Le réchauffement climatique atteint déjà +1,5°C: «2023 et 2024 sortent du lot, et on n’arrive pas à l’expliquer complètement»
L’année 2024 sera bien la plus chaude jamais enregistrée, annonçait ce lundi le Copernicus Climate Change Service. Le réchauffement climatique dépasse la limite fixée à Paris en 2005, avant ce qu’anticipait le GIEC. Pourquoi?
Le 4 décembre 2023, un rapport scientifique du Global Carbon Project ne donnait que sept ans à la planète avant que le réchauffement climatique atteigne 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900). Un niveau éloquent, puisqu’il correspond à la limite que 195 pays avaient établie dans l’Accord de Paris, résultant de la COP-21 de 2005. Il n’aura finalement fallu qu’un an, depuis ce rapport, pour que l’élévation mondiale des températures franchisse ce seuil. Comme l’a annoncé ce lundi le réputé Copernicus Climate Change Service (C3S), sous la coupole du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme, l’année 2024 sera non seulement la plus chaude jamais enregistrée (après le record de 2023), mais aussi la première à afficher un réchauffement d’au moins 1,5 degré. Sur les 17 derniers mois (novembre 2024 inclus), 16 ont dépassé cette barre fatidique.
«Cela ne signifie pas que l’Accord de Paris a été violé, mais qu’une action climatique ambitieuse est plus urgente que jamais», a déclaré Samantha Burgess, directrice adjointe du C3S. Un discours récurrent depuis des décennies, si ce n’est que le niveau de réchauffement désormais observé survient plus tôt que ce que prévoyaient les scénarios de référence du GIEC. «Le réchauffement climatique est clairement en train de s’accélérer, commente le climatologue Xavier Fettweis, professeur à l’ULiège. Jusqu’il y a peu, la courbe de température suivait plus ou moins ce que les modèles climatiques prédisaient. Mais depuis 2023, on bat les records de température mondiale presque en permanence.»
Comment calcule-t-on le réchauffement climatique?
Jusqu’en 1940, les scientifiques ne pouvaient compter que sur les stations météorologiques pour mesurer, par extrapolation, les températures mondiales. Depuis lors, ils s’appuient sur bien d’autres données (pression atmosphérique, vent…) ou outils (ballons-sondes, satellites…) afin de les cartographier. La réanalyse qu’utilise Copernicus permet d’atteindre une résolution où chaque pixel couvre 30 kilomètres sur 30. «Toutes les six heures, on injecte dans le modèle les observations disponibles, précise l’expert. S’il n’y en a pas à un endroit, les zones avoisinantes comptent suffisamment d’indicateurs fiables pour combler les vides. C’est ainsi que les réanalyses couvrent les océans, les calottes polaires, etc.» Aujourd’hui, le modèle ERA5 constitue une base particulièrement fiable pour mesurer les températures mondiales ou d’une région déterminée.
Pourquoi cet emballement des températures?
On le sait, les températures mondiales augmentent depuis des décennies, et les engagements actuels restent largement insuffisants pour inverser la tendance, comme l’a rappelé la dernière COP. Toutefois, le réchauffement climatique est tel depuis deux ans qu’il sort de la trajectoire médiane définie par le GIEC. L’élévation abrupte des températures proviendrait en bonne partie des océans. «Les années 2023 et 2024 sortent du lot, et on n’arrive pas à l’expliquer complètement, relate Xavier Fettweis. Soit c’est dû à une variabilité naturelle du climat, qui provoque une hausse des températures pendant quelques années, avant une relative stabilisation, soit les modèles du GIEC sous-estiment l’ampleur du réchauffement.» Deux ans, c’est toutefois trop tôt pour en tirer une conclusion définitive. «On sait que dans les océans, il peut y avoir des oscillations de température qui s’étalent sur dix ans.»
Logiquement, la communauté scientifique s’empare avec un vif intérêt de cet emballement climatique, à côté de la problématique des émissions de gaz à effet de serre, elles aussi en hausse. Dans un article paru ce 4 décembre dans la revue Science, des scientifiques de l’Institut allemand Alfred Wegener attribue une part substantielle du réchauffement de 2023 à l’albédo, un terme qui désigne la part du rayonnement solaire réfléchi vers l’espace: plus cette proportion est faible, plus ce rayonnement contribue à l’élévation des températures mondiales. «Le déclin [de l’albédo en 2023] est apparemment dû en grande partie à une réduction de la couverture nuageuse basse dans les latitudes moyennes et les tropiques du nord», notent les climatologues. Cette baisse de l’albédo, observable depuis 1970, résulterait partiellement de la fonte des glaces dans l’Arctique et l’Antarctique. Il y aurait en outre de moins en moins de nuages de basse altitude dans l’Atlantique nord-est. Or, de tels nuages sont plus favorables au refroidissement de l’atmosphère que ceux situés en haute altitude.
And the « albedo » — the reflectivity of our precious planet — continues near record lows.
— Prof. Eliot Jacobson (@EliotJacobson) August 2, 2024
Dark times ahead! pic.twitter.com/hvbsEIyARA
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Pourquoi y-a-t-il moins de nuages de basse altitude? Une partie de la réponse provient de l’amélioration de la qualité de l’air, évidemment bénéfique pour la santé des individus et des écosystèmes. En tant qu’aérosols, les polluants atmosphériques contribuent en effet à la formation de nuages. Des chercheurs avaient estimé que ces aérosols contribuaient à un effet refroidissant de l’ordre de -0,5°C en 2019. Moins de pollution atmosphérique, moins de nuages, davantage de réchauffement: telle est la difficulté supplémentaire à laquelle le monde est confronté. «Ce signal se poursuivra très probablement à l’avenir, augmentant l’urgence de prendre des mesures fortes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre», concluaient des experts en 2022, dans la revue Atmospheric Chemistry and Physics.
Quel réchauffement à l’avenir?
L’élévation des températures de +1,5°C est une moyenne mondiale. Il est prouvé que le réchauffement est quatre fois plus intense aux pôles, et presque deux fois plus élevé en Europe, selon la zone concernée. «En Belgique, par exemple, il faut ajouter environ +1,3°C à la moyenne mondiale», souligne Xavier Fettweis. Parmi les quatre scénarios de réchauffement climatique énoncés par le GIEC, les trois plus optimistes (les SSP1-1.9 et 2.6 et le SSP2-4.5) paraissent hors d’atteinte. «Dans les conditions actuelles, on s’oriente vers une hausse de la température moyenne mondiale d’au moins 3°C à la fin du siècle», conclut le professeur de l’ULiège. Soit bien au-delà du plafond de +2°C également évoqué dans l’Accord de Paris, au-delà duquel la vie sur Terre s’en verra bien plus lourdement affectée encore.
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