarate confirme que les pertes pour la biodiversité sont énormes, citant la canicule marine de 2003, qui a permis de constater la surmortalité de certaines espèces. « Et puis les espèces qui ont migré peuvent envahir leur nouveau milieu (on parle alors d’espèces invasives), et décimer ensuite d’autres espèces ».
Si la biodiversité est affectée par le procédé des canicules marines, il n’en va pas autrement des êtres humains. Aida Alvera Azcarate déroule la liste : omniprésence de méduses aux abords des plages, éoliennes qui ne tournent plus à cause de vents plus faibles… Et la météo. « Une vague de chaleur marine augmente la température de l’eau, qui s’évapore davantage dans l’atmosphère et peut ensuite donner des fortes pluies ». L’horizon n’est pas rose pour les océans, d’autant que les canicules marines sont amenées à progresser dans les années à venir. « Avant, une vague de chaleur marine de plusieurs mois était considérée comme exceptionnelle. Je crains que cela ne devienne désormais la norme… »
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