L’Arizona et le climat: «Ils se contredisent et enfoncent des portes ouvertes»
Le chapitre de l’accord gouvernemental consacré au climat et à l’environnement paraît a priori ambitieux. Mais, pour la ministre sortante du Climat qui réagit à chaud, c’est une illusion d’optique. Car tout est conditionné à la croissance.
N’en déplaisent à ceux qui s’enferment dans le déni, s’il est un enjeu majeur pour notre avenir immédiat et plus lointain, c’est bien le climat. Le gouvernement Arizona était donc attendu au tournant sur le sujet. Résultat: le volet spécifique «climat et environnement» est plutôt touffu. On peut y voir la marque des Engagés et dans, une moindre mesure, de Vooruit et de l’aile gauche du CD&V. Mais le volontarisme affiché de l’Arizona en la matière est-il réellement prometteur? Un indice: rien n’est chiffré, sauf le respect des objectifs de réduction des émissions de 55% d’ici 2030. Nous avons décortiqué le programme et demandé à la ministre sortante du Climat, l’Ecolo Zakia Khattabi, ce qu’elle en pensait.
«C’est vrai que le volet climat semble marqué par une ambition plutôt inattendue pour des partis comme le MR ou la N-VA, commente-t-elle. Mais un grand nombre de mesures générales avancées sont conditionnées par la croissance, la compétitivité, le pouvoir d’achat, ce qui les neutralisent de facto.» Exemple le plus significatif: le Plan national pour l’énergie et le climat (PNEC) que la Belgique devait rendre à la Commission européenne en juin et qui n’a pu être rendu à cause de la Région flamande qui faisait de la résistance sur l’objectif de réduction des émissions à atteindre. L’accord Arizona stipule que le PNEC sera «réexaminé au regard des remarques de la Commission en tenant compte de la réalité économique, de la compétitivité et du pouvoir d’achat».
«Quand Alexander de Croo (OpenVLD) s’est rendu sur le site de BASF, à l’invitation de la multinationale chimique, il est revenu en disant qu’il fallait continuer à assumer les objectifs climatiques, mais que cela ne pouvait être un frein pour l’économie, se souvient Zakia Khattabi. A partir de là, je n’ai plus pu avancer comme je le voulais. Ici, c’est déjà inscrit dans l’accord: OK pour l’action climatique tant que ça ne nuit pas à l’économie. C’est prendre les choses à l’envers. Car on sait aujourd’hui que la transition est une opportunité majeure pour l’activité économique, et pas le contraire, comme l’a été la révolution industrielle en son temps.» Dans l’introduction du chapitre Climat, l’accord évoque tout de même que le changement climatique est un défi mais peut être une opportunité en matière de développement technologique, de soutien de la compétitivité et de développement de PME. Et aussi «une opportunité en matière de santé publique». «Santé publique ? Le dérèglement est plutôt un vrai risque en la matière, réagit l’Ecolo. J’ai cru tomber de ma chaise en lisant ça !»
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L’accord insiste sur le renforcement de la coopération avec les Régions en matière de climat et environnement. «Dans les faits, les instances de concertation entre entités existent déjà, il suffit que chacun joue le jeu, signale Khattabi. Or la Flandre n’a jamais voulu les investir. Le texte de l’accord enfonce des portes ouvertes. Il faudra voir s’il n’y pas d’intention cachée de certains partis de renforcer le poids d’une Région dans cette concertation.» Et là on pense, en particulier, à la répartition provenant des recettes d’échanges de quotas d’émission de CO2 (qui devraient atteindre 7 milliards d’euros en 2027, soit 1% du PIB). Notamment les recettes de l’ETS2 qui étend l’instrument «prix carbone», déjà imposé aux industries polluantes, aux bâtiments et au transport routier, donc à la maison (ou l’appartement) et à la voiture de Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
L’Arizona stipule que le Fédéral se réunira avec les Régions pour discuter de la répartition de ces revenus carbone. Mais rien de concret n’est avancé. Or un litige oppose la Flandre aux autres régions, les Flamands voulant répartir les recettes «proportionnellement à la contribution à ces revenus». Comme elle est davantage industrialisée, la Flandre est –c’est vrai– une plus grande contributrice à l’ETS, mais, en même temps, elle est la Région qui fait le moins d’effort au niveau des objectifs climatiques qu’elle remet en cause. Est-il dès lors légitime qu’elle reçoive davantage de bénéfices? Le blocage est total. Les discussions s’annoncent chaudes.
Un paragraphe du chapitre climat concerne l’adaptation aux risques climatiques. Cela paraît essentiel au vu des catastrophes récentes en France ou en Espagne ou même en Wallonie il y a trois ans. Or, ici, outre une déclaration de bonnes intentions pour faire des efforts, l’accord Arizona prévoit d’ouvrir les bâtiments fédéraux climatisés, en cas de fortes chaleurs, aux personnes vulnérables… «C’est très sympathique, mais cela dénote une véritable méconnaissance de ce que l’adaptation doit être, relève l’ex-ministre. C’est-à-dire revoir le système de santé ou le code du travail, par exemple, en fonction des événements climatiques et envisager le problème des assurances qui couvrent de moins en moins le risque climatique. L’accord Arizona évoque, comme on l’a dit, l’analyse de l’impact économique des mesures climatiques, mais ne dit rien sur l’impact économique de potentielles catastrophes climatiques, comme à Valence où les dégâts sont évalués à 2% du PIB. À Verviers, certains n’ont toujours pas été indemnisés.»
Enfin, un volet important tourne autour de l’économie circulaire. Ici aussi, une mesure surprend: en matière d’e-commerce, l’Arizona veut «sensibiliser les consommateurs afin qu’ils prennent conscience des effets négatifs des nombreux retours (de colis) et des livraisons infructueuses». Ce qui est une bonne chose, mais ne concerne pas vraiment l’économie circulaire. Par ailleurs, rien n’est dit sur les métaux rares en matière d’économie circulaire, ce qui paraît pourtant crucial. Les métaux rares font l’objet d’un paragraphe par ailleurs, juste pour signaler qu’ils constituent une opportunité pour répondre à la demande croissante de voitures électriques… «S’il y a un chantier à privilégier pour l’économie circulaire, c’est justement les métaux rares, pointe l’Ecolo. Cela signifie de faire en sorte que nos GSM, par exemple, soient conçus dès le départ pour la réutilisation de ces métaux.»
Un point «circulaire» cible aussi les alternatives aux plastiques, dont l’impact sur l’environnement et la santé est connu. Mais le texte de l’accord précise qu’une évaluation de ces alternatives sera faite pour éviter que celles-ci n’aient un impact plus nocif sur l’environnement que les produits d’origine, et ce en concertation avec le secteur. Comme le dit Zakia Khattabi, il n’a jamais été envisagé de mettre sur la table des alternatives plus nocives que le plastique. On ne peut s’empêcher d’y voir la main du lobby concerné.
L’accord prévoit également de taxer davantage les billets d’avion, avec une taxe uniforme de 5 euros quelle que soit la destination. La taxe actuelle varie de 10 euros pour les vols de moins de 500 km (ce qui concernait surtout les jets privés), 2 euros pour les vols intra-européens et 4 euros pour les vols à destination extra-européenne. En harmonisant ces différents tarifs, les recettes rapporteront davantage, soit presque le double qu’actuellement. Mais cela touchera davantage les voyageurs moyens, en épargnant davantage les voyageurs en jet privé, ce qui est un message surprenant. En outre, une telle taxe reste, malgré tout, cosmétique.
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