A partir du 1er janvier 2025, les vieilles chaussettes – comme tous les vêtements - seront interdites dans les sacs poubelles. © Getty Images/iStockphoto

Jeter ses vêtements à la poubelle, c’est fini: pourquoi la mesure ne fait pas que des heureux

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Dès le 1er janvier 2025, les vieux vêtements ne pourront plus être jetés dans les poubelles «tout-venant», sauf exceptions. Cette collecte sélective des textiles inquiète les acteurs de l’économie circulaire, qui redoutent une surcharge de déchets dans les bulles de recyclage et des coûts de traitement toujours plus importants.

Annoncée depuis de longs mois, la collecte sélective des textiles se matérialisera enfin en ce premier jour de l’An. A partir de 2025, fini de jeter ses vieux vêtements dans les déchets résiduels (les containers noirs ou les sacs mokas, pour les Wallons; ou les sacs blancs, pour les Bruxellois). T-shirts, pulls, chaussures, peluches, linge de lit ou maroquinerie: tout devra désormais passer par la case recyclage. Seules les pièces mouillées ou sérieusement souillées seront encore acceptées dans les poubelles «tout-venant».

Cette nouvelle mesure résulte d’une directive européenne, qui devait entrer en application dans chacun des 27 Etats membres au plus tard le 1er janvier 2025. Avec ce nouveau cadre, l’UE entend favoriser le réemploi des vêtements via les magasins de seconde main et, in fine, limiter la quantité de déchets incinérés . Avec ses plus de 110 millions de tonnes d’étoffes produites annuellement, l’industrie du textile est en effet l’une des plus polluantes au monde.

Si l’objectif de la régulation est noble, sa mise en pratique à l’échelle belge inquiète le secteur de l’économie circulaire, qui craint un report de la charge sur les bulles à vêtements. Au nombre de 5.600 en Belgique (3.500 sur les territoires wallon et bruxellois), ces points de collecte sont gérés par trois acteurs principaux: l’asbl Terre, Les Petits Riens et Oxfam. Des organismes aujourd’hui débordés par leur mission, tant les textiles en piètre état s’accumulent. «Les citoyens voient parfois les bulles comme des poubelles et y jettent tous les vêtements dont ils ne veulent plus, peu importe leur qualité», déplore Belinda Torres Leclercq, porte-parole d’Oxfam Belgique.

17% de vêtements brûlés

Un phénomène accentué par l’avènement de la fast-fashion et de l’ultra fast-fashion (Primark, Temu, Shein), qui a entraîné une dégradation de la qualité des vêtements. Selon la fédération RESSOURCES, qui représente 75 entreprises sociales et circulaires en Belgique, la plupart des textiles terminent aujourd’hui leur cycle de vie à peine 12 mois après leur mise sur le marché. Conséquence: ces vêtements usés, abîmés ou troués se retrouvent en grand nombre dans les bulles. Or, ils sont difficiles, voire impossibles à réemployer ou à recycler.

Les bulles à vêtements sont de plus en plus prises d’assaut. Mais la quantité prime sur la qualité. © BELGA/BELPRESS

L’essor des plateformes de seconde main, telles que Vinted, a également contribué aux dons de piètre qualité. «Les gens gardent leurs bons vêtements pour les revendre en ligne, et ne donnent que des pièces abîmées sur lesquelles ils ne peuvent pas faire de bénéfices», observe la porte-parole d’Oxfam. Si bien que la toute grande majorité des dons ne peut être réellement être utilisée. Ainsi, à peine 15 à 20% des textiles en fin de vie peuvent être valorisés sur le marché de la seconde main locale ou en ligne, en Belgique ou ailleurs. Les 80% restants n’engendrent aucune recette pour les opérateurs, mais bien des coûts supplémentaires pour leur traitement et leur tri. Parmi ceux-ci, quelque 17% sont même considérés comme des déchets ultimes. L’incinération est alors inévitable. Avec une facture salée à la clé: pour une tonne de vêtements à incinérer, il faut compter environ 300 euros.

Un doublement des coûts?

La faible valorisation des dons résulte également de la demande bien trop limitée des producteurs pour les tissus de seconde main. «Les grandes enseignes ne font pas appel aux professionnels du recyclage pour produire leurs textiles, regrette Franck Kerckhof, porte-parole de RESSOURCES. Seuls 0,3% des nouveaux vêtements mis sur le marché sont faits avec des produits recyclés. Le reste est issu de produits vierges. Cela bouche l’entièreté de la filière: on a beau recycler, si ce n’est pas réutilisé, ça ne sert à rien. Les opérateurs ne savent plus que faire de leurs stocks

Cette conjonction de facteurs plonge aujourd’hui les opérateurs de l’économie circulaire au bord du gouffre. Depuis le premier trimestre 2024, la vente des vêtements de seconde main ne parvient en effet plus à couvrir les frais de gestion. «Rien que cette année, les coûts de traitement des dons se sont chiffrés à 1,35 million d’euros pour Terre, Oxfam et Les Petits Riens, avance Franck Kerckhof. Avec la collecte sélective prochainement mise en place, on estime que la proportion de déchets va encore augmenter et devrait doubler d’ici 2030. On passerait ainsi à près de 2,5 millions d’euros de coûts de gestion pour les asbl.»

Faire contribuer les entreprises

Des frais non soutenables pour les opérateurs, qui appellent à respecter le principe de «pollueur-payeur» et à responsabiliser les fabricants, notamment ceux actifs dans la fast-fashion. «Cela fait plus de dix ans que le secteur appelle à mettre en place une REP (Responsabilité Elargie des Producteurs), insiste Franck Kerckhof. Ce système les obligerait à financer la collecte, le traitement et la revalorisation des textiles en fin de vie, qu’ils ont en réalité eux-mêmes produits.» Un système déjà d’application en France, à hauteur de 10 cents par kilo produit. «Ce n’est pas parfait – on estime qu’il faudrait plutôt une contribution à 1 euro par kilo – mais, au moins, ça existe.»

La REP s’applique d’ailleurs à d’autres déchets en Belgique, comme les piles, les pneus ou les électroménagers. «Lorsque le projet de recyclage des piles Bebat a été mis en place, les entreprises ont directement été mises à contribution pour son financement, rappelle Franck Kerckhof. Mais dans le cadre des textiles, on a mis la charrue avant les boeufs. Les producteurs, via des gros lobbys comme Primark ou Decathlon, continuent de bloquer des quatre fers la mise en place d’une REP. Or, sans elle, on ne s’en sortira pas.»

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